jour précédent mercredi 26 août 2009 retour au menu
Amorce de reprise annoncée de remise en ligne du journal de Thiron-Gardais
quand , après plusieurs mois de balades et errances ici où là en France, avec des repos/haltes le plus souvent partagés entre Ouistreham et Thiron, je viens d'y rentrer.

Le vendredi 7 août, par exemple, j'étais à l'abbaye de Fontevraud pour écouter (et voir) François Bon faire sa dernière " lecture/performance " avant son départ au Canada, sur Rabelais.
Je lui en avais fait parvenir le lendemain quelques photos, (certaines sont visibles sur son site), traduisant bien pour moi la surprise de découvrir sa nouvelle coiffure, un look de bagnard (impossible alors d'oublier que Fontevraud avait été à partir de 1804, suite à un décret de Napoléon 1er, une prison centrale jusqu'en 1963, et avait eu des milliers de pensionnaires parmi lesquels Jean Genet qui y fait référence dans le Miracle de la Rose : " De toutes les Centrales de France, Fontevraud est la plus troublante. C'est elle qui m'a donné la plus forte impression de détresse et de désolation, et je sais que les détenus qui ont connu d'autres prisons ont éprouvé, à l'entendre nommer même, une émotion, une souffrance comparables aux miennes." ) mais aussi un certain corps à corps avec le texte et sa liseuse, une certaine sueur qui donnait envie à relire Rabelais, une manière de tremper sa chemise que j'avais bien aimé, et que j'aime en général chez les gens qui font quelque chose...
Si on connaît ce qu'avait fait Jean Genet pour être condamné, je ne sais pas ce qu'a fait François Bon, pour mériter un papier comme celui de Christophe Donner dans Le Monde. Il y a encore là sans doute des raisons que j'ignore mais que je devine et qui m'énervent tant chez les critiques ou ceux qui se disent tels, qu'ils soient littéraires, musicaux ou autres, et qui n'ont rien à voir avec ce qu'ils semblent critiquer.
D'une manière générale je n'aime pas les articles assassins, revenchards ou plein de rancoeurs et qui sont faits pour faire mal, détruire ou abaisser, à moins bien sûr qu'ils soient drôles, bien écrits, charpentés et constituent un texte qui se tienne par lui-même, ou montrent un art spécial de l'insulte, de la calomnie ou sont d'un humour irrésistible, ce qui est rare il faut bien le dire). Je ne les aime pas, tout simplement parce qu'ils ne servent à rien (sinon régler des comptes personnels ou profiter d'une fenêtre pour laver un linge sale qui n'est pas le mien et qui donc ne m'intéresse pas).
Je n'aime (et ne cherche) aujourd'hui que des choses qui me donnent envie de lire, d'écouter, d'aller voir, de découvrir, d'apprendre ce que je ne connaissais pas. Je suis plutôt du genre curieux gourmand assoiffé que repu aigri blasé.
J'ai lu L'Incendie du Hilton le matin du 14 août, tôt après un bol de chocolat, entre 6h et 10 heures du matin, d'une seule traite. Non pas parce que cela semble souhaité par l'auteur mais tout simplement parce que je n'ai pas décroché de la première à la dernière page.
J'ai apprécié L'Incendie du Hilton . C'est pour moi un bon livre de François Bon, et un bon livre tout court, original et qui montre une tentative d'écriture qui s'inscrit et complète très bien le reste de son oeuvre et du questionnement qui s'y fait sur l'écriture et la littérature aujourd'hui à l'heure du numérique et d'Internet.
On ne peut être plus clair :
" Un non-évènement : le plus parfait des non-évènements. des victimes, des bléssés, des morts, dans l'immense catastrophe ordinaire du monde : rien, aucun. Un bouleversement de la ville, des ruines, un effondrement : absolument pas. Juste cela, l'incendie du Hilton, ce qu'on y cherche, ce basculement provisoire, et la ville cul par dessus-tête."
C'est écrit et dit dès les deux premières pages du livre (p.9 et 10). L'incendie du Hilton n'est qu'un prétexte, le plus anodin possible. C'est un avertissement : il n'y aura rien à voir, il n'y aura pas d'histoire(s). Juste un basculement provisoire, une tentative de redonner 4 heures.
Qui ne s'est pas dit un jour, qu'un rien vécu, une seconde, une odeur, un bruit de mer, quelque chose de parfaitement insipide, ne mériteraient-il pas de s'y arrêter puisque dans ce vide et ce rien, il nous semble y avoir senti et vécu une sorte d'éternité, celle qui contient l'intuition du tragique de notre vie d'homo sapiens ?
