Vendredi 11 mars 2005
J'ai abandonné hier soir le diptyque de Gérard David sur la vision de chiens qui visiblement n'étaient pas perturbés par ce qui se passait au-dessus de leurs têtes...
Deux chiens galeux, qui l'un se grattait les puces et l'autre se léchait les c..., et avec la Bibiche raffinée du juge Sesamnès qui ne savait pas encore qu'il allait passer un sale quart d'heure.
je voudrais aujourd'hui pour oublier la torture (et rassurer Nicolas K. qui m'a envoyé dès l'aube un mail de Nouvelle - Calédonie qui croyait que je défendais la torture... Ce qui n'est bien sûr pas le cas), partir dans un autre tableau où les chiens me sont beaucoup plus sympathiques.
Il y en a quatre au total. Un gros gentil, tout doux tout calme, la fidélité même, au premier plan du tableau, et trois autres qui jouent plus loin, au bord d'un fleuve.
En fait il s'agit de deux chiens de chasse (les marrons) et de deux chiennes (une noire et une blanche) qui ont l'air de se battre (vu leur posture respective) sous le regard des deux autres. Il y a aussi des oiseaux.
Un faux cygne (car si l'on s'approche vraiment on s'aperçoit qu'il s'agit d'un pélican) mais aussi des hérons cendrés. Plusieurs sont en vol, trois autres cherchent pitance au bord de ce fleuve ou cet estuaire un peu grisâtre. On reconnaît des typhas ou massettes, typiques des plantes du bord de l'eau ou de paysages aquatiques.
De l'autre côté du fleuve, au loin donc, on voit une grande ville, commerciale ou portuaire vu le grand nombre de bateaux stationnés aux alentours. Si ce tableau ne datait pas de 1500, on pourrait imaginer des fumées d'usine et des manufactures, penser au Havre, Dunkerque ou Saint Nazaire.
Le peintre plante finalement un décor assez triste. le ciel est incertain, l'espace est sans contours nets, sans lignes de fuite logiques et nettes. Peu de perspective...
J'ai oublié de vous dire bien sûr, qu'au pied du chien (qui s'appelle, allez je vous le dis, Laelaps, il y a sa jeune et belle maîtresse si désirable dans ses voiles rouge et or , allongée sur le sol.
Il veille sur elle, car il est la fidélité même.
Il la veille aussi, car elle est morte.
Tuée à la chasse par son mari qui l'aime de toutes ses forces, mais qui l'a confondue, cachée dans les bois, avec son gibier...
Il ne s'agit pas d'un simple accident, c'est un drame et pas n'importe lequel : un drame de la jalousie.
L'histoire est compliquée, mais je la raconterai un jour. Mais rassurez-vous, elle n'est pas de moi.
J'inventerais pas des trucs comme ça, c'est " trop terrible " comme diraient mes (jeunes)filles.
Elle s'appelle Procris, lui s'appelle Céphale. Dieu qu'elle était belle...
Qui est celui qui la pleure ? Céphale qui découvre sa méprise et réalise qu'il vient vient de tuer son amour ?
Dans les Métamorphoses d'Ovide, oui.
Dans d'autres tableaux oui.
Mais pas dans ce tableau.

Car ce tableau a été peint par Piero di Cosimo, un drôle de type.
Il n'a jamais voulu s'appeler comme son père " di Lorenzo ", mais comme son vieux maître, qui était pourtant moins bon que lui (Cosimo Rosselli), et avec lequel il est resté quand même 25 ans, jusqu'à sa mort.
Vasari, dit de lui qu'il ne faisait jamais rien comme tout le monde, qu'il vivait comme " un sauvage ", qu' " il ne permettait pas pas qu'on pioche le jardin ni qu'on taille les arbres " et va même jusqu'à écrire : " Il vivait plus comme une bête que comme un être humain".
L'historien d'art bien connu Erwin Panofsky, qui ne le considérait pas comme un grand peintre écrit quand même qu'il est "un maître extrêmement captivant et charmant " et que ses tableaux exercent " une séduction étrange ", que leur sujet est " aussi peu habituel que leur style" ! Tu l'as dit...Panofsky.
Quant à ses contemporains ils le trouvaient tous " extravagant" bien sûr.
Que penser d'un type qui au carnaval de 1511 remplit " la ville de terreur et d'admiration " en se balladant sur un char énorme qu'il avait conçu bien sûr, où tout en haut trônait la mort avec autour pleins de tombeaux fermés qui s'ouvraient dès que les gens approchaient et d'où sortaient des squelettes qui chantaient à tue-tête le Miserere ?
" D'humeur capricieuse, capable des inventions les plus bizarres" Piero di Cosimo va comme à son habitude faire de cette histoire d'Ovide (tirée du livre 7 des Métamorphoses ) tout autre chose qu'une simple mise en garde contre la jalousie. On verra quoi. Mais sachez d'abord qu'il a pris un panneau de taille complètement inhabituelle (65 cm sur 1,83 m), et qu'ensuite...
Mais il faudrait peut-être connaître d'abord cette histoire de jalousie non (et comment et pourquoi ça se termine si mal) ?
De plus j'imagine que :
- vous voulez savoir qui pleure la belle Procris
- vous voulez voir au moins une fois La mort de Procris en entier.
Et bien voilà...
D'abord le type n'est pas un type, et il ne pleure pas la belle.
Il s'agit d'un faune ou satyre. Il est beau, il a l'air sympa et il est vraiment ému non ? On en reparlera.
Allez, je ne serai pas vache à vous dire qu'il est tard et que je tombe de sommeil (ce qui est vrai) et que je vais me coucher... Le voilà donc, vous le méritez bien.
Il est à la National Gallery de Londres.