Vendredi 7 décembre 2007 jour précédent jour suivant retour au menu
Ajax ammoniaqué
ou : même quand j'essaie d'aller vers le monde...

Cela fait huit jours que je n'ai rien fait, rien lu, rien écrit, que je n'ai envie de rien.
Manque d'énergie, manque de motivation.
Bouche bée, immobile devant rien.
Pas de désir, pas de regret particulier, juste la constatation abrutie d'être là à attendre je ne sais quoi, ni pour combien de temps.
Et d'un calme ahurissant.
Ce n'est pas mon style, pourtant.
Une sorte d'absence où l'on est là. Même pas perdu je ne sais où : juste là.
Bon d'accord, quelques proches m'ont dit : coup de blues, coup de déprime... Non, même pas. Rien d'alarmant, qui ne m'alarmait en tout cas. Juste la constatation du rien.
C'est difficile à expliquer, car les apparences étaient là : tout semblait normal, et tout fonctionnait bien, sans raison, précise ou nouvelle, d'insatisfaction ou de frustration conscientes.
Les apparences, c'est comme ce que j'ai enseigné cette semaine : les microbes. Ils sont là mais par définition on ne les voit pas. Heureusement d'ailleurs : on ne verrait qu'eux, par milliards, autour de nous, flottant et collés partout, et entrant par tous les orifices ou blessures. Ce serait vite insupportable, et on deviendrait fou au bout d'une heure.
Vous notez bien : :
- je suis contaminé = le microbe est entré en moi.
- je suis infecté = le microbe se multiplie en moi.
- septicémie = le microbe envahit tout mon corps. (C'est mortel.)
- je suis contagieux : je peux donner le microbe aux autres.
- ne pas confondre antiseptiques et antibiotiques.
- le savon de Marseille est une des plus belles réussites humaines (formule fixée par un édit de Louis XIV).
C'est peut-être ça qui m'est arrivé cette semaine : je n'ai pas vu les apparences.
Cette semaine par exemple j'ai photographié, comme à chaque fois qu'elles viennent à Thiron-Gardais, Léa et Charlotte.
Cette fois-ci avec des chapeaux et en train d'apprendre à tricoter grâce à Mireille L., elle aussi de passage à Thiron.
Mais je n'ai vu que fabrique de souvenirs, subi que tristesse et impuissance devant les images, preuves du temps qui passe, devant la fraîcheur de la jeunesse, qui est et ne sera plus jamais, destinée irrémédiablement à disparaître.
.. ..
Cette semaine, j'ai essayé de voir des gens, d'être sociable, aimable, de me comporter comme un habitant normal aimant son village.
Je suis allé applaudir notre charcutier, qui depuis trois ans fabrique le meilleur boudin de France et qui recevait dans son magasin (connu sous le nom de " Coccinelle ") son nouveau diplôme, pour son boudin antillais et pour le meilleur plat de tripes de France pour l'année 2007.
Rare qu'une épicerie invite tout le monde à boire et à manger. Ambiance, discours et gens sympas. Diplômes mérités, plats de qualité...
Mais pourquoi en rentrant trouvai-je, malgré ces couleurs et ces odeurs, le dimanche triste ?
Ce même dimanche, pour faire plaisir à Micheline ma voisine, suis allé avec Mireille L. et mes filles, au repas villageois, où l'on devait finir la bière donnée par les allemands lors du jumelage dernier. J'avais même, pour faire comme tout le monde, et montrer à quel point ma participation était de bonne intention, amené ma chope.
Mon voisin sympathique, retraité ancien huissier à l'Assemblée nationale, m'a raconté des anecdotes drôles sur tous les hommes politiques qu'il avait rencontrés ; les filles se sont faites thironnaises avec plaisir en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire...Mais pourquoi, alors que tout le monde se mettait à jouer aux cartes, suis-je rentré encore plus triste et silencieux qu'en sortant de chez Coccinelle ?
Cette semaine, j'ai essayé de lire des magazines ou des journaux. J'ai essayé le Nouvels Obs, puis le Monde... Je n'y suis pas arrivé.
Impossible de distinguer les articles de la publicité !, l'oeil irrémédiablement attiré par la pub et décrochant du texte, la pub m'empêchant de lire l'article.
Le monde vu et traîté comme une vaste publicité. Il est criant que le plus important pour ces revues, c'est la publicité. Ce sont les articles qui illustrent les pages de pub, qui ne sont là que comme prétextes et justificatifs, faire-valoir à la pub.

Insupportable. Je ne réessaierai pas. Cela m'est apparu au-dessus de mes forces.
Impression de monde à l'envers ?
Non, d'être moi, à l'envers.

Allez petits bonzes de Birmanie et d'ailleurs,
faites votre valise...
Allez tous les indésirables chassés de partout
partez, fuyez...
Mais avec Jump, en tout lieu, à toute heure...

(cahier du Monde, daté du 7 décembre 2007, intitulé Fêtes intimes, 138 pages luxueuses uniquement de publicités. Ils appellent ça " Le Monde STYLES ".
Quant au NouvelObs, il lui semble évident qu'ingrid Betancourt a besoin d'un petit remontant, et qu'avec un petit verre de Four roses la vie serait peut-être, là-bas, plus supportable.
J'ai essayé ensuite Beaux-Arts magazine. Ce fut pire encore. À vrai dire, je n'ai même pas vraiment commencé : au bout des 20 premières pages, 20 pleines pages de pub, je n'étais pas encore arrivé à l'éditorial ou à un premier article. J'ai laissé tomber.
Comment être bien dans ce monde-là (et ce Monde-là) ?