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ma vie dans le Perche
Propos sur la littérature et la peinture.
mercredi 26 juillet 2006 jour précédent jour suivant retour au menu
Étude bergounienne no 7.
Des véhicules et Dinky Toys dans Back in the sixties de Pierre Bergounioux.

Dans cet ouvrage récent (publié chez Verdier en 2003) on peut lire deux textes différents :
- Le premier (qui donne le titre au livre), paru pour la première fois dans la revue l'Amateur de cigares de juin 2002,
- Le deuxième, Battement de coeur, est le texte lu par l'auteur au salon du livre de La Havane, le samedi 9 février 2002.
L'étude d'aujourd'hui concerne le premier de ces deux textes.
Il fut écrit suite au retour d'un séjour cubain de Pierre Bergounioux qui, c'est le moins qu'on puisse dire, lui donne une impression très particulière et l'occasion de faire plusieurs constats sévères, sur l'illusion révolutionnaire et ce qu'il reste aujourd'hui de tous les espoirs levés. Comme toujours chez Bergounioux, les dés sont jetés dès le début du texte :
- début du 1er paragraphe : " les trente dernières années se ramènent à rien. C'est pire que ça. Elles constituent une régression sans précédent dans les domaines de l'innovation intellectuelle, de la lutte politique, de la moralité publique et des vertus privées. " (p.9)
- fin du deuxième paragraphe : " Les derniers moments réels, vivants, vibrants que nous ayons connus remontent aux années soixante. Et c'est là que je veux en venir. " (p.10)

Très vite, (alors qu'on a compris ses premières impressions (qu'on a l'habitude de qualifier les meilleures ), et qu'on sait ce qu'il en pense ( p.15 : " On se dit que c'est définitivement fini. L'homme aux écus est partout, flanqué de la " conne classique ", comme dit encore Fellini, et le mieux serait de remonter dans l'avion. " )) il a l'impression de ne plus discerner le rêve de la réalité, et de revivre des souvenirs d'enfance, et ce à cause des vieilles voitures américaines qui hantent les rues.
C'est un cliché touristique, on le sait bien. De nombreux sites de voyages ou de récits de voyages, font état avec de nombreuses photos de ces vieilles américaines des années 50 et 60 qui ont constitué le seul parc automobile sur l'île avant l'arrivée de véhicules des pays de l'est.
Mais Bergounioux n'est pas un touriste habituel : il ne voit que les Dinky Toys de son enfance. (Ce qui lui fait écrire aussi quelques pages sur le rêve et la réalité ( p. 17-18 : " Je ne sais pas si j'ai dormi cette nuit-là. il n'existe pas d'indice dans les rêves, qui nous signalerait que ce n'est pas la réalité, non plus d'ailleurs que dans un coin de la réalité, pour nous rappeler de bien faire attention, que ce n'est pas un rêve. je suppose que passé la porte du temps, la distinction entre la veille et le sommeil tombe avec celle qui oppose le présent et le passé ".

Avant de voir les véhicules rencontrés (rêvés) par Bergounioux, rappelons que les Dinky Toys, concernent tous les gens de notre génération (Bergounioux, comme moi sommes nés fin mai 1949) et qu'il s'agir là de toute une histoire passionnante à lire , qui débute par celle de Meccano, que j'aime tant, mon journal précédent en portant de nombreux stigmates.
Comme le disait la publicité sur le catalogue de 1954, Dinky Toys, c'est un geste de connaisseur.
Rappelons enfin que c'est Dinky Toys qui imposa le 1/43 comme la meilleure des échelles de réduction, et qui inventa le zamac, alliage de zinc, d'aluminium, de magnésium, d'antimoine et de cuivre, beaucoup moins cher que le plomb.
En 1951, quand Pierre Bergounioux a deux ans, tous les services de Meccano France sont regroupés à Bobigny. L'usine compte alors 800 personnes, consomme 600 tonnes de Zamac, 56 tonnes de peinture et fabrique 26 millions de pneus par an !
7 millions de Dinky Toys sont fabriquées.
p.16 : " Deux Dinky toys ont glissé, coup sur coup, le long du car, la Plymouth Belvedere, que je n'avais pas, avec son épaisse barrette chromée partageant longitudinalement la calandre,... Elle apparaît en page 4 du catalogue de 1957, disponible à partir d'octobre.
Sortiront ensuite selon les années différentes couleurs...
...et la plantureuse Buick Skylard, modèle 1953, qui figurait dans ma collection. Elle revient du fond de mon enfance, à ma rencontre. Aujourd'hui, soudain, c'est hier, à moins qu'hier n'ait pas passé, du moins partout." Buick avait sorti ce modèle pour fêter son 50ème anniversaire. C'est la première année aussi du moteur V-8. Elle n'a été produite qu'en 1953 et 1954.
p. 17 : " Un curieux engin masque la Buick, un tracteur routier attelé d'une semi-remorque constituée d'un autobus aux extrémités surélevées - on appelle ça un " chameau "-, privé de roues avant. " En fait, ce sont plusieurs bus ressoudés ensemble. D'où les deux bosses...Cela peut transporter jusqu'à trois cent personnes... Une solution cubaine à l'embargo et au manque de pétrole !
p 20 : " Alors les dieux de l'enfance ont ordonné à ses Dinky Toys de croître, d'atteindre l'échelle 1, qui correspond au format de l'adulte. celles-ci ont obéi et fidèles, vrombissaient sur le boulevard qui longe la mer devant le gosse que je fus, qui murmurait au passage, leur nom - Chevrolet Corvair,



