vendredi 13 février 2009 : L'oiseau de Marrakech ou : connaître le nom des choses
(ou : entrée momentanée dans le journal complet et le reste du site)
vendredi 29 mai 2009 : Quand on arrête de mettre son journal en ligne, rien ne s'arrête...
mercredi 26 août 2009 : Pourquoi j'aime l'Incendie du Hilton de F.Bon

jeudi 27 août 2009 : Anticosti ou : l'incendie du Hilton mène à tout à condition d'y entrer...
vendredi 28 août 2009 : j'ai retrouvé mes photos d'Anticosti dans celles de l'incendie du Hilton
samedi 29 août 2009 : En même temps que le Hilton, à l'autre bout du pays une cabane brûle encore...à Dollarton.
dimanche 30 aout 2009 : dans L'incendie du Hilton il brûle aussi le tableau d'un inconnu.
mardi 1er septembre 2009 : dans l'incendie du Hilton, le Grand Incendie de Londres en cache un autre (J. Roubaud)
Un livre, une peinture, deux incendies
ou : du Hilton au Borgo.

On l'appelle l'incendie du Borgo, c'est une fresque de plus de 6 mètres de long, dont les dessins ont été faits par Raphaël, et la peinture éxécutée par divers élèves ou autres peintres dont essentiellement Giulo Pippi de Jannuzi, dit Giulo Romano, qui comme son nom l'indique était un français né à Rome (vers 1499 et mort à Mantoue le 1er novembre 1546) sous le nom de Jules Romain !

Il en existe une copie à l'huile grandeur nature au Louvre, comme le signale Stendhal dans Voyage à Rome avant de décrire le tableau
 
mais l'original (peint entre 1514 et 1517) est dans la chambre qui porte son nom (chambre de l'incendie du Borgo, ou tout simplement chambre de l'incendie) qui est une des 4 chambres à visiter dans les musées du Vatican (plus d'une dizaine parmi les plus riches du monde), les 3 autres étant :
la chambre de Constantin,
la chambre d'Héliodore
et la chambre de la signature.
L'incendie du Bourg n'est pas l'incendie du Hilton, mais cela y ressemble. On le comprend tout de suite en le regardant : s'il s'agit bien d'un incendie (si on se fie au titre) il y est bien, mais pas au premier plan, et il faut le chercher pour le trouver !
Visiblement dans l'incendie du borgo l'incendie n'est pas le sujet

La place qu'il occupe (sur 6,70 mètres) dans la peinture n'est pas plus importante chez Raphaël que celle des flammes, de la fumée ou des pompiers dans les 183 pages du livre de François Bon.

Des pompiers ?
On aurait du mal à les trouver.
À la rigueur on voit dans le tableau quelques personnes qui s'occupent d'en mettre dans divers récipients, mais on ne voit personne aller la jeter sur les flammes, et ils n'en prennent pas la direction.
Et c'est pas la beauté à droite, (une canéphore), robe gonflée au vent qui va éteindre le feu, ou alors d'une manière trop élégante pour risquer un jour d'être engagée comme secouriste !

Bref, dans l'un comme dans l'autre il faut chercher le sujet ailleurs que dans le titre. Curieux, journalistes, télévisions, reporters... circulez y'a rien à voir, allez voir ailleurs si j'y suis !
Pourtant dans ce tableau, il s'y passe bien quelque chose et dans plusieurs endroits : devant le bourg en flamme (1er plan avant les colonnes), et ailleurs sur la place.
Si on fait un tour sur la place qui a pour fond la basilique Saint-Pierre, on voit sur un balcon le pape en train, de donner sa bénédiction à la foule (tous les papes sont comme ça, ils ne peuvent pas s'en empêcher !).
Certains se retournent vers lui, l'acclament , d'autres agenouillés se recueillent et prient, quelques uns s'en foutent (et même lui tournent le dos comme la personne qui descend l'escalier), une autre promène ses deux gamins...
Bref, une place quoi, où chacun vaque à ses occupations et sans rapport apparent avec l'incendie, et qu'on oublie même complètement.
Dans le tableau, question proportion,le pape est tout petit. De plus, c'est lui et ce n'est pas lui, un pape en cache un autre. celui qui est peint c'est Léon X, le pape régnant qui commanda le travail à Raphaël, mais celui qu'il représente est en fait Léon IV.

Car quand on se renseigne, le véritable sujet du tableau devait être l'illustration et le rappel que selon la légende, dans ce quartier qui s'enflamma en 847, le pape Léon IV avait juste avec sa bénédiction arrêté l'incendie. Une sorte de miracle.
Et c'est là encore que le tableau surprend et qu'il a fait grincer des dents, : le pape est tout petit, et le tableau ne dit en rien que l'incendie, a arrêté le feu (sur le tableau dans le bourg ça brûle encore ). Rien ne permet de faire un lien entre le pape et l'incendie, ni de comprendre le miracle. Là encore, il semble que ce n'était pas l'important pour Raphaël et que ce n'était qu'un prétexte.
Stendhal se montre sceptique et se dit choqué :
Taine aussi fait semblant d'être déçu et voit bien le problème de ce tableau . Dans Voyage en Italie on lit :
La description qu'il fait par la suite de ce qui se passe au premier plan sur la gauche vaut son pesant d'or
...
Taine fait l'andouille. Il sait que le personnage nu portant son père est une citation littéraire : Énée quittant Troie en flammes et que son père est Anchise et que devant lui c'est Ascagne (appelé également Iule). L'athlète gymnaste est un hommage à Michel Ange etc...Taine plus loin redevient sérieux et montrera l'originalité du travail.
On commence à comprendre que l'incendie du Borgo et l'incendie du Hilton se ressemblent: le titre évènementiel n'est qu'un prétexte et ne constitue en rien le sujet de la peinture ou du livre. Le vrai sujet est la peinture pour l'un et la littérature pour l'autre. Une question de construction, de forme, d'architecture, d'équilibre, une manière de remettre en cause les formes classiques de la peinture et de la littérature . Raphaël travaille sur la scénographie, la symétrie, tout en peignant des personnages souvent artificiels dans leur posture, entièrement dévoués à la composition.
Il faut lire le texte d'Élie Faure (Histoire le l'art- Art renaissant) " L'arabesque dit les flux, reflux, élans et chutes, les repos et les efforts, tout en laissant à chacun des éléments leur personnalité et leur fonction. Chez Raphaël, les formes, les gestes et les corps se répondent, le trait se libère par la succession des plans et des modelés. L'unité d'expression de la ligne, de la masse et de la couleur s'affirme. La gloire de Raphaël tient à ce qu'il affirme que l'individualisme ne peut pas habiter le désert ."
Chez François Bon la recherche est comparable sur de nombreux points : successions et mélanges des décors, des fragments architecturaux, de plans, d'images, de dialogues, de réfléxions, éclatement du réel afin d'y faire émerger une sorte d'unité vivante.(déjà travaillé dans Tumulte)
Il me semble que face à l'incendie du Hilton et face à l'incendie du Borgo, l'écrivain et le peintre ont choisi une démarche similaire, qui propose au lecteur ou au spectateur une reconstruction du monde et du sensible à partir d' éléments éclatés, simultanés, dispersés dans différents points de vue et perspectives...
Ce que Sabine Frommel spécialiste de la Renaisance appelle une conception " polynucléaire ".