Lundi 20 août 2007 jour précédent jour suivant retour au menu
Y'a pas plus de virtuel que de réel !
Le problème n'est plus là.

Bien aimé l'autre jour Michel Serres dans une interview chez lui (cf la semaine sur Bergson sur France Culture).
- D'abord il a bien compris la révolution numérique et en quoi Internet change tout :
Le support a changé donc le savoir a changé... La transmission du savoir a changé... Je n'ai plus besoin d'aller à la bibliothèque...La modalité de l'écriture a changé...
-Ensuite sur le virtuel je suis d'accord
Que je sache, il y a entre les hommes autant de liens virtuels que de liens réels...Quel adolescent n'a jamais été amoureux d'uns star et d'un chanteur qu'il n'a jamais vus...Le présentiel ça va quoi !
Nous sommes virtuels dans les 3/4 de nos actions...Et puis c'est vrai, Madame Bovary a fait l'amour beaucoup plus en imagination et virtuellement qu'en réalité...Vous savez...et vous sans doute, et moi aussi...Nous sommes tous bovaryens sur ce point...
C'est tout à fait que je me disais sur ma pelouse, devant mon arbre, en écoutant Michel Serres sur ma petite radio posée sur l'herbe, tout en jouant au croquet.
C'était quoi par exemple mes soi-disant vacances ? Quelle était la part du virtuel et de réel dedans ?
La pluie, les brouillards du petit matin en revenant de Montpellier ou de Bénodet ?
Tous ces amis passés à la Chambrie, les livres ou les films regardés dans la nuit, ou ceux dont on a juste parlé, la mort de Bergman et d'Antonioni, ou le corps d' Anna Politkovskaya qui n'arrête pas de pourrir dans ma tête, depuis qu'il a traversé la foule, cercueil ouvert, le 10 octobre 2006 à Moscou ?
Bergson et Yourcenar écoutés tous ces matins calmes, ou les milliers de livres recouverts d'huile de vidange à Lagrasse ?
Qu'étaient plus réels ? Murielle Christian ou Jacques sur ma terrasse de graviers ou Sans soleil la pièce pour piano seul écrite par Jacques pour marquer l'occasion ?
C'était quoi le réel ou le virtuel? La musique écrite, que je ne sais pas lire, que je n'entendrais sans doute jamais, ou la ballade dans le pré Catelan, les crevettes sur la table, ou le meilleur boudin de France (titre gagné depuis plusieurs années par le charcutier de la Coccinelle à Thiron-Gardais) pendant que Christian racontait Pierre Michon au Colloque sur Walter Benjamin ?
(Maintenant que tout cela est du passé, ramené au présent de quand j'en parle, que cela ne se reproduira plus et que cela fut vrai. C'est quoi la différence entre vrai, réel, imaginé, présent, passé, imaginé, inventé, puisque tout est là sur la table, dans la tête, et que je suis en train d'en parler, et que je ne mens pas ?)
C'était quoi mes vacances ?
Parce que j'avais enfin un peu de temps ce fut beaucoup de réponses aux mails reçus, des Lignes de fuite, et des voyages, comme celui sur les traces de Plutarque avec françois Bon ou les jeux de questions sur Ulysse pendant les repas avec mes filles Léa et Charlotte, Chléa ou et Avril (sujet sur lequel elles sont incolables, vive l'école quand même non ?) ?
- Comment s'appelait le cyclope ?
- Moi, moi, moi...
- On lève le doigt !
- Toi Léa
- Polyphème !
- Elles sont bonnes les mûres non ? (cueillies l'après-midi dans le jardin des voisines), Bon, on continue...Maintenant, que demande Circé à Ulysse quand elle le rencontre ?
- Moi, moi,...
- Charlotte ...(8ans)
- De coucher avec !
- Oui et que demande Ulysse ?
- Moi, moi...
- De libérer ses compagnons...
- Libérer ? Pourquoi ? ils étaient en prison ?
- Non elle les avait transformé en animaux...
Bon, mes vacances :
1- C'est Michon dans Corps de bois page 22
(« Nous passons, l’art ne reste pas. Il ne réchauffe guère. L’air du temps le souffle. Il nous donne seulement dans cette vie et dans l’autre, ce mélange de chair et de carton-pâte que nous trouvons au bout de nos doigts, vaguement incrédules, vaguement satisfaits, effrayés, ce dégoûtant mélange que nous caressons à tâtons quand il nous arrive de vérifier qu’il nous reste un visage derrière les longues moustaches. Flaubert considérait l’art avec beaucoup de sérieux. Ce sérieux prête à rire. Il serre le cœur. Ce serrement de cœur qui prête à rire, c’est celui qu’on éprouve devant la misère. Flaubert est notre père en misère. »
ou c'est Racine qui dit :
" « une pièce est pratiquement finie, quand il ne reste plus qu’à l’écrire » ,
puisque ces phrases parlent aussi de ce que j'ai pensé, de ma situation à Thiron sur ma pelouse ? C'est du réel ou du virtuel mes vacances ?
D'abord ai-je bien pris des vacances ?
Monopoly ou Mikado ?
Ou bien sont-elles cette matinée passée dans la salle d'attente du médecin à Thiron-Gardais, attente si pénible d'habitude, et là que j'aurais voulu interminable, pour lire les nouvelles de Haruki Murakami ?
Cette matinée fait-elle partie du réel (assis sur une mauvaise banquette dans une salle grise et bondée) ou du virtuel (au Japon avec Komura et sa femme, après le tremblement de terre de Kobe en 1995) ?
"Le soir, en rentrant, il retrouvait sa femme dans la même position, affalée devant la télévision. Résigné, il allait chercher dans le Frigidaire de quoi se préparer un repas simple, qu'il mangeait seul. Quand il allait se coucher, elle était toujours là, devant l'écran, à regarder les informations de la nuit, entourée d'un mur épais de silence. Komura avait fini par renoncer à lui adresser la parole.
Le cinquième jour - c'était un dimanche -, quand il rentra du travail, à la même heure que d'habitude, sa femme avait disparu.
"

Je ne peux plus séparer ou isoler le virtuel du réel.
C'est comme dans les assiettes de ma mère qu'elle a hérité de sa mère...et dans lesquelles adorent manger mes filles.
On y trouve aussi bien le paysage, le décor, la question que la réponse, et on peut y imaginer le drame et le meurtre qui peuvent s'y dérouler.
C'est un creux qui attend qu'on le remplisse, pour qu'on le vide en nous remplissant.
Le monde n'existe qu'à travers la perception qu'on en a, donnée grâce à notre encéphale après analyse des quelques informations qu'il reçoit, et de ce qu'il a retenu de son expérience.
La perception d'une chose est donc, comme le disait l'autre jour à la radio, un philosophe connu, " la chose moins quelque chose."
Nous vivons dans l'incomplet, l'amputé, l'inconnu, l'aléatoire, le hasard, l'inachevé, l'inabouti.
C'est pourquoi nous rêvons et souffrons, éternels insatisfaits, et que certains, des artistes disons, et heureusement pour nous, remplissent notre assiette. À chacun sa cuisine et ses sauces, on n'est pas obligé de tout manger.

- Alors, comment peut-on résumer en une phrase l'histoire d'Ulysse ?
Les doigts se lèvent... Avril hésite.
- Moi, moi, moi...
- Léa...Mais attention, j'ai bien dit en une phrase. Attention car souvent, tu ne sais pas résumer...
- Je peux ?
- Vas-y.
- C'est l'histoire d'un homme qui a voulu défier les dieux ?