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Mardi 12 avril 2005 Hier Avant hier
En faisant hier un portrait rapide des deux frères Médicis, en opposant Julien, l'amant de Simonetta, beau, mort tragiquement assassiné, à Laurent le Magnifique, moche comme un pou et "ambitieux, autocrate, répressif, calculateur mais habile car intelligent", amoureux lui aussi de Simonetta, je fus pris dans la nuit d'une sorte de remords ou de doute étonnants et assez excitants pour que je me décide à en savoir un peu plus sur ce dernier.
Il y avait aussi dans ma réaction, le fait que j'avais cité le livre de Germán Arciniegas (Le monde de la belle Simonetta)et volontairement passé sous silence le livre de Jack Lang (pour la mauvaise et unique raison que je ne l'aime pas, pour ce que m'en ont raconté toutes les personnes qui l'ont bien approché voire courtisé quand il était aux côtés du Prince).
On ne peut pas dire que son livre est inintéressant, je l'ai lu, mais on sent tellement comment il a été trop vite fait, en lisant à la dernière page les remerciements des 13 spécialistes ou documentalistes ...qui lui ont réuni "la documentation" ou lui ont fourni " de "judicieux conseils", qu'on en reste bien sûr sur sa faim.
On comprend aussi ce qui fascine J. Lang : pour lui, Laurent Le Magnifique incarne " la figure éternellement moderne du héros en politique".
Ça ne vous fait pas penser à un autre " ami des arts " qui aurait bien aimé l'être ou le devenir ?
Donc de retour d'un autre aller et retour à Verneuil, je cherchais ou lisais ce que je trouvais sur Laurent le Magnifique quand je suis tombé sur une série de 4 tableaux de Botticelli que je ne connaissais pas et qui raconte une histoire extraordinaire, qui a illuminé ma journée plus que la nouvelle rabâchée que Johnny Hallyday ne pourrait pas récupérer ses disques.
C'est l'histoire de Nastagio degli Onesti. Elle est tirée de la huitième nouvelle de la cinquième journée du Décaméron de Boccace, écrit entre 1348 et 1351 juste après la grande peste qui avait décimé la population de Florence.
Cette nouvelle (texte complet) commence très fort. À Ravenne, le jeune et richissime Nastagio degli Onesti supplie en vain la fille de Paolo Traversari de l'épouser et se fait repousser avec une particulière cruauté. Sur les conseils de ses amis, malgré une vie remplie de fêtes, il se retire à la campagne et un jour qu'il se promène seul dans la fôret, début mai un vendredi , il voit une femme nue poursuivie par deux chiens qui la déchirent et par un cavalier qui la transperce de son épée. Waaaao !
Ça commence donc fort et c'est un sujet en or pour Botticelli. Cette histoire qu'il va peindre en quatre grandes toiles (1,83m sur 83 cm) en 1483, juste après Vénus et Mars, est une commande faite par Laurent le Magnifique pour faire un cadeau de mariage à son filleul (famille Pucci et Bini) pour orner le lambris de son salon d'honneur.
L'histoire de ces tableaux est surprenante puisqu'aujourd'hui trois sont, depuis 1940, au Prado à Madrid, et le quatrième est dans une collection privée américaine. Les trois premiers sont donc bien connus, moins bien le quatrième car le collectionneur a toujours refusé de le laisser photographier. Rassurez-vous, on en a des photos quand même.
Alors alors, la suite !
Bien sûr le jeune Nastagio, voyant cette terrible scène, son sang ne fait qu'un tour, et il veut défendre et venir en aide à la jeune femme. Il s'arme d'un bâton et se dirige vers les chiens pour les détacher de la pauvre fille. C'est alors que le cavalier se met à lui crier dessus et le prie de ne pas se mêler de cette histoire !
( " ...- Nastagio, ne te mêle pas de nos affaires. Laisse les chiens ; laisse-moi punir cette criminelle : elle le mérite.
Comme il disait ces mots, les chiens happent la jeune femme par les flancs et l'arrêtent. Le cavalier les rejoint et descend de cheval. Nastagio qui s'est approché, s'écrie :
- Je ne sais pas qui tu es pour si bien me connaître. Je n'ai qu'un mot à te dire. C'est lâcheté vile, qu'un cavalier en armes s'apprête à massacrer une femme nue, en lâchant des chiens à ses trousses, comme on le fait pour une bête sauvage. Sois sûr que je la défendrai de toutes mes forces.
Alors le cavalier : ...
"
(traduction de jean Bourciez, professeur à la faculté de Montpellier)
Il lui explique alors ce qui se passe...
Mais regardons la scène peinte, l'épisode no 1.

On voit que Botticelli est assez fidèle dans les détails à Boccace. Nastagio a bien un bâton, la jeune fille est bien nue, le chien ( et non plusieurs comme dans le texte de Boccace) lui mord la fesse (oui, ce n'est pas tout à fait les flancs)... Bon, le cheval du poursuivant a l'air de planer un peu dans les airs... À noter que dans le texte on ne donne pas le prénom de la jeune fille alors que le jeune homme est apostrophé par son prénom... Et puis dites donc, une histoire complètement païenne, sans anges, sans saints ou saintes, sans bon dieu dans les airs, ni dieux grecs, par les temps qui courent, ça fait du bien non ?
Il faut vous dire, parce que c'est bête et que ça ne devrait intéresser personne, que ce qui m'a sauté aux yeux, tout de suite, au tout début, à la première vision du tableau, c'est que, à cause d'un bateau à gauche sur la lagune, j'ai vu (cru) que le ruban noir du chapeau du jeune type passait derrière les arbres, ce qui était normalement absolument impossible et j'ai aussitôt pensé au tableau Carte blanche De Magritte (fait en 1965). Mais je n'avais pas vu devant l'arbre, le petit bout blanc qui termine le ruban.
Faut dire aussi que la forêt de Botticelli avec ses 27 arbres bien rigides et verticaux comme des poteaux électriques (sans compter les quatre souches) est assez insensée, à la fois en bord de lagune, (la mer est au loin) avec des montagnes qui ressemblent à autant de cônes volcaniques. Pas facile de chevaucher dedans en poursuivant une femme nue, qui doit avoir aussi du mal à y courir pieds nus !
....
Que fait aussi l'autre type à gauche dans cette histoire ?
En fait c'est un clône parfait (même tenue rouge, même châpeau noir avec ce fameux ruban noir au bout blanc, qui est du plus bel effet soit dit en passant sur son torse) du premier : c'est donc le même.
Le génial Botticelli raconte donc plusieurs scènes dans le même tableau. Celui de gauche représente Nastagio quand il vient de quitter ses copains (tente à l'extrême gauche du tableau) avec lequel il faisait la fête, pour oublier qu'il s'est fait jeter par la fille Traversari. Il part faire une ballade solitaire dans les bois.
Deux images de la même planche ! Comme en BD...
Version moderne : à gauche, on voit Nastagio qui pour se dessaouler d'une beuverie avec ses copains, part faire un tour en forêt pour souffler un peu et prendre un bol d'air frais. Quelques instants plus tard, il s'apprête avec un bâton à défendre une fille attaquée dans les bois par un chien...et par un fou furieux qui semble lui vouloir beaucoup de mal sinon la trucider...
- Bon mais qu'il lui raconte alors ?
- C'est incroyable, et le tableau du deuxième épisode aussi...
Mais j'ai pas le temps maintenant, demain matin je vais chez le notaire acheter une maison.