page précédente (album février) Mercredi 17 mars 2010 page suivante (Odradek) retour au menu

Le plus beau des voyages, un plan d'enfer !
ou : comment représenter l'Enfer de Dante?
ou : à chacun ses cercles...

Depuis deux mois, suite à une discussion de début d'après-midi, avec Anne à Saint-Malo, qui me mit plus que l'eau à la bouche, je me suis mis à lire, découvrir, explorer, découvrir, ce monument qu'est la Divine Comédie de Dante, que je connaissais de titre et de renommée comme tout le monde, mais que je n'avais jamais lu en entier ni sérieusement.
Si vous voulez perdre un homme, c'est le genre d'œuvre qu'il faut lui offrir.
Au milieu du chemin de notre vie
je me retrouvai par une forêt obscure
car la voie droite était perdue.
. .................... ....................................................................(Enfer, Chant I, vers 1-3)
"Vous qui entrez laissez toute espérance"
( Enfer, Chant III, vers 9.)
J'étais prévenu mais c'est ce que j'ai fait quand même. Je suis entré et... maintenant je suis perdu.
Depuis ce jour La Divine Comédie agit sur moi comme une drogue, une obsession, pas une journée sans en lire une strophe, sans voir dans mon quotidien une référence, une correspondance, à chercher une nouvelle version ou interprétation, à vouloir comparer les illustrations célèbres, comme les 92 gravures de Botticelli, les 136 de Gustave Doré ou les 101 aquarelles de Salvador Dali (peintes en 1960 et 1961), sans parler des 300 dessins de Miquel Barcelo exécutés entre 2000 à 2002, sans parler de William Blake, dont la mort a interrompu ses illustrations.
Sale coup aussi pour mes finances, mais cela n'en parlons pas, ce n'est pas nouveau, je suis né du mauvais côté, et je n'ai jamais eu et n'aurai jamais assez d'argent, je suis habitué à cette frustration là et elle n'est pas tragique.
Elle n'est que le premier cercle de mon enfer, pas le pire, tout juste le premier constitué selon Dante par les Limbes, où séjournent, en bordure de l'Enfer, les âmes des justes ayant vécu avant la venue du Christ, ou celles des enfants morts avant d'être baptisés (ça me plaît d'être là, avec tous ceux dont ce n'est pas la faute d'être en enfer, et qui finalement n'en sont pas responsables, comme d'ailleurs Virgile le guide de Dante, mort en 19 avant J.C., et qui n'a donc pas pu connaître le christianisme !)
Ayant vécu avant le christianisme,
ils n'ont point adoré Dieu comme il sied :
et moi aussi j'appartiens à leur troupe.
Pour un tel manque, non pour d'autres crimes,
nous sommes donc perdus, n'ayant pour peine
que de vivre en désir et sans espoir."
Je fus saisi de douleur à l'entendre,
quand je sus que des gens très valeureux
se trouvaient dans ce Limbe, suspendus.


