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Samedi 9 avril 2005........ ...................................................................... ...hier ......Avant-hier
D'où elle vient cette Simonetta Vespucci ?
Avant d'essayer de le savoir, il me faut répondre à Berlol, qui s'est attardé un peu sur sa poitrine dans le portrait fait par Piero di Cosimo, qui est au musée de Chantilly. dans un mail reçu ce matin, il me fait part qu'il lui trouve un sein plus haut que l'autre :
" ...aujourd'hui je la retrouve et je me rends compte qu'elle a un sein plus bas que l'autre, ce qui est plutôt une erreur de perspective, ou une distorsion volontaire de la part du peintre. En effet l'axe reliant les épaules permet de postuler, presque parallèle, celui reliant les seins, or le droit est beaucoup plus bas que cet axe. Cependant, si le peintre avait respecté cet axe, le sein droit serait plus haut, paraîtraît donc plus de profil et devrait être un peu caché par le gauche. Entre la perspective et la concupiscence, il a coupé la poire en deux, Cosimo."
Ce n'est pas facile à vérifier !
Le problème est que la jeune femme émerge d'un écrin formé par un châle précieux, qui certes suggère un statut princier au modèle (coiffure extrêmement savante, bijoux, château à l'arrière-plan...), met en valeur ses épaules, la rondeur de ses seins et la ligne fluide de son cou, mais cache son épaule droite, rendant impossible de pointer l'endroit précis de l'articulation, et donc aussi de tracer l'axe des deux épaules dont parle l'ami Berlol. Expérience faite sur un tirage papier, à un millimètre près, les axes sont parallèles ou ne le sont pas !
Bien sûr, faire sortir le corps de ce châle comme un gland du prépuce, n'est pas sans communiquer au spectateur que je suis, non seulement un sentiment de beauté précieuse, mais aussi une forte sensualité pour ne pas dire un autre type d'érection.
Faut-il vous l'envelopper ? J'ai dit hier que ce tableau est posthume. Notre Piero, notre énergumène, le fait donc de tête, avec son intelligence provocatrice habituelle mais aussi...son inconscient...et le mien.
Femme/phallus , je sais certains vont dire que je dis n'importe quoi.
Bof, oui peut-être. Et alors ?
Bof, non je ne crois pas. Berlol voit un sein plus haut que l'autre, c'est vrai puisqu'il les voit ainsi, je vois dans cette Beauté un phallus, c'est vrai puisque je le vois (et encore je vous ai épargné les deux "sphères" poitrinales à la base de ce cou élancé !).
Mais TOUT ce tableau est fait d'antithèses ! Je ne rêve pas :

Le ciel
Il fait jour ou il fait nuit ?
Qu'est-ce que c'est que ces nuages aux couleurs étranges ?
Il y en a des sombres (et y'a pas beaucoup de lumière dans le paysage) mêmes des bien foncés, il y en a des clairs et bien lumineux.
Alors, c'est le jour ou c'est la nuit ?
Il fait beau, il pleut ou c'est l'orage ?
Si on regarde la distribution de la lumière sur les bords des nuages, et celle de l'ombre des arbres, on peut en déduire que le soleil est encore assez haut. Mais si on regarde le paysage (j'y reviendrai à celui-là) il est peu éclairé et par endroit vraiment "vespéral".
Le paysage
Mais quel paysage ? Il n'y en a pas ! Du tout inventé, du pur fabriqué qui n'existe pas.
Pas le paysage, mais les paysages, construit d'antithèses ou si vous préférez de contradictions, un collage.
À gauche :
" il évoque les collines de Toscane, la vue de Florence depuis les jardins Boboli mais l'étendue d'eau est beaucoup trop vaste pour figurer l'Arno, le fleuve sur les bords duquel Florence est construite. Un liseré d'écume qui accroche la lumière fait plutôt penser à la mer et inscrirait ainsi Simonetta dans la lignée de la Vénus de Botticelli. La tour crénelée peut suggérer le palais Médicis mais de Florence, on ne voit pas la mer." ( dossier pédagogique du crdp d'Amiens)
À droite :
"un escarpement gris derrière les arbres suggère un relief tourmenté, peut-être un lac, un vallon solitaire, ou une plaine couverte de brume plongée dans la lumière déclinante du crépuscule."
En bas :
"...à l'arrière-plan du buste, la terre offre, par son étendue lisse et ses couleurs chaudes, un contraste saisissant avec le haut de la composition."
Et puis si on regarde bien, les deux blocs de paysage, non raccordables, ne sont là que pour encadrer le corps de Simonetta et s'encastrer dans la découpe de sa nuque et du creux de son cou.
Le paysage n'est pas un véritable lieu. Il ne valorise que le corps, le met en avant pour le rendre seul relief et sujet du tableau. (Et encore, c'est pour dire vite car le sujet du tableau est ailleurs).
La forme des nuages suit la découpe du profil, celle des collines suit celle des épaules et du châle...
Le paysage devient l'aura du corps, ce qui s'en dégage. Il est donc portrait aussi et donc reflet symbolique.
On a déjà vu Piero di Cosimo à l'œuvre quand il se met dans le symbolique (cf La mort de Procris dans sa version alchimiste) : c'est le meilleur.
Il s'agit d'une d'une composition de contrastes et d'antithèses :
nuit/jour, beau temps/sale temps, Obscurité/lumière (la seule vraie lumière est captée par le visage, peint "légèrement surexposé"),
Présent/passé (portrait posthume), Vie/mort, Pleine santé versus tuberculose à 23 ans...sans parler du serpent.
Il assume des fonctions contradictoires et complémentaires en même temps. Il s'enroule autour d'une chaine en or faite de maillons qui sont autant d'écailles reptiliennes, et qui font que la chaine est elle même serpent. Les tresses torsadées et entrelacées de perles (elles-mêmes entrelacées) jouent de la même métaphore.
Le serpent est à la fois le Mal, la tentation, la séduction, mais aussi la vie éternelle dans le christianisme primitif, tout en créant une force érotique certaine due au contact de son corps avec la peau si fine de la belle Simonetta.
Attirance/répulsion,
Beauté idéalisée sublimée universelle de la Renaissance/Beauté diabolisée du Moyen-âge.
Le serpent est là aussi pour dire le mal qui la ronge invisible (intérieur) qu'elle porte dans cette poitrine si belle de l'extérieur.
Intérieur/extérieur.

Que faire face à ce destin tragique ?
Piero di Cosimo est idéaliste : Simonetta reste de marbre. Elle ne montre rien, garde tout en elle : elle regarde devant elle, loin, étrangère à ce qui se passe, à son environnement, à celui qui la peint ou la regarde.
La lumière sur son visage lui donne calme, sérénité intérieures.
elle devient la Perfection, l'Éternité.
Mais c'est un leurre bien masqué, ne l'oublions pas.
Tout est à l'image de ce tableau, fait d'ambiguités, de contradictions, de binômes antithèsiques.
À droite du tableau les arbres sont vivants, avec de belles feuilles. À gauche, prenant presque tout l'espace, un grand arbre n'est plus que carcasse qui dresse désespérément vers le ciel ses branches mortes..
Mais je n'ai pas répondu à ma question première. Qui était Simonetta Vespucci ? D'où venait donc donc cette éphémère éternelle ?