" Alors cette attente, et l'incendie tout là-haut sous les toits, un livre qui en serait non pas la restitution, encore moins l'illusion, mais voudrait le redonner temps pour temps -quatre heures vécues, quatre heures à lire."(p.10)
Visiblement Christophe Donner n'a pas lu ça ou n'a rien compris.
Il n'a sans doute pas non plus lu la page suivante (qui n'est pourtant que la troisième page (p.11) :
"L'incendie du Hilton, les jours suivants, jamais je n'aurais eu l'idée que ça s'écrive : images trop floues, banales -une fois les quatre heures finies et nous dans notre lit , à part une bonne histoire à raconter à ceux qu'on croise, qu'est-ce qu'il reste ? "
Et bien c'est réussi. Je ne me suis pas " fait " l'incendie du Hilton à Thiron, dont je n'avais d'ailleurs rien à faire et qui ne m'intéressait pas. Je sors empli de tout, sauf d'une histoire d'incendie.
J'ai simplement passé quatre heures formidables, ému de ce rien, de cette attitude et de la posture de l'auteur, qui sont les miennes et mon drame à chaque instant. C'est vingt fois par jour, qu'un rien me donne l'envie d'écrire, que je ne me dise qu'il faudrait un jour que j'essaie de traduire ça d'une manière ou d'une autre, sachant que je ne le ferai jamais, que passer un mois à essayer écrire une heure, il y a là un risque d'être à la bourre un jour face à un problème mathématique ressemblant fort à la dernière lettre de mon banquier s'inquiétant et me menaçant face à mon découvert, à mourir en avance d'être en retard...
Mais François Bon tente le coup, et lui ose se mettre à découvert, parfaitement conscient de l'enjeu de l'impossibilité, comme il le fait de cinquante manières différentes par jour sur le net. Il n'est pas dupe de la gageure et c'est d'ailleurs une de ses premières notes ("Es-tu bien conscient, pour quatre heures que tout cela a duré, qu'il t'en faudra passer cent fois, deux cents fois plus pour le mettre sur le papier...")(p.149).
Il n'y a pas d'entourloupe dans ce livre et l'auteur ne se fout pas de notre gueule, comme c'est si fréquent aujourd'hui, pour ne pas dire la règle, si j'en crois la plupart des livres à la mode conseillés pour l'été. (bon, ça c'est de ma faute, je n'avais pas à suivre cette horde de nazes que sont la plupart des critiques de nos belles revues).
François Bon n'a jamais crié que c'était son grand livre ou le livre de sa vie ou du siècle. Il travaille, expérimente et nous propose le résultat. (Comme une fois où il demandait à ses lecteurs, si ce qu'il avait mis en ligne était un livre, provoquant d'ailleurs une bien belle discussion ). Je respecte et j'admire (dans la mesure ou suis encore capable d'admirer quoique ou qui ce soit. Etre impressionné ou fasciné, captivé, et profiter, oui), mais surtout cela m'intéresse et me nourrit.
Alors de quoi vient nous parler Christophe Donner qui avoue lui-même n'avoir jamais lu un livre de François Bon ? On a tout à fait bien sûr le droit de lire et d'apprécier ou non qui on veut, mais la moindre des choses est de la fermer quand on ne connaît pas ce quoi dont on parle et pour lequel en plus on est payé.
" Pourtant, c'est bien ce qui fait entreprendre récit : on a si peu vu ce qui se passait. C'est cela, l'allégorie ? " (p.13)
C'est là une bonne question et un des intérêts du livre .
Définition élémentaire : " Faire une allégorie, c'est décrire ou raconter quelque chose avec l'intention de signifier tout autre chose. L'image ou le texte allégoriques présentent toujours un sens immédiat cohérent, mais ils trouvent leurs sens intentionnels dans un second degré globalement symbolique. "
François Bon, comme beaucoup de gens et amis font des photos par centaines chaque jour. Il en a fait bien sûr pendant ces quatre heures (cf plusieurs pages de son site, où se trouve aussi le travail du livre en train de se faire) .
Faisant partie de ceux qui ne peuvent s'empêcher à tout bout de champ (ou de chant) de prendre des photographies (tentative pour fixer, arrêter ou retenir quoi, les psys peuvent donner leurs avis sur cette pratique...), je comprends bien et apprécie puisqu'il il n'en met aucune (de photos) dans son livre. (Mais on sait que ce livre-là ne s'arrête pas à l'objet écrit, et qu'il se trouve aussi Ailleurs et autrement sur le Net).