(Enfer, strophe IV, vers 37-45)
Bon, entre nous, la condamnation à vivre en désir et sans espoir, je connais et je veux bien dans ces conditions aller en Enfer, surtout que j'envisage très bien cette pause-là, même pour longtemps, surtout celle du type de gauche !
Mais mon problème qui m'agite et m'enchante tellement il m'excite, ne vient pas de là.
Il vient de mon habitude de lire les livres qui m'intéressent accompagné d'un papier et d'un crayon et de prendre des notes, noter les personnages, essayer de les relier, de dresser leur arbre généalogique... Et là, il faut dire que la structure de l'enfer, du purgatoire et du paradis, imaginée par Dante est quelque peu trapue ! Moi qui adore tenir des journaux de voyage avec le maximum de documents et de traces, là, j'avoue que je suis battu ! Difficile de s'imaginer dans la tête la géographie du voyage, les endroits visités, de dresser une carte ou un plan des endroits traversés !
C'est que la Divine Comédie est une véritable exploration de drôles de continents et une aventure qui devrait encourager Nicolas Hulot et Arthus-Bertrand à laisser tomber leur hélicoptère et prendre leur retraite !
J'ai bien essayé mais j'ai capitulé.
Et oh bonheur, après quelques recherches, j'ai découvert qu'il y en avait d'autres qui avaient essayé avant moi et qui avaient été jusqu'au bout ! Alors quel plaisir (encore) de vous montrer le résultat de leurs efforts !
. . .
Bon d'accord, au début on est perdu et le cosmos est vraiment dantesque ! (Tiens, c'est peut-être pas par hasard cet adjectif alors, ni tous ses synonymes, qui comportent aussi bien effrayant que formidable ! (bravo le mot non ?))
Le cosmos réunit l'enfer, le purgatoire le paradis et faut placer dedans la Terre. (Au centre de tous les dessins ci-dessus même dans sa version anthropomorphique).
Il faut donc peut-être commencer par la Terre et savoir comment Dante arrive à y placer à l'intérieur l'enfer, dans un cône, et le purgatoire à la périphérie, le paradis étant bien sûr dans les hautes sphères...
En 1465 Domenico di Michelino lui ne s'est pas trop emmerdé en montrant Dante présentant sa Divine Comédie.
Mais quand même ! Si on lit bien, par exemple dans l'Enfer, vaste cône dans l'hémisphère Nord au centre de la Terre, il y a deux grandes régions (haut enfer avec un vestibule et cinq cercles, et le bas Enfer, ou cité de Dieu, qui comprend quatre cercles).
Sans parler de certains cercles qui ont des sous-parties, comme les "bolges" du huitième cercle qui permettent de distinguer les séducteurs des adulateurs !
Je préfère de loin, on le comprend bien, les schémas plus sérieux proposés pour l'Enfer situé dans la terre et qui tiennent compte du voyage que nous raconte Dante.
Mais voilà, ce petit cône au centre de la terre, quand on lit le poème de Dante, c'est plus compliqué : vu tous les damnés qui s'y trouvent et leurs diverses catégories (Dante a raison, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier), c'est difficile de se représenter les cercles avec leur paysage, leur désagrément (ils contiennent la punition et les châtiments). Mais je suis ébahi de ceux qui s'y sont attelés sérieusement, faisant semblant de ne pas avoir vu qu'il s'agissait là d'un poème, d'un récit allégorique, d'un fouillis de codes, où rien n'a été laissé au hasard, le tout ne visant qu'à se faire retourner le lecteur sur lui-même et comprendre l'enfer de sa vie et du monde où il est, incluant le passé et l'avenir.
Merci à tous ceux qui ont essayé de m'éclairer de la topographie de ce cône infernal, m'aidant à suivre Dante et Virgile dans leur sympathique balade !
Mais bon, ça ne ressemble pas à mon dessin inachevé...
. .
Et je ne vous montre pas les détails !
Je ne peux ignorer et passer sous silence le seul boulot fini de Botticelli (c'était une commande à la fin des années 1400 de Pier Francisco de Medicis, cousin de Laurent le magnifique) et qui représente l'Enfer dans sa totalité :
Car ce parchemin de 32 cm sur 47, qui en soi ne paie pas de mine, tout y est si on regarde de près :
.
ET pour que mes lecteurs soient rassurés ou effrayés, c'est aussi compliqué pour le Purgatoire.
Il se dresse, haute montagne dans l'hémisphère austral, et comporte l'Antipurgatoire (qui comporte quatre subdivisions) et le Purgatoire (avec sept parties, terrasses concentriques appelées corniches !)
Et pourtant "quand Virgile et Dante, à l'aube du dimanche de Pâques de l'année 1300, débarquent sur la plage de l'Anti-purgatoire, après avoir traversé les cercles infernaux et reparcouru, à travers un boyau obscur, tout l'espace du centre de la terre à sa surface, l'impression de bonheur est intense, quasi paradisiaque..."
N'empêche qu'avec mon crayon, je m'y suis perdu autant qu'en Enfer.
Mais bizarre impression personnelle puisque je pense, depuis que je suis à la retraite, être au purgatoire puisque l'enfer n'a pas eu ma peau. Une manière peut-être de réaliser que le plus dur est passé ...
Quoique, à la limite...
Je ne parlerai pas de la structure du paradis, puisque même si je fus enfant de chœur à Bérou la Mulotière, je n'y ai jamais cru et ai toujours pensé qu'il n'avait aucun sens ni intérêt.
Le Paradis fut pour moi dès le départ une invention ou un concept forcément chiants et pénibles à envisager.
Quelques éclairs de bonheur, éclats d'amour ou étincelles de bien être, m'ont toujours suffi à supporter le grand rien...
Le paradis doit être sur terre ou ne pas être, point à la ligne.
Mais je n'étais pas dans ma recherche et mon échec au bout de mes surprises. J'ai découvert encore plus fou que moi, ce qui m'a bien sûr rassuré et enthousiasmé.
J'adore les surprises.
(à suivre)