Produite par General Motors de 1960 à 1969, la Chevrolet Corvair fut déclinée en de nombreux modèles (sedan, coupé, station wagon...). Elle apparaît dans le catalogue Dinky Toys dès la page 2 du catalogue 1961 (sur fond rouge).
...coupé De Soto noir,...
coupé DE SOTO, 1941
Crée par Chrysler en 1928, cette marque est célèbre chez les Dinky Toys pour sa voiture de police noire et longue, vue dans tant de films...Mais pas de coupé ! (Hernando DeSoto est le nom de l'explorateur espagnol qui a découvert le Mississippi en 1541.)
...Ford Fairlane deux tons, blanc et rose bonbon,... Sortie par Ford en 1955, en six modèles différents, avec sa célèbre " bande Fairlane " sur les côtés, et ses deux tons.
..., Lincoln Continental..." Lincoln continentale MarkII de 1956 La Lincoln Continental du président Kennedy était une suicide door Lincoln, c'est-à-dire une voiture dont les portes arrières s'ouvraient à l'envers, les charnières vers l'arrière, comme celle de 1962 qui a servi dans le film Matrix.
p.20 : " Lorsque le dieu du temps jugea que j'étais prêt, que je pourrais supporter ça, ce furent, coup sur coup, la Cadillac 55 avec les ailerons sur l'arrière qui la faisaient- qui la font - ressembler à un avion... L'histoire des Cadillac est très longue. La photo du haut est une vraie Cadillac de 1955. La photo du bas est une Dinky Toys qui représente une Cadillac Eldorado de 1957, où les ailerons arrière sont encore exagérés.
...et une GAZ-69, qui est une jeep soviétique, dans sa livrée kaki, le tout défilant avec le bruit de gamelle que produisait, jadis, une voiture digne de ce nom." De 1953 à 1956 elle était fabriquée à Gorky, d'où le G de GAZ. Ensuite fabriquée à Ulyanovsk, elle s'appelle UAZ-69. Ce 4x4 existe en 4 ou 2 portes.
p. 23 : " Les Pontiac, les " chameaux ", les GAZ s'y enfoncent résolument, comme des jouets dans le gravier, pour en ressortir avec des grincements de suspension à l'agonie, de barres de torsion martyrisées. " Pontiac Bonneville de 1958. (Dinky Toys) Voiture qui m'est chère. j'aurais pu mettre celle que j'avais aux USA entre 1973 et 1978.
p.32 : " C'est le soir même que je suis entré dans le joyau de la collection, la Studebaker Commander de 1953, dessinée par Raymond Loewy avec un capot en ogive de fusée, un coffre surbaissé, démesurément long. Ce qui fait qu'on avait toujours une seconde d'hésitation, je me souviens, avant de distinguer entre l'avant et l'arrière et de la faire rouler dans le bon sens. Lorsque j'ai posé l'extrême pointe des fesses sur l'interminable banquette arrière, je suis définitivement revenu en enfant à moins que, perçant le mur opposé du temps, je n'aie eu l'avant-goût de l'avenir où l'essence et l'apparence vivront réconsiliées, dans l'Un substantiel, à jamais. " Les Studebaker sont des voitures prestigieuses. Cette affaire de famille à partir de deux frères forgerons, Henry et Clement Studebaker est une longue histoire à elle toute seule.
Quant à Raymond Loewi, c'est un ingénieur français qui avait émigré aux États Unis après la première guerre en 1919.
Ses créations sont connues du monde entier : logo BP, Lu, Newman, Shell, Lucky Strike, les voitures Studebaker, les enseignes Coop, Spar, Vitos, L'Oréal, Air France, Monoprix, l'aménagement intérieur du Concorde et d'Air Force One, ... un vie incroyable racontée sur un site captivant où il faut lire au moins " les anecdotes", parfois surprenantes !
p. 33 : " On avance dans le nuage de fumée noire, délétère, que vomit, devant, une Oldsmobile, laquelle est prise elle-même dans l'espèce de feu de broussailles qui se dégage d'un chameau. " Oldsmobile Venturian, de 1966.
p.34 : " Juste après, on pense croiser une compression colossale sur un socle de béton et c'est un vieux SU 100, son canon pointé vers la magnifique porte d'entrée, à deux battants, du palais des Gouverneurs. "