Ce livre n'est pas un reportage, il ne raconte rien, et donne une littérature qui n'a pas besoin de preuves. Au contraire, il s'agit là d'essayer de dire ce qui ne peut être montré (et peut-être, sans doute même à mon avis, et c'est là la réussite de sa tentative, ne pas être écrit non plus) :
" ...c'est ce dont l'image ne saurait témoigner qu'il me faut entreprendre et de rejoindre par le récit. " (même p.13)
Désamorçage assuré et découragement pour l'esthète grincheux : ce livre parle de ce que peut être écrire aujourd'hui (où s'effectue une mutation de civisilisation) à l'heure d'Internet et du reste, en même temps qu'il remet en cause et pose le problème du sujet, (où se trouvent la matière et la substance d'un livre aujourd'hui, de quoi peut s'alimenter l'écriture littéraire ou tout simplement l'écriture est-elle encore possible comme avant, aujourd'hui ?)
" Franchement, m'avait dit mon vieil écrivain quand je lui avais téléphoné quelques semaines plus tard, faire un livre avec ça ? Je sais bien : l'idée du vieux Gustave, un livre sur rien...- la ville..., avais-je dit. - Mais quoi, il avait repris, quelques bourgeois qu'on dérange, et attendant à quelques centaines de mètres qu'on les autorise à réintégrer leurs chambres climatisées, ou reprendre leur ordinateur pour se vanter par wifi de leurs aventures ? "
Comment être plus lucide sur soi-même et critique sur ses propres projet et tentative d'écriture ?
On a tous vécu des instants qui nous donnaient l'impression de contenir notre histoire entière, y compris celle du monde passé et à venir. Cette impression-là est fondatrice du livre, et la tentative d'en parler explique pourquoi ce livre m'a plu.
Ce qui n'empêche pas, en plus, il faut le dire quand même, dans ces 183 pages, de trouver des surprises (la récupération, lors d' un stage à Dreux, de quelques points du permis de conduire), et de faire de bonnes rencontres comme celles de Kafka, Pessoa, Celan, Mandelstam, Cervantes, Céline, Stasiuk (qui aime écouter la musique punk et les Sex Pistols), les frères Rolin (qui nous apprennent que sur l'île d'Anticosti on y mangeait " plutôt mal "), une théorie du tirage-grattage, et j'en passe.
Ce livre n'est qu'une tentative, forcément incomplète, sous la forme classique du livre. C'est là que françois Bon, avec Internet, conformément à ce qu'il pense et explique depuis longtemps sur son site, en même temps et en parallèle, va plus loin, complète, ouvre pistes tiroirs et miroirs supplémentaires, et pose bien le problème de ce qu'est la littérature aujourd'hui.
Il reconnaît et sait tout cela :
" Et tout alors devenu décor : on aurait pu tourner un film, en direct, de ces quatre heures. Un film qui aurait duré quatre heures, comme on s'est tenu fermement à l'idée qu'il faudrait quatre heures continues de lecture pour lire jusqu'au bout ce récit." (p.144)
Là où le livre est réussi c'est qu'il n'est qu'une partie du travail fait, puisque sur Internet on trouve des photos , des vidéos et des sons donc (je laisse cette fois trouver où c'est).
François Bon avec ce livre complété par ce qui est mis en ligne (et qui reste complétable et ouvert) est cohérent et donne réalité à son questionnement et ses idées sur la littérature aujourd'hui.
Sans parler du meilleur et du plus intéressant, en ce qui me concerne : les 34 dernières pages, constituant le chapitre 15 intitulé sobrement Carnet. Remarquable par les doutes, les questions, les reflexions sur l'écriture, " les transparences noires ", les incendies en littérature et en peinture, où on a la preuve une fois de plus que le vrai savoir c'est douter, que l'écriture est sans doute plus puissante que l'image ( "-Qu'aurait photographié cette nuit-là, un vrai photographe ? "(p.152)), qu'on ne fait peut-être pas de littérature qu'avec de l'exceptionnel... C'est dans cette partie du livre où j'ai souligné le plus de phrases que je voudrais garder et ruminer, essentiellement de questions, comme celle-ci :
" Dans l'incendie du Hilton, il ne s'est vraiment rien passé : est-ce que c'est la condition de la littérature, ou la preuve qu'elle est finie ? " (p.168)
Cette question visiblement n'effleure pas Christophe Donner. S'il ne décerne pas à François Bon de brevet de rock'roll (je n'étais pas au courant qu'il avait voulu en passer un, ni d'ailleurs que cette connerie existait), lui n'a pas le brevet de critique et il devrait à mon avis commencer par le début : lire.
Car sous L'Incendie du Hilton couvent de nombreuses braises qui, pour qui aime s'y réchauffer, montrent que souvent un feu en cache un autre.
Je conseille à toute personne intéressée par la littérature d'aujourd'hui, époque de mutation profonde, de lire ce livre car il explore en la défrichant une des perspectives possibles pour la littérature de demain.
Pour ceux qui apprécient et connaissent bien le travail de François Bon, ce livre constitue en plus un très bon marque-page de son oeuvre " in progress" .