vendredi 13 février 2009 : L'oiseau de Marrakech ou : connaître le nom des choses
(ou : entrée momentanée dans le journal complet et le reste du site)
vendredi 29 mai 2009 : Quand on arrête de mettre son journal en ligne, rien ne s'arrête...
À partir de l'Incendie du Hilton , livre de François Bon :
mercredi 26 août 2009 : Pourquoi j'aime l'Incendie du Hilton de F.Bon
jeudi 27 août 2009 : Anticosti ou : l'incendie du Hilton mène à tout à condition d'y entrer...
vendredi 28 août 2009 : j'ai retrouvé mes photos d'Anticosti dans celles de l'incendie du Hilton
samedi 29 août 2009 : En même temps que le Hilton, à l'autre bout du pays une cabane brûle encore...à Dollarton.
dimanche 30 aout 2009 : dans L'incendie du Hilton il brûle aussi le tableau d'un inconnu.
mardi 1er septembre 2009 : dans l'incendie du Hilton, le Grand Incendie de Londres en cache un autre (J. Roubaud)
jeudi 3 septembre 2009 : de L'incendie du Hilton à l'incendie du Borgo
Le nouveau journal
mercredi 9 septembre 2009 : Bizarre parfois quand on relève la tête... Gofridus , au secours ! (Chauvigny)
lundi 14 septembre 2009 : " Je vis parfois des journées cafardeuses..."ou : When King Cophetua loved the beggar maid
mercredi 16 septembre 2009 : Et la Mère...
vendredi 18 septembre 2009 : de l'ombre qui couvre nos sous-marins de mots
jeudi 23 septembre 2009 : quand le café est long à chauffer...
vendredi 25 septembre 2009 : quand le trait d'union est difficile...
mardi 30 septembre 2009 : de l'espace d'un livre et d'une carte
lundi 12 octobre 2009 : Mourir sur le coup est facile
survivre est plus difficile...

Ils étaient rentrés calmement après avoir passé l'après-midi en banlieue parisienne à récupérer certaines affaires du grand-père mort il y a quelques mois. Des bricoles, mais auxquelles S. sa compagne tenait affectivement ou pour les souvenirs qui y étaient attachés. Entre autre, un petit train extraordinaire, qu'ancien ingénieur de chez IBM, il avait mis des années à perfectionner et à fignoler, jusqu'aux moindres herbes et arbres du décor.
A quelques kilomètres de Thiron-Gardais, il n'eut le temps que de mémoriser une image et un son : celui d'un choc aussi dur qu'amorti, et la fourgonnette qui s'envolait vers le ciel.
Il avait peut-être aussi vaguement entendu S. qui disait " ah non !..."
Quand il s'était réveillé quelques secondes plus tard, il n'avait eu le temps que de demander à son amie, qui semblait miraculeusement indemne à côté de lui, de détacher sa ceinture, avant de retomber aussitôt, c'était la saison, dans les pommes.
Quand il s'était de nouveau réveillé, il se souvenait vaguement d'avoir apostrophé un type à mobylette pour qu'il vienne l'aider à sortir, ce qui n'avait eu pour résultat que de le faire fuir, d'avoir demandé à sa compagne qui téléphonait au bord de la route et répêtait désespérément " on est où ? on est où ici ? ", d'éteindre les flammes qui léchaient le fourgon, s'apercevant qu'après un tonneau il avait coupé une ligne électrique de 20.000 volts. Avant de retomber pour il ne savait combien de temps, comme rassuré, dans le coma et peut-être même mourir avait-il pensé, fatigué.
C'est d'ailleurs le doute horrible qu'avait dû vivre sa compagne lors de cet évanouissement-là, puisqu'il n'avait pas réagi ni à ses claques ni à ses appels...
Plus tard, il faisait nuit, il avait vaguement repris connaissance avec un pompier qui n'arrêtait pas de lui demander son nom et sa date de naissance, en lui répêtant qu'il ne devait pas bouger, qu'ils étaient en train de le désincarcérer, mais qu'il fallait aller doucement... Il répondit plusieurs fois sans difficulté et sans erreur, et se demanda pourquoi le pompier n'arrêtait pas de dire à son voisin, " il délire complètement ".
Il entendait des bruits secs et sourds en même temps de pinces, de craquements. Il n'avait mal nulle part.
- Qu'est-ce qui est arrivé ?
Le pompier chuchota : " c'est une vieille dame, elle ne s'est pas arrêtée au stop! "
- Où est ma compagne ? Pourquoi n'est-elle pas là ? Si elle est morte, faut me le dire tout de suite ...
Le pompier précisa calmement : " Non elle n'est pas morte, elle va bien , elle est là-bas... Elle remplit des papiers..."
Il se demandait si c'était vrai ou pas, et s' " ils " ne cherchaient pas à le ménager...
En attendant il se disait qu'il était à la place du mort, sans réaliser qu'il n'était pas pour autant mort, juste saignant, étourdi, d'un calme olympien, respirant doucement en espérant que son coeur ne lâche pas.
Il pensa que mourir sur le coup dans un accident était facile, rapide, et finalement une belle mort, puisqu'on n'avait pas le temps de réaliser quoi que ce soit et qu'une fois de plus, c'étaient ceux qui restaient qui devaient se retrouver " en enfer ".
Son corps avait tout encaissé. Il se dit qu'il allait croire au destin puisque c'était la deuxième fois dans sa vie qu'il aurait dû y passer, que d'autres y étaient passés (du côté qu'on dit " l'autre ") pour moins que cela, et que donc ce n'était pas encore cette fois-là " son heure ".
Dans le choc il avait néanmoins perdu ses lunettes et sa montre. Il ne voyait plus rien, gardait les yeux fermés, et ne savait plus se situer dans le temps.
Plus tard, devant la carcasse que les assurances appellent une épave, il se demanderait comment son amie et lui avaient pu tenir dans un tel espace sans être écrasés.
Un peu comme on peut se demander comment dans un tel monde on peut résister et rester debout.
Il se souvint qu' "ils" avaient refusé que sa compagne monte avec lui dans l'ambulance qui filait dans la nuit eurélienne, que le pompier lui avait dit qu'il était un de ses anciens élèves, qu'il avait aimé ses cours, et qu'il comptait devenir un jour gendarme, que la jeune femme assise en face de lui, tout en faisant une piqure, avait répondu :
- Ah bon ? Pompier c'est bien, pourquoi vouloir devenir gendarme ? et avait ajouté quelques secondes plus tard :
- Je ne comprends pas pourquoi " ils " ont refusé que sa copine monte avec lui...
Puis elle appela sur son portable les urgences à l'hôpital de Chartres et fit une description qu'il ne comprit pas bien.
Elle avait parlé de côtes cassées et d'un décollement des poumons.
Il pensa que c'était bizarre, car il n'avait mal nulle part, et qu'il lui semblait respirer normalement. Mais qu'importe, il saurait bien plus tard.
Il pensa par contre que c'était dommage qu'il n'ait plus ses lunettes, car il ne pourrait pas lire et qu'il devrait donc en trouver une paire le plus vite possible.
Comment les choses se passent dans la tête et dans notre vie est souvent incompréhensible. Il pensa que les trois prochains livres qu'il devait lire étaient Oedipe sur la route de Henry Bauchau, Exit de Philip Roth et La vérité sur Marie de Jean-Philippe Toussaint.
Au même instant il n'imagina pas une seconde combien il allait souffrir pendant qu'il les lirait.