vendredi 13 février 2009 : L'oiseau de Marrakech ou : connaître le nom des choses
(ou : entrée momentanée dans le journal complet et le reste du site)
vendredi 29 mai 2009 : Quand on arrête de mettre son journal en ligne, rien ne s'arrête...
mercredi 26 août 2009 : Pourquoi j'aime l'Incendie du Hilton de F.Bon

jeudi 27 août 2009 : Anticosti ou : l'incendie du Hilton mène à tout à condition d'y entrer...
vendredi 28 août 2009 : j'ai retrouvé mes photos d'Anticosti dans celles de l'incendie du Hilton
samedi 29 août 2009 : En même temps que le Hilton, à l'autre bout du pays une cabane brûle encore...à Dollarton.
dimanche 30 aout 2009 : dans L'incendie du Hilton il brûle aussi le tableau d'un inconnu.
D'un incendie à l'autre, comment approcher le réel ?
où : comment cacher un hommage sous un tableau

Dans l'incendie du Hilton François Bon évoque dans une note de son carnet (p.153) les incendies en littérature, en peinture, et donne les noms de Dostoïevski, Tolstoï et Malcolm Lowry, et fait référence au Grand incendie de Londres. Si cette mise en italique indique bien le titre du tableau icône de l'évènement historique que nous avons reproduit hier, elle cache aussi, à mon avis, une référence à l'un des plus grands écrivains d'aujourd'hui, dont une pièce maîtresse, sinon la pièce maîtresse, s'appelle elle aussi Le Grand incendie de Londres, à savoir Jacques Roubaud.
Et sans avoir à le prouver, le travail que mène François Bon, depuis quelques années sur Internet et après une vingtaine de livres, même s'il n'est pas comparable (n'ayant pas par exemple la volonté autobiographique de Roubaud), m'y fait penser et l'incendie du Hilton n'est dans cet ensemble, pour faire référence à Jacques Roubaud, qu'une " branche ".
"Rêve du 5 décembre 1961 : Dans ce rêve, je sortais du métro londonien. J'étais extrêmement pressé, sous la pluie grise. Je me préparais à une vie nouvelle, à une liberté joyeuse. Et je devais pénétrer le mystère, après de longues recherches. Je me souviens d'un autobus à deux étages, et d'une demoiselle (rousse ?) sous un parapluie. En m'éveillant, j'ai pensé que j'écrirais un roman, dont le titre serait Le Grand Incendie de Londres, et que je conserverais ce rêve, le plus longtemps possible, intact."
Le grand incendie de Londres n'est pas un livre comme les autres, ce n'est qu'un élément, un premier volet, paru en 1989 d'une des entreprises majeures (projet maintes fois annoncé, reporté, annulé, remis en chantier, mais qui avance) de la littérature contemporaine, et qui l'a occupé dès 1960, et dont il est très difficile de parler.
..
Il s'agit en fait d'une machine infernale, inépuisable, qui donne au lecteur l'impression de partir dans tous les sens, avec en plus ce qu'il appelle les " entre-deux branches ", livres qui éclairent le projet inabouti car sans doute inhumain (infaisable).
L'impressionnant est sa réflexion et son utilisation des parenthèses (souvent emboîtées) et qui rendent son travail hypertextuel, ramifié, rhizomique, ce qui est rendu plus facile aujourd'hui sur Internet grâce aux liens http, ce que François Bon justement exploite dans son travail. Oeuvre totalement moderne donc, entreprise avant qu'Internet existe, donc prémonitoire aussi.
Cette tentation d'autobiographie complète incluant le monde, même s'il l'a déclarée comme échec ou abandonnée, continue en fait de se faire au fil de ses livres et de son oeuvre.
On pourraît déclarer aujourd'hui le Grand incendie de Londres comme un projet initial prévu en 6 " branches " (terme médiéval) devant comporter chacune un nombre identique de " moments-prose ".
Dans une bibliographie comportant plus de 500 références, elle se compose aujourd'hui de 7 livres dont le dernier (la dissolution) paraît, sauf rebondissement, être l'ultime volume :

