vendredi 13 février 2009 : L'oiseau de Marrakech ou : connaître le nom des choses
(ou : entrée momentanée dans le journal complet et le reste du site)
vendredi 29 mai 2009 : Quand on arrête de mettre son journal en ligne, rien ne s'arrête...
À partir de l'Incendie du Hilton , livre de François Bon
ou : comment un incendie qui n'a pas eu lieu peut en cacher beaucoup d'autres
Le nouveau journal
mercredi 9 septembre 2009 : Bizarre parfois quand on relève la tête... Gofridus , au secours ! (Chauvigny)
lundi 14 septembre 2009 : " Je vis parfois des journées cafardeuses..."ou : When King Cophetua loved the beggar maid
mercredi 16 septembre 2009 : Et la Mère...
vendredi 18 septembre 2009 : de l'ombre qui couvre nos sous-marins de mots
jeudi 23 septembre 2009 : quand le café est long à chauffer...
vendredi 25 septembre 2009 : quand le trait d'union est difficile...
mardi 30 septembre 2009 : de l'espace d'un livre et d'une carte
lundi 12 octobre 2009 : Mourir sur le coup est facile, survivre est plus difficile...
lundi 19 octobre 2009 : Quand on n'a pas rendez-vous, on vous emmène aux urgences ou : Au fil du temps, de fil en aiguille...
De la couleur des bleus et de son utilité...
ou : mal, en-dessous.

Le lendemain de son admission en urgences il s'était réveillé dans un lit quasiment immobilisé par tous les fils ou tuyaux qui arrivaient dans son corps ou en partaient.
Il ne sentait pas grand chose, attribuant cette douce insensibilité à la morphine qu'on lui avait donnée à plusieurs reprises.
N'osant pas trop ouvrir les yeux, son œil gauche étant tuméfié et enflé, sa vie à l'hôpital était réduite aux bruits, qui lui semblaient amplifiés d'une manière exagérée et irréelle. Il n'était qu'à l'écoute du monde, et n'entendait rien de son corps.
Sois sage, Ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille.
N'ayant jamais aimé souffrir, douillet comme pas deux, il n'en demandait pas plus, d'autant qu'il avait encore le souvenir horrible, il y avait quelques heures à peine, de la pose extrêmement douloureuse d'un drain thoracique...
Quelle fut donc sa surprise, quand les infirmières vinrent pour faire sa toilette, et tirèrent le drap qui le recouvrait, de découvrir les multiples marques qui couvraient son corps.
Il y en avait non seulement partout mais de toutes les formes et, ce qui le surprit surtout, de toutes les couleurs.
Il ne vit d'abord que ce qui était pour lui des comètes, des galaxies, des supernovæ, de quoi faire, pensa-t-il aussitôt, un cours sur l'origine de l'univers
Et ce n'est que quand il commença à les toucher, en appuyant un peu dessus, pour " voir ", qu'il s'aperçut que cela faisait mal, en-dessous.
La couleur se faisait donc révélatrice de quelque chose de caché, sans doute en partie par les médicaments, mais aussi par le manque d'utilisation de ses muscles. La couleur contenait là des informations supplémentaires sur son corps et dont il n'était pas conscient jusqu'à ce moment.
... ...
Il y avait là de quoi ,réfléchir sur les correspondances entre la réalité (muscle écrasé, claqué, tendon étiré) la sensation (la connaissance), l'idée de souffrance et les couleurs. Pour une fois il pouvait même s'amuser à relier Rimbaud et Baudelaire.
Le plus étonnant à ses yeux, habitué comme tout le monde à avoir depuis l'enfance collectionné des " bleus ", fut de découvrir ce matin-là que ce qu'il aurait appelé " bleus " s'il les avaient touchés sans les voir, étaient des " jaunes " voire des " verts ". Ce vert que le poète liait à la voyelle U et qu'il associait aux vibrements divins des mers virides, à la paix des pâtis semés d'animaux, la paix des rides que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux...
Ce furent ces " bleus " qui étaient verts (couleur qui en peinture lui faisait mélanger du bleu (qu'il aimait, suprême Clairon plein des strideurs étranges) et du jaune (qu'il détestait)), qui sur le moment le perturbèrent, contrairement aux infirmières qui, elles, ne s'étonnèrent que du fait qu'il prenne des photos.
. .
La plus courageuse ne put s'empêcher de lui demander :
- Pourquoi vous photographiez tout comme ça ?
ni s'empêcher de rire quand il lui répondit :
- Depuis tout petit j'ai pris l'habitude de photographier le monde.
Elles le rassurèrent, sans raison puisqu'il n'était pas inquiet, en lui assurant que toutes ces ecchymoses disparaîtraient avec le temps, ce dont il se doutait bien.
Il était beaucoup plus inquiet de savoir si ces couleurs passeraient bien sur les photos qu'il prenait, se demandant ainsi une fois de plus ce que pouvait apporter la couleur en photographie, question que PdJ comme tout photographe peut se poser un jour.
En ce qui le concernait, il préférait les photos en noir et blanc, et même si en effet notre machine neuronale voyait le monde en couleurs (ce qui n'est pas si fréquent que cela dans le monde vivant), il n'empêche qu'on ne les voyait pas (consciemment) souvent, et qu'en photographie, la couleur ne se justifiait (à ses yeux !) que si elle apportait des informations supplémentaires, un peu comme l'expérience qu'il venait d'avoir avec ses bleus qu'il n'avait pas vus (ni sentis avant qu'il ne les voie) et qui étaient verts.
Il n'était pas loin d'être d'accord avec Pierre Hanau que PdJ citait, même si l'argument proustien qu'il avançait était à vérifier (" il manque cette part de mémoire involontaire, proustienne, et qui est liée aux couleurs justement. "), le justement étant à son avis de trop. Comme plusieurs études le prouvent, la couleur chez Proust n'est pas créatrice de mémoire, mais elle est importante comme symbolique, psychologique, et avant tout élément de langage renforçant la structure de son œuvre.
En attendant, il se disait que rentré chez lui, il découvrirait avec impatience si la variété des couleurs de ses " bleus " serait visible.
Il ne savait pas ce premier matin que les dix prochaines nuits, presqu'insomniaque, il resterait dans le noir à regarder par la fenêtre le parking désert qui lui faisait penser à un camp de concentration.
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci,

Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.
Il ne savait pas non plus, qu'il ne saurait jamais à qui appartenait, peut-être abandonnée, peut-être volée, la seule voiture qui y restait.
Vaste comme la nuit et comme la clarté
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.