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Jeudi 14 avril 2005 Hier Avant hier
Résumé en images des 3 premiers épisodes de l'histoire de Nastagio degli Onesti peinte en quatre tableaux par Botticelli, d'après la huitième nouvelle de la cinquième journée du Décaméron de Boccace ( texte des Éditions Garnier)
Épisode no 1 :
Nastagio amoureux d'une jeune femme qui se refuse à lui, voit une jeune femme fuir attaquée par des chiens et poursuivie par un cavalier furieux.
Épisode no 2 :
Ce sont deux morts sous châtiment. Le cavalier éviscère la jeune fille et donne son cœur à manger au chien. Aussitôt elle ressuscite et la chasse infernale recommence.
Épisode no 3 :
Nastagio invite la famille et la jeune fille qui refuse ses avances à assister le vendredi suivant à la même scène. Elle prend peur et accepte de se marier avec Nastagio.
4ème et dernier épisode.
La jeune Traversari, ayant peur d'un châtiment comme celui auquel elle vient d'assister, accepte de se marier avec Nastagio. Ce dernier, content de la réussite de son plan, organise le mariage dès le dimanche suivant. Le quatrième tableau représente le banquet.
C'est un happy end. Au premier abord c'est décevant, même chez Boccace :
"Elle se chargea d'annoncer elle-même son parti, alla trouver ses parents et leur dit qu'elle serait heureuse de prendre Nastagio pour mari. Ils en furent également très heureux. Le dimanche suivant, Nastagio l'épousa et fit célébrer les noces. Par la suite il mena longtemps auprès d'elle une existence pleine de félicité."
Pourquoi pas pendant qu'on y est : ils eurent beaucoup d'enfants bla bla bla...
Botticelli aussi semble aussi, à première vue, moins inspiré. Il nous sort une bon gueuleton (et encore c'est surtout le décor à l'ancienne qui en impose et non pas ce qui traîne sur la table, on a même l'impression qu'ils ne boivent rien et ne mangent que des cacahuètes. Mais il s'agit peut-être du début du repas car à droite et à gauche les serviteurs amènent de nouveaux plats) mais super sérieux, et où les gens n'ont pas l'air de vraiment s'amuser.
Si on regarde du côté des mecs, c'est pas plus gai.
Alors qu'est-ce qu'il nous fait là le Sandro ? Manque d'inspiration ? Pourquoi ne faire qu'une bonne leçon de perspective, avec des lignes bien droites, un point de fuite qui crève les yeux, une symétrie parfaite ? Un bon cours de maths avec en prime les lois de l'optique ? C'est " chiant ".
Comment expliquer ce tableau quand on a vu les trois premiers ?
Je crois qu'on peut y trouver son explication et même sa justification. Il suffit peut-être de réfléchir.
1- Il ne faut pas oublier que c'est une commande faite par des gens riches et puissants pour offrir comme cadeau de mariage à deux jeunes de bonne famille (Gianozzo Pucci et Lucrezia Bini) qui s'unissent. Il y a donc une intention derrière de la part du commanditaire. (j'en ai une aussi en mettant en relief le nom de la famille Pucci).
2- Botticelli remplit son contrat. Cette histoire montre que les jeunes filles riches ne doivent pas refuser les alliances avec les jeunes fils des familles riches, sinon elles risquent de le regretter plus tard.
Elle montre surtout (puisqu'ils finirent heureux) que les mariages de raison valent mieux que les mariages d'amour.
Boccace le précise bien dans son titre ( la chasse infernale, c'est celle qui arrive parce qu'une fille a refusé un fils de belle famille) mais aussi dans la dernière phrase de ce texte: " La vision terrifiante que j'ai décrite eut un autre résultat que ce bonheur. La frayeur ébranla à tel point toutes les femmes de Ravenne qu'elles furent plus dociles que par le passé aux plaisirs des hommes." Mes amies féministes vont apprécier !
3- Dans le contexte historique, les alliances ou guerres entre les grandes familles constituaient la base des relations économiques et des pouvoirs, faisaient ou défaisaient les fortunes, les successions et les réputations. Dans la réalité ces familles étaient de Ravenne, ancienne capitale de l'empire romain, cité resplendissante jusqu'au XIè siècle, et dont une cause du déclin fut justement les querelles et les luttes politiques entre les grandes familles.
Le message du commanditaire pour ce mariage est clair et intéressé : pas question de faire un mariage bidon. Espérons pour notre économie que ce sera du solide. Alors ce n'est pas mauvais de faire un peu peur aux époux et de les faire réfléchir tout en les mettant en garde !.
Pas question non plus, soit dit au passage de se suicider par amour, l'entreprise et la famille ont besoin de leurs fils pour assurer la descendance !
4- Certaines analyses considèrent que ces toiles étaient faites pour des cassoni (nous en avons déjà parlé), ou des panneaux de lits. Peu visibles, on pourrait comprendre pourquoi dans les trois premiers Botticelli s'est permis certaines audaces. Une autre vision, non contradictoire,est intéressante parce qu'elle nous rassure et confirme que Botticelli n'était pas un con et qu'il frisait le génie. :
5- Les trois premiers panneaux racontent des scènes oniriques, non réelles, d'où l'idée Bd des différents images/moments dans la même planche/tableau, des corps de femme nue, de l'éviscération , de la non retenue, de faire des compositions travaillées d'une manière inouïe.
