Nov. 04 Dec 04 Jan 05 Fev 05 Mar 05
jeudi 31 mars 2005........ ............................................................................... ...hier ......Avant-hier

Pour ses admirateurs sachez que cet été, du 11 au 18 juillet aura lieu le colloque Walter Benjamin qui fera sans doute date, au château de Cerisy dans la Manche (les célèbres colloques de Cerisy !).
Le CCIC (Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle) en donne l'argument, les communications et les interventions plastiques sur son site . Ce colloque sous la direction de Bruno Tackels est plus que prometteur quand on y lit le détail des interventions prévues (ex : Blanchot avec Benjamin par Christophe Bident, Benjamin et Klee face à l'histoire par Christine Buci-Glucksmann...)
Profitons-en au passage pour noter début août Présence de Beckett, et quinze jours après l'Internet littéraire, et fin septembre Georges Perros, contrebandier de la littérature !(Tiens en voilà un encore qui n'est pas assez connu ou reconnu !)
À noter aussi de prévue à ce colloque, une intervention plastique de Dani Karavan, auteur de l'Hommage à Walter Benjamin, installé à PortBou, réalisé au début des années 90 (avoue y avoir travaillé de 90-94), et qui avait été commandé par the Frankfurt walter Benjamin Society pour se souvenir de la mort de Walter Benjamin qui s'est suicidé à PortBou le 27 septembre 1940 alors qu'il s'apprêtait à passer la frontière pour fuir l'Europe, pourchassé par les nazis, .
Ce mémorial appelé passage est aussi un hommage à tous les malheurs subis par les émigrants du XXé siècle, et plaide pour la tolérance et la communication " transculturelle".