modèle réduit au 1/35
Très utilisé la dernière année de la dernière guerre, il alimenta depuis les " alliés ". Il s'illustra en Hongrie en 1945, en Tchécoslovaquie, en Égypte (crise de Suez en 1956, servit contre Israël, en 1967 dans la guerre des six jours, et en 1973 dans la guerre du Yom Kippur), en Angola et à... Cuba.
SU est l'abréviation de Samoknya Ustanokova. 100 vient du calibre des obus tirés.
p. 34 : "
Le SU 100, [...], je l'avais déjà vu aux actualités de vingt heures d'il y a quarante ans, au format Dinky Toys, à quoi l'écran chétif, grisâtre, de la télévision d'alors ramenait pêle-mêle la DS 21 futuriste, la 404 de Bourvil et la Facel-Véga d'Albert Camus broyée par l'accident. Il a grandi, lui aussi, comme la Studebaker Commander, comme nous tous, mais sans dépouiller, comme on fait avec l'âge, hélas, l'éclat de l'enfance. C'est le contraire."


















Le Monde du 6 janvier 1960 :
"
C’est vers 14 h 15 que s’est produit sur la route nationale numéro 5, à vingt quatre kilomètres environ de Sens, entre Champigny sur Yonne et Villeneuve la Guyard, l’accident qui a coûté la vie à Albert Camus. La voiture, une Facel Vega, se dirigeait vers Paris. L’écrivain était à l’avant, à côté du conducteur M. Michel Gallimard. D’après les premiers témoignages, la puissante automobile qui roulait à une très vive allure - 130 kilomètres à l’heure selon certains - a brusquement quitté le milieu de la route, toute droite à cet endroit, pour s’écraser contre un arbre à droite de la chaussée. Sous la violence du choc la voiture s’est disloquée. Une partie du moteur a été retrouvée à gauche de la route, à une vingtaine de mètres, avec la calandre et les phares. Des débris du tableau de bord et des portières ont été projetés dans les champs dans un rayon d’une trentaine de mètres. Le châssis s’est tordu contre l’arbre. D’après les premières constatations de la gendarmerie, l’accident aurait été provoqué par l’éclatement d’un pneu gauche, mais cette version n’est pas encore confirmée. Il n’est pas impossible que le conducteur ait eu un malaise. "
D'autres ont écrit leurs impressions de Cuba. Je pense à François Maspéro qui avait publié dans le monde en 1999, son expérience , et qui dans un passage parlait de ce que Bergounioux décrit : " Le véhicule que nous empruntons, appelé « chameau », est une très longue semi-remorque tirée par un camion et qui transporte 300 passagers. des camions-tracteurs tirant des remorques présentant comme deux bosses rappelant les vrais chameaux. Autres véhicules des rues cubaines et plus particulièrement de La Havane, les rutilantes américaines déambulant avec plus ou moins de prestance et faisant partie du paysage. Après le blocus américain de très nombreuses voitures des années 50 et 60 ont constitués le seul parc automobile sur l'île avant l'arrivée de véhicule des pays de l'est. Les cubains les ont conservées dans un état extérieur souvent exceptionnel, quand à la mécanique faute de pièce détachée, elle relève de l'application d'ingéniosités diverses. "
Mais si Bergounioux et Maspéro voient les mêmes choses, ils ne le vivent pas à l'identique. Bergounioux passe du présent observé au passé, vit le réel comme un souvenir.
Il ne faudrait pas croire que c'est le seul intérêt de ce texte, surprenant à plusieurs égards. Nous y reviendrons dans une autre étude.