page précédente (Il est toujours 9h30 quelque part) Lundi 13 décembre 2010 page suivante (Thiron-Gardais, un canton...) retour au menu
Il y a du plaisir à être immobile,
et se mettre à découvert (sauf dans sa banque),
ou : now here for friends...

Depuis un mois c'est l'hiver à Thiron-Gardais : froid, grisaille et nombreuses chutes de neige. On se dit, retour à l'enfance, c'est beau, c'est chouette, on fait de belles photos et Dieu que c'est un temps formidable pour rester chez soi.
Mais voilà, dans une maison que l'on ne peut chauffer à sa guise (le plein de la cuve de gaz coûte 1600 euros) on y attrape une bronchite asthmatique et on se retrouve vite la poitrine en feu, cortisoné et antibiotiqué jusqu'aux yeux, ce qui est déjà moins drôle et on se sent vite devenir ce fil barbelé, ronce artificielle, dont le brevet fut déposé par l'américain Joseph Glidden le 24 novembre 1874, pour devenir l'élément emblématique de l'univers concentrationnaire de notre vingtième siècle.

Il y a bien sûr les mésanges et les rouges-gorges que l'on ne se lasse pas de regarder picorer le pain, les graines et le saindoux sur le rebord de la fenêtre de la cuisine,
pour s'apercevoir que leur vie n'est pas drôle non plus : toujours aux aguets pour voir s'il n'y a pas le chat de la voisine ou un épervier qui rôdent dans les parages, et qu'ils ne peuvent pas rester plus de trente secondes en place.
Sans parler des pointes des fils barbelés qu'ils ne distinguent pas bien et sur lesquels ils se lacèrent ou s'empalent.

Bien sûr on peut en profiter pour lire les livres que des amis écrivains vous ont gentiment envoyés, et qui par chance sont tous excellents. De quoi parler et partager un jour prochain...
..
En attendant :
1- Dufourquet : son 4ème publié par et chez Maurice Nadeau. De quoi mettre la puce à l'oreille non ? Peut importe il en vendra encore 150 à 300 exemplaires. Le public de la Littérature (le L n'engage que moi) n'est plus le même... et se transforme en peau de chagrin. Quand je pense que Chloé Deleaume comparait il y a quelques jours sur France Culture Boris Vian et Rabelais et que personne n'a trouvé rien à relever ni redire, François Bon a dû se retourner dans sa tombe numérique !
Bref, en attendant on peut lire la critique d'Odile Hunoult dans le dernier numéro de la Quinzaine littéraire (no 1027- 1er au 15 décembre 2010)

2- Bergounioux : en attendant la prochaine bergounienne, on peut lire sur le net :
- la critique de Sébastien Rongier sur remue.net,
- la critique de Pierre Jourde sur son blog (et qui se termine par "Tel quel, ce livre profondément original se distingue du tout-venant de la production romanesque.", ce qui est vraiment le moins qu'on puisse en dire et qu'on pourrait affirmer d'ailleurs du livre de Dufourquet !),
- la critique de Christophe Kantcheff dans Politis.

