jour précédent mercredi 11 novembre 2009 jour suivant retour au menu
Quand j'entends que la vie est belle, ça me fait rire...

Bien sûr que la vie est belle, pourquoi pas, mais qu'est-ce que cela veut dire et de quoi parle-t-on ?
Oui, la mer grise et froide à Ouistreham un matin de 11 novembre, c'est beau.
Oui, lire des livres qui vous excitent et vous bourrent les synapses de dopamine, c'est formidable.
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Oui, échapper à la mort fait plaisir, même si elle casse les côtes.
Oui, le bord de l'étang est beau en automne.
Oui, voir Michon entre Marc Levy et Guillaume Musso est amusant.
Oui, prendre un café sur une terrasse vide avec S. et regarder passer les gens est distrayant.
Oui, écouter Michel Onfray dresser la liste des 10 grandes idées reçues sur Freud et les retourner en cartes postales comme des crèpes est un pur plaisir...
Oui, prendre un café au petit matin dans une station d'autoroute quand on a froid est réchauffant.
Oui, voir ses filles douter de l'art contemporain et s'amuser de la lumière sur les toiles de Soulages est réconfortant.
Oui, mais était-ce cela la vie dont ils parlaient les gens quand ils disaient qu'elle est belle ? De quelle vie parlaient-ils ? Que mettaient-ils derrière ce mot ? La vie n'était-elle à ce point qu'une suite de choses, d'images, de paysages et choses du réel comme autant d'instantanés pris dans une vitre brisée ?
Qu'une liste de photos de nuit comme il aimait tant en prendre dans les endroits désertés ?
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La vie n'était-elle que ce qu'il appelait souvent un vrac, un simple fourre-tout, une liste vertigineuse de plus ?
Bien sûr que non. Même si ses études scientifiques lui en avaient essentiellement donné un sens biologique, il y avait là aussi une histoire d'âme, de resssenti, de survie, une manière de... respirer dans un temps qui passait. Il n'aimait pas pour cela qu'on lui demande sans arrêt "comment ça va ?". A chaque fois il avait envie de demander "comment ça va quoi ?" et il répondait presqu'invariablement : "on fait aller".
La vie n'était sans doute que l'idée qu'on s'en faisait. En soi elle n'était rien, juste une durée encadrée qui se remplissait quoiqu'on y fasse du sable qui glissait entre nos doigts trop petits.
Devait-on s'en satisfaire ou essayer d'en retenir quelques grains, et pour quoi faire ?
Il pensait que de toute façon, quoiqu'on en pense, ce n'était pas une raison pour ne rien faire et laisser tout aller à vau-l'eau.
Il aimait se sentir vivant quand il avait du plaisir, comme la fois où un gardien de musée lui avait montré, à Rouen, comment on reconnaissait un tableau du Caravage aux traces qu'il laissait avec le dos de son pinceau pour indiquer le lendemain où il devait reprendre son travail ou faire une retouche.
"Alors je ne vous demanderai rien. Parle-t-on à une tuile qui tombe du toit et va vous fracasser le crâne ? On est une abeille qui s'est posée sur la mauvaise fleur, on est le museau d'une vache qui a voulu brouter de l'autre côté de la clôture électrique ; on se tait ou l'on fuit, on regrette, on attend, on fait ce que l'on peut, motifs insensés, illégalité, ténèbres." (Bernard-Marie Koltès, Dans la solitude des champs de coton, p.24, 25).
La vie était bien là, belle dans toute son horreur, se dit-il en se détachant du tableau qu'il était venu revoir spécialement au musée de Rouen.
En sortant, il ne faudra pas que j'oublie d'acheter du café et du pain, pensa-t-il.