Il y utilise toutes les possibilités virtuelles de l'image, fait apparaître morts vivants mais damnés, mélange des petits lapins blancs aux chiens qui dévorent un cœur..
6- Le rôle du quatrième est de nous réveiller, et nous faire revenir les pieds sur terre, de faire passer le message, de satisfaire le commanditaire (celui qui vous paie et qui, s'il est content, vous redonnera du boulot). Le quatrième tableau chasse le rêve et la virtualité, et revient aux lois, à la rigueur scientifique, à l'économie reine du monde. Mais on peut l'accepter, le mal est fait, le principal a été dit ou fait dans les trois premiers ! Grâce à ce quatrième rigide, il fait semblant de revenir à l'ordre moral et social commandité.
Rusé non ? En répartissant son travail sur quatre tableaux, comme on dit : il peut jouer sur les deux tableaux !
Je finirai par deux anecdotes mais qui ne sont pas insignifiantes et peuvent être mises à profit de la réflexion de chacun.
La première concerne l'éclair qui découpe le deuxième tableau et que j'avais interprété comme une déchirure etc....(cf hier) Et bien on peut dire que non, qu'on fantasme, qu'on cherche midi à quatorze heures.
À Ravenne, en dehors des mosaïques, un des points les plus touristiques de la ville est un endroit millénaire que l'on appelle les pinèdes millénaires de St. Vital et de Classe . Je cite la brochure touristique : " cette dernière est très célèbre étant donné que Dante en a parlé dans le Paradis, Boccace l'a citée dans le Décaméron (récit de Nastagio degli Onesti) et fut représentée aussi par Botticelli sur trois tableaux, exposés aujourd'hui au Prado de Madrid."
Alors cette pinède ayant servi de modèle pour la forêt, on peut dire que Botticelli n'a été que fidèle à la nature au sens propre, comme on peut le voir sur la photo ci-jointe, tirée toujours des brochures touristiques.
Ce quatrième tableau, l'objet tableau, est celui des quatre qui a l'histoire la plus intéressante. j'avais dit que depuis longtemps, personne ne l'avait vu, car possédé par un américain qui le gardait chez lui pour lui tout seul et ne le laissait même pas photographier. Et bien c'est faux.
En fait, on ne savait pas du tout ce qu'il était devenu.
Pour les trois premiers, c'est facile : Ils ont été donnés dès 1941 au Prado de Madrid par la célèbre donation Cambo (Francisco Cambó est le plus grand collectionneur espagnol d'art ancien du début du XX e siècle)
Pour le quatrième, qu'on appelle parfois le banquet nuptial il était "perdu de vue " depuis des siècles et on croyait que c'était un américain qui l'avait.
Surprise : il réapparaît à Florence en avril 2004, pour une exposition exceptionnelle Botticelli-(et son élève Filippino Lippi) au Palazzo Strozzi!
On apprend alors qu'en fait le tableau était en possession dès la fin des années 60 (il y a quarante cinq ans !) par le marquis Emilio Pucci, styliste et héritier de la dynastie, et qu'il n´avait jamais quitté leur demeure. Par le propre descendant donc du jeune marié pour le mariage duquel avaient été commandés les tableaux.
On apprend alors par la la marquise Cristina Pucci, "qu'ils" avaient refusé deux fois de le prêter et de le montrer, et pas à n'importe qui : au pape, qui voulait l'exposer au musée du Vatican, et au Musée du Luxembourg à Paris. "Faire voyager un panneau ancien est déconseillé et celui-ci est très fragile" dit la marquise !
On se souvient en effet d'une exposition ( Botticelli, de Laurent le Magnifique à Savonarole) dans ce musée du Luxembourg et qui avait eu lieu d'octobre à juillet 2004 ! C'est étonnant que Daniel Arasse (écoutez le), qui était le Commissaire de l'exposition n'ait pas réussi à convaincre la marquise !
Alors pourquoi elle le laisse sortir à Florence ? Elle s'est laissé convaincre par Antonio Paolucci, surintendant des musées de Florence, "pour la mémoire de son mari" décédé en 1992. Elle annonçait par la même occasion que le panneau pourrait être admiré pendant cinq mois, avant de redevenir "invisible".
Donc, nouvelle certitude : jamais de ma vie je ne verrai ce tableau.
Nativité mystique
Et c'est là que Madrid, quand même à déconné : c'était l'occasion historique de les voir tous les 4 ensemble ! et bien ils ont refusé, et, les cons, ils n'en ont prêté que 1 sur 3 ! Non je vous jure!
Sans doute encore une histoire de gros sous.
Mais pas sûr : la marquise, avec leurs fringues et leurs chaussures, elle a du fric! Et pour cette exposition il y en avait du fric !
Par exemple, cette exposition, ouvrez bien vos yeux, a été assurée pour un montant record de 500 millions d´euros, dont :
- 55 millions pour la "Nativité mystique" prêtée par la National Gallery de Londres (le tableau le plus mystérieux de Botticelli, et pour plusieurs raisons, c'est vrai je vous jure)
- et 30 millions d´euros pour "La calomnie d'Apelle" autre tableau très célèbre et impressionnant de Botticelli..
Sinon ?
Allers et retours à la ferme, trempée, triste et froide sous ce temps.
Mesures, formalités diverses, plans, hésitations, rêves...
Comme dans cette série de Botticelli, je termine toujours pas le retour sur terre. Je m'arme de courage et tente de me raisonner.
Lecture, lectures,... Demain soir je reprends la route.