jour précédent vendredi 13 février 2009 jour suivant retour au menu
L'oiseau de Marrakech
ou : connaître le nom des choses...

Il est cinq heures de l'après-midi à Marrakech, une jeune femme est assise dans un parc public sur un banc.
Parce qu'elle a décidé d'arrêter de fumer, elle vient d'acheter une cigarette à l'unité, dans le kiosque à journaux situé juste en face. Elle la savoure lentement, heureuse d'être un peu en retrait de l'agitation, de la foule, du public, mais surtout du bruit, en particulier de celui des mobylettes et des motos qui l'énervent depuis quelques jours...

Elle regarde les dizaines d'oiseaux qui s'agitent un peu partout autour d'elle.
Elle aimerait savoir leur nom car ne l'a pas trouvé dans son guide.
Elle sort son portable et compose un numéro de tel. Elle commence à raconter sa journée et ses impressions du moment. les oiseaux continuent de picorer et chercher les miettes quotidiennes laissées par les touristes ou apportées par le vent. C'est bête, mais plus elle les regarde, plus elle voudrait connaître leur nom.
Pendant qu'elle parle, elle n'arrête pas de les suivre des yeux...

Fatiguée, elle parle lentement, tranquille et énervée à la fois.
Elle dit que ce sont ce oiseaux-là qui la réveillent le matin. Elle ne le sait pas, mais ces oiseaux sont des Bruants striolés, une Passeriforme de la famille de l'ancienne famille des Embérézidés actuellement incluse dans celle, plus vaste, des fringillidés, très commun au Maroc, pour ne pas dire symbolique ou emblématique de Marrakech.
Finalement, elle dit qu'elle s'ennuie.
Elle essaie de décrire l'oiseau et précise que sa tète, son cou, et sa poitrine sont gris avec des rayures blanches, et que le reste de son corps est plutôt roussâtre.
Un peu plus tard, elle dit même qu'elle s'emmerde.
«Tibibt», c'est le nom, ni scientifique (qui est Emberiza striolata) ni littéraire, mais purement marrakchi de cet oiseau qui ne vit qu'ici et nulle part ailleurs au Maroc avec cette grande fréquence. Ailleurs, on le trouve surtout au Maghreb mais il y a d'autres races dans le Moyen Orient et même en Asie. A Marrakech, il a pris l'habitude de se nourrir des graines et des restes de pain ; il faut dire qu'il ne pourrait trouver mieux dans cette cité qu'on dit aux mille énigmes et qui le lui rend mal puisqu'ici, Tibibt ne donne son nom qu'à des riads et des hôtels.
Elle fume le plus lentement possible sa cigarette dont elle sent la chaleur arriver au bout de ses doigts et continue de regarder celui que les Suédois appellent Hussparv, les Anglais House Bunting, les Italiens Zigolo delle case, les espagnols Escribano sahariano, et qu'en Allemagne on appelle plus lourdement Hausammer.
Elle redit que c'est lui qui la réveille le matin mais qu'elle n'arrive pas à imiter son chant.
Elle dit que cela ressemble à une brève série de notes montantes et descendantes et que ses cris comprennent un 'tsvir' nasillard et un 'tchick' fin et aigu. L'ensemble rappelle le chant du pinson des arbres, mais en plus aigu.
Elle répète qu'elle aimerait bien connaître ce petit oiseau de Marrakech.
Petit Oiseau de Marrakech C'est une chanson de Claude Nougaro (album Nougayork, 1987)qui se termine par :
Et quand la nuit se met à poil
A vous renverser de vertige
II dormira entre deux tiges
Les bras croisés sur une étoile.

Du temps a passé. La lumière descend doucement sur la place et sous les arbres.
La jeune femme dit qu'elle doit arrêter de parler.
Elle dit simplement : " Salut..."
Elle range son portable dans son sac et regarde une dernière fois les oiseaux qui s'envolent quand elle se lève, et part de son pas nonchalant vers elle ne sait pas trop où.

Dans l'ancien bagne marocain de Tazmamart, (dans Cette aveuglante absence de lumière de Tahar Ben Jelloun) le détenu ne savait pas non plus au début le nom de cet oiseau qui venait le visiter.