Comment passer de la Tour rose au cerveau chez l'enfant
ou : d'un tableau l'autre...

grâce à Julien Gracq...
Samedi 19 février 2005
C'est la deuxième fois que Joëlle C. m'envoie un tableau de Chirico. Elle sait combien à chaque fois cela me fait partir et voyager, prendre de la distance avec Nogent le Rotrou... Manière à elle de m'offrir un " voyage immobile ".
Aujourd'hui il s'agit de la Tour rose, tableau peint en 1913, de 73,5 cm de haut, et 1m (et un demi centimètre) de large.
Dans les « Carnets du grand chemin » de Julien Gracq on en trouve une évocation brillante.
Le thème de la tour est omniprésent dans l'œuvre de Chirico. Il aurait beaucoup de choses à trouver...


A noter que la dernière composition du saxophoniste Johan de Meij The Red Tower ("La Tour Rouge") composée en 2000 est inspirée par ce tableau du même nom a obtenu le premier Prix du Concours International de Composition du Sultanat d’Oman.
À propos de Le cerveau chez l'enfant dont parle Gracq, il faut lire le texte : "Un refuge contre tout le machinal du monde" l'appartement d'André Breton vu par Julien Gracq, sur le site de remue.net
"Rien n'a changé ici depuis sa mort: dix ans déjà! Quand je venais le voir, j'entrais par la porte de l'autre palier, qui donnait de plain-pied sur la pièce haute. Il s'asseyait, la pipe à la bouche, derrière la lourde table en forme de comptoir sur laquelle le fouillis des objets déjà débordait - à sa droite, alors au mur, le Cerveau de l'enfant de Chirico 2 -,peu vivant lui-même, peu mobile, presque ligneux, avec ses larges yeux pesants et éteints de lion fatigué, dans le jour brun et comme obscurci par des branchages d'hiver ..."
1- Rappelons que dans Clair de terre, recueil de poésies, 1922, André Breton a écrit cinq rêves tous dédiés à Georges de Chirico. L'édition originale des trois premiers de ces rêves s'accompagnait de la reproduction d'une de ses toiles, le Cerveau de l'enfant (1914), que possédait André Breton.
2- C'est ce tableau que Yves Tanguy en 1923, alors qu'il était encore conducteur de tramway, découvre dans une galerie parisienne et qui détermine chez lui la décision de devenir peintre.
On trouve aussi dans plusieurs sources la même influence de ce tableau chez Magritte.
3- Dans toutes les histoires littéraires, on peut lire aussi que c'est ce tableau, parce qu'il l'avait profondément touché, qui fit que Prévert aurait sollicité à Michel Leiris qu'il lui présentât le groupe surréaliste, et qu'il a donc connu Breton au deuxième semestre de 1925.
4- Breton vendit en 1964 ce tableau pour pouvoir acquérir un grand "Uli", effigie d'ancêtre du nord de la Nouvelle-Irlande qu'il pistait depuis 30 ans (Cette même effigie a été revendue, le 17 avril 2003, vente honteuse si décriée de la collection Breton, 1,1 million d'euros (hors frais), soit l'enchère la plus élevée de la soirée, prix si élevé qu'il interdit au futur musée du quai Branly de la préempter).
5- Mais il vendit aussi en 1964 le cerveau et l'enfant (au Moderna Museet de Stockholm, pour 250 000 F), pour se mettre définitivement à l'abri du besoin, car il ne vivait qu'avec ses droits d'auteurs ! Ce qui explique qu'il lui est arrivé de vendre tout ce qu'il avait de quelqu'un dès qu'il se fâchait avec lui...lorsqu'il se fâche avec Aragon, il file chez un bouquiniste vendre les tirages de luxe de son ancien ami (mais en oublie deux, que l'on retrouvera à la vente); pour financer les vacances de sa fille, il se défait, non sans douleur, d'un dessin de Magritte ou d'une statuette de Colombie-Britannique...
Mais qu'a donc ce tableau de spécial?
Qu'y voir ? Qu'y a-t-il à y voir ? Y-a-t-il autre chose à voir qu'un monsieur à moustache, torse nu, devant un livre posé (avec un ruban rouge qui marque une page) sur une table ?
Quand même, déclancher la vocation de Magritte, Tanguy...faut le faire non ?

Inquiétude et recherche toute la journée... La pièce est rare : l'analyse faite par Breton lui-même...
Ah ce Chirico !(revoir Le cerveau et l'enfant en grand )

Une des pièces vendues (lot 2384) le samedi, 12 avril 2003 à 14:30 (Adjugé 600 euros.) fut un tapuscrit sur papier à en-tête de Médium, avec ratures et corrections à l'encre de Breton d'un texte titré : « L'épreuve de Robert Melville » et relatif à ce tableau de Chirico Le cerveau de l'enfant
... « Dans le Cerveau de l'enfant, la furie de l'enfant nous met en présence du plus grand de ces ennemis. C'est une image maligne et jalouse du père »... « Les yeux du père sont fermés. Et ceci pour la simple raison que l'enfant n'oserait le regarder s'ils étaient ouverts... »
Je ne résiste pas , tellement ce texte est intéressant à lire face au tableau à le reproduire ci dessous en grand. (il n'est pas si lourd à charger,100ko). Psychanalystes à vos papiers !
Etonnant !
Rappel : autre page sur Chirico (tableau : l'énigme d'une journée et questionnaire de René Char)cf journal du 18 novembre 2004