Mais ce mois sans page de journal s'explique surtout car il lui était tombé dessus une envie irrépressible de changer de décor. Ses murs blancs commençaient à l'emprisonner et l'hospitaliser, alors il avait passé trois semaines à peindre tous les murs et à tout changer. Travail long et fastidieux à cause des étagères et des meubles à vider pour pouvoir les déplacer. Vastes jeux infinis et parfois décourageants de translations et d'essais, de mal au dos et de fatigue, de bazar au sol.
Il en avait profité pour commencer le vaste travail d'épuration dont il rêvait mais qu'il repoussait depuis un an. Suffit le désordre non voulu ou maîtrisé, bienvenue à la déchetterie thironnaise... Envie aussi de plantes vertes dont il avait besoin de s'entourer...
Heureusement, il avait reçu un peu d'aide de sa compagne et de sa voisine, quand elles voyaient qu'il commençait à se décourager.
..
Il pensait bien reprendre depuis un certain temps la peinture, mais il ne s'attendait pas à cette peinture-là. Mais qui sait : c'est peut-être celle-ci qui lui permettrait bientôt celle-là.
..
Pendant ce mois assez solitaire il avait comme préparé son refuge définitif, sa tranchée de la dernière guerre, où l'on va pouvoir se faire oublier du monde, le quitter progressivement, y résister à sa manière, même inefficace, le principal étant de se sentir encore debout.
Commencer à choisir les livres, les musiques, les objets avec lesquels il voulait définitivement vivre et qu'il voulait "garder jusqu'au bout" fut un exercice assez excitant et qui le remplit aussi d'un certain calme intérieur. A sa grande surprise il n'avait plus de mal ni de peine à se séparer de beaucoup de choses et l'exercice permettait aussi comme un survol de son passé. Cela lui avait bien plu et l'avait encouragé à continuer,et comme déclenché la dynamique tant attendue pour enfin se détacher de toutes les traces, choses ou objets qu'il avait pourtant si patiemment et systématiquement gardés voire accumulés pendant des dizaines d'années.
Il avait réalisé qu'il n'en n'avait plus besoin pour vivre, qu'il avait tout dans la tête et dans le corps, invisible mais indélébile, que tout ce que l'on garde ou dont on ne peut se détacher pèse lourd.
Il voyait aussi à quel point avoir voulu tout garder était insensé, prétentieux, maladif, véritable constipation ou rétention intestinale, combien aussi par moment cette attitude l'avait bloqué et avait empêché toute avancée ou évolution personnelle.
Il n'avait tout simplement plus besoin d'accumuler pour se rassurer.
Même dans l'art contemporain, ceux qui pratiquaient encore cette stratégie ne le fascinaient plus comme avant. Cela lui semblait peut-être parfois (mais de moins en moins) surprenant encore, mais facile (juste tape-à-l'oeil, au sens propre c'est-à-dire qui fait beaucoup d'effet tout en étant de peu de valeur) et finalement vide, un peu comme un calendrier qui cacherait un trou dans le mur.

Mais il n'en était plus là, le jeu était presque fini et il n'avait plus besoin de preuves ni de joker. Il ne lui restait plus à la rigueur qu'a mener le petit au bout dans les conditions les plus satisfaisantes pour lui. Il n'avait plus besoin d'être rassuré de ou sur quoique ce soit... Il savait ce qu'il en pensait, il savait où étaient ses erreurs, ses illusions et ses aveuglements insensés. Mais il avait la chance de ne rien regretter et de ne pas avoir lésiné sur la dépense ! Il savait qu'il ferait différemment ou ne referait pas ou pas pareil si c'était à recommencer mais on ne recommence jamais rien, on ne fait que continuer à la va-que-je-te-pousse... Il mesurait sa déception sur l'homme en général, disons cette espèce vivante-là, mais à l'aune du plaisir d'être encore là.
L'immobilité qui le gagnait physiquement lui plaisait bien et lui permettait de se concentrer sur sa pensée et celle des autres. Il n'avait jamais eu autant plaisir à lire, réfléchir, et penser la place de l'homme dans l'histoire de la vie terrestre, plus influencé finalement aujourd'hui par une vision biologique qui lui venait de ses études, que par tout ce qu'il avait lu, expérimenté, vécu ou rencontré.
Dans l'apparente difficulté à vivre dans ce monde-là d'aujourd'hui, sa vie lui semblait pourtant de plus en plus simple, peut-être à cause de son âge, de tout ce qui s'était sédimenté en lui, mais qui était du passé, qui ne pouvait être recommencé, et qu'il savait où il était et ce qui l'attendait.

 
Chaque jour qui passait, le monde lui semblait s'engager dans une guerre épouvantable qui annonçait la barbarie d'un nouveau Moyen-Age. Il savait qu'il n'en connaîtrait heureusement jamais la fin, mais les prémisses lui suffisaient amplement comme spectacle, un peu comme il lui arrivait tard dans la nuit de regarder à la télévision un de ces bons films noirs, ou d'autres fois d'épouvante, comme on savait en faire au bon vieux temps...

Il avait suffisamment de projets pour ne pas avoir peur de s'ennuyer même s'il savait qu'il n'aurait peut-être pas assez de temps ou de moyens (physiques, économiques...) pour les réaliser.

Qu'importe, même s'il avait l'impression, déjà, de ne plus faire partie tout à fait du monde qui se profilait chaque jour devant ses yeux, d'appartenir à un monde déjà fini, il appréciait d'être encore vivant.
Sur ce, il entra dans une longue et douloureuse quinte de toux qui lui coupait la respiration et lui fichait la trouille à chaque fois.