il y a un cimetière, une terrasse, un escalier, de l'acier, la mer...
Comme la plupart des oeuvres de Karavan il ne s'agit pas d'une oeuvre à regarder, mais d'une oeuvre à voyager physiquement. " Il doit s'agir d'une promenade, ou d'un voyage vers l'étranger, et non d'une œuvre proposée, passivement, au regard, ni simplement destinée à faire réfléchir, à vous impressionner et puis vous laisser repartir, c'est une expérience physique de l'étranger;".
L'idée de déplacement est prépondérante chez Karavan. Dans un très long et passionnant interview/entretien de Alain Le Pichon ce dernier soulignait que " En l'occurrence, dans cette oeuvre dédiée à Walter benjamin, la magnifique promenade est un mouvement de la nature elle-même, partant de la montagne et descendant vers la mer, et ceci à partir d'un point qui est la mort de benjamin, cet arrêt dans son propre mouvement, puisque la mort a mis un terme à son voyage; et d'une certaine manière, cela peut-être interprété comme un échec." dans ce long entretien, Karavan décrit la démarche qui l'a conduit à ce couloir/escalier:
"Quant à Walter Benjamin, le lieu ne m'était pas donné, on m'a demandé un monument à Port-Bou en hommage à Walter Benjamin, je préfère dire un hommage. J'ai cherché le meilleur endroit, j'étais vraiment hésitant. Et puis, j'ai pensé qu'il devait être près du cimetière. Walter Benjamin n'était certes pas venu à Port-Bou pour cela, pour y être enterré. Mais le fait est qu'il y fut enterré, sans l'avoir voulu. J'ai regardé autour de moi, la deuxième fois où je suis venu, j'ai vu ce tourbillon au pied de la falaise, j'ai pensé : c'est vraiment l'histoire de cet homme. Ce tourbillon a été le premier point de mon projet. Puis je me suis demandé comment y amener les gens. Un corridor, un escalier dans la falaise, n'est pas en soi un objet d'art. Il est là simplement pour amener les gens jusqu'à la mer voir le tourbillon. Ainsi, j'avais un point, et j'en cherchais un autre. Je me suis dit : si ce phénomène existe, la nature peut me proposer d'autres éléments. Alors, est venu l'olivier, qui représente la lutte pour la vie contre les rochers, les pierres, le vent salé et violent : voilà le deuxième point. Puis j'ai trouvé le troisième, avec la haie, obstacle entre la vue et la mer, l'horizon, la liberté, et de l'autre côté, simplement, le bruit des trains qui s'en vont. Ce fut le troisième point. On redescend, et l'on revient au point de départ ; cela devient une sorte d'anneau, mais c'est aussi le chemin qui m'a conduit à la découverte de choses qui sont venues d'elles-mêmes, au fur et à mesure que je concevais mon travail. Quand vous remontez de la mer, du tunnel vous ne voyez que le ciel. Vous arrivez à la lumière et vous ne pouvez avancer, parce qu'il y a un mur de pierre. Vous arrivez à la lumière, à l'espoir, et de nouveau, vous êtes bloqués. Vous ne pouvez passer, vous ne pouvez que tourner en rond, et grimper avec difficulté dans la falaise, dans les rochers. J'ai demandé qu'on laisse les choses ainsi, qu'on ne prévoie pas de chemin aménagé. Je voulais que les gens ressentent physiquement la difficulté de ce cheminement. Vous montez à l'olivier, puis vous arrivez à la plateforme, au grillage, enfin à l'endroit où il fut enterré. On dit que c'est là, mais on ne sait pas où. C'est donc une histoire très narrative, mais ce n'est pas une illustration de l'histoire. L'histoire s'adapte elle-même à une situation existante. L'histoire est découverte par la situation que je crée. Et cette histoire est tangente, tangenziale, comme disent les Italiens, à l'histoire de Walter Benjamin. C'est comme un dialogue avec la mer, le ciel, la pierre, le bois, les couleurs, la matière, les sons, et quand vous descendez, avec le verre, la paroi, le parapet de verre qui est là en guise de protection. Et beaucoup d'autres choses que les gens investissent d'eux-mêmes. Quand ils descendent, m'ont dit certains, ils ne voient pas le verre et prennent peur. Encore une sorte de tangenziale, le sentiment de peur qu'on a lorsqu'on passe une limite : que va-t-il arriver, vont-ils tomber dans l'eau ? Je n'y avais pas songé. La nature est beaucoup plus riche que l'imagination, et le dialogue avec la nature, avec la mémoire, ouvert à l'infini."
Sur la vitre qui ferme cette descente, et qu'on ne voit pas forcément au début, cela dépend de l'éclairage, il y a gravé deux phrases de Walter Benjamin :
"Honorer la mémoire des anonymes est une tâche plus ardue qu'honorer celles des gens célèbres. L'idée de construction historique se consacre à cette mémoire des anonymes".


Dani Karavan né à tel Aviv en 1930 est connu mondialement pour ses installations monumentales en plein air, dans des environnements spécifiques et/ou symboliques. Il déclare que son oeuvre est entièrement dévouée aux droits de l'homme et à la paix : " Je ne sais pas si l'Art peut vraiment éviter la discrimination, sauver des vies, je ne sais pas. Je ne sais pas si "Guernica " a vraiment réussi à sauver des vies; Je ne sais pas, mais même si je ne sais pas, je le fais et j'essaie de le faire partout.".
Biennale de Carrare, l'Axe Majeur de Cergy-Pontoise (œuvre monumentale de trois kilomètres, marquée par douze stations ou passages ( lire le projet et ses étapes)...

Je ne détaille pas son travail, on peut voir, commentés par lui-même, tous ses grands travaux (Monument du Negev, le Chemin des Droits de l'Homme à Nuremberg, le Chemin vers le jardin secret de Sapporo...) sur l'excellent site de la culture, pages faites à l'occasion d'un colloque Art et Architecture où Karavan a fait une remarquable intervention.

Je signalerai juste qu'il a reçu en 1998 le Praemium Imperiale japonais qui est une sorte de Nobel des arts). Quand on voit les lauréats des années passées, on sait que c'est, comme on dirait chez moi, du "sérieux et du costaud".