Le grand incendie de Londres. Récit, avec incises et bifurcations [la destruction] , Paris, Seuil (Fiction et Cie), 1989, 418 p.
La Boucle, Paris, Seuil (Fiction et Cie), 1993.
(lire l'excellente analyse universitaire de Nathalie Barberger)
Mathématique :, Paris, Seuil (Fiction et Cie), 1997 [première moitié de la Branche 3].
("Les gens qui aiment ce genre de choses trouveront que ceci est du genre des choses qu'ils aiment")
(Voir l'excellente interview video prise à La Baule en juillet 2008)
La Bibliothèque de Warburg – version mixte, Paris, Seuil (Fiction et Cie), 2002.
"avancer sans hésitation, mais surtout ne pas hésiter à accueillir les parenthèses qui menacent de s'ouvrir, et les chemins alternatifs qui se présentent au narrateur." (la version étendue et complète comprend Tokyo infra-ordinaire, intégralement en ligne version colorée presque hypertexte (Alors...Internet Monsieur Roubaud ?)
Impératif catégorique, Paris, Seuil (Fiction et Cie), 2008
[deuxième moitié de la Branche 3].
(voir l'interview de la Baule quand le livre venait de paraître)
La Dissolution, Caen, éditions Nous, 2008.
(extrait lu par J.Roubaud))
Si vous lisez bien, vous voyez que ce n'est pas simple, car Impératif n'est pas la sixième branche (la dernière) mais la seconde partie de la Branche 3 !
Qu'importe aussi ! ce qui est intéressant c'est ce grand massif de prose férroviaire , ces labyrinthes tunnels et couloirs dans le ventre des maisons, (Christophe Pradeau dont il faut lire absolument ce texte éclairant),
(Il existe aujourd'hui au Seuil une version en un seul volume (39 euros, 1952 pages !) qui contient toutes les branches, ce qui rend l'incendie de Londres quand même beaucoup moins destructeur pour votre bourse)
L'ecriture du discontinu qui revendique le procédé moderne de l'hypertextualité (Christelle Reggiani ), le sillonement du labyrinthe urbain comme autant d'échantillons de mémoire (Christophe Reig), et tout ce que recouvre le mot réseau, véritable organisation clandestine, qu'Internet aujourd'hui permet ...sont des exemples qui me font penser au travail de François Bon, en particulier dans L'incendie du Hilton.
On sait d'ailleurs que Roubaud a été très tenté d'ouvrir un site web, quand il a compris combien cela lui faciliterait son projet et lui résoudrait le problème des parenthèses en faisant des liens actifs, et qui d'ailleurs rendraient je pense la lecture encore plus jubilatoire.

On trouve dans l'incendie du Hilton les mêmes méandres, allers et retours , incises et expansions qui rendent à la fois compte des différents moments d'une existence (4 heures d'une nuit chez F.Bon, une vie chez Roubaud), tout en montrant bien que cette tentative est vouée, à travers un récit, à un échec. Il y a bien un thème contenu ou indiqué dans le titre, mais rien ne peut être linéaire ou chronologique, et même si le temps de l'écriture est supérieur à ce qu'elle prétend transcrire, la vérité d'un vécu n'est pas réductible à une quelconque reproduction de la réalité.
L'écriture ne peut être qu'invention formelle et créative.
De ce point de vue d'ailleurs, F.Bon avec ses livres, ses performances, ses lectures, ses enregistrements, ses photos, ses vidéos, son site bien connu (et les autres qui le sont moins, tapis dans l'ombre et qui sont autant de souterrains, de caves ou de tunnels du même atelier) est souvent moins strict, plus libre et plus expérimentateur que Jacques Roubaud, qui mathématicien et Oulipien, se donne beaucoup plus de limites et de contraintes formelles...

Bref, je reste convaincu que dans l'incendie du Hilton la citation de la peinture Le Grand incendie de Londres n'est pas un hasard et qu'elle cache, sous un tableau, un hommage à Jacques Roubaud, comme grand précurseur de l'hypertextualité si chère à François Bon.