Lundi 4 Juin 2007 jour précédent jour suivant retour au menu
Un de mes fantasmes
Être gardien de phare. (no 3 : la relève)

La relève ! Quel mot ! J'ai toujours aimé ce mot. Ça veut dire pour moi qu'on est tombé et que même si on s'est fait mal, on en n'est pas mort et qu'on est reparti...Ça peut être une règle de vie, une manière d'être, une éducation aussi. Un équivalent de : ne te laisse pas aller...
une sorte de force vitale.
S'il y a relève, c'est qu'il y a eu chute ou affaissement. Charles Juliet en a bien parlé...surtout dans sa longue errance du début...cela m'a marqué bien sûr, touché, parlé, aidé, encouragé...
Et puis relever, c'est presque aussi révéler...Dans relever il y a aussi de la reconstruction, de la fabrication de connaissance de soi, du défi de vivre (que l'on relève d'ailleurs aussi), de la dignité à ne pas rester au sol, de la volonté de s'élever...C'est la victoire d'Eros sur Thanatos.

La relève au phare d'Ar-Men, est légendairement difficile, aléatoire, jamais assurée, risquée car dangeureuse. Elle fait part de son enfer...
Elle se faisait par la célèbre navette la Velléda, du Service des Phares et Balises, longtemps commandée par Henri Le Gall (de juillet 1950, à l'âge de 22ans, jusqu'à sa retraite en 1983, à l'âge de 60 ans).
En fait il y a eu 4 Vélléda :
- la première, qu'on appelle maintenant Velléda I, de 1933 à février 1949, et qui après l'appel du 18 juin, a emmené beaucoup de marins de Sein en Angleterre,
- la seconde Velléda (Velléda II) qui n'a pas duré longtemps, vu son accident sur les rochers de du port de l'île de Sein, peu après sa mise en service en février 1949, forçant la première à reprendre du service sous le nom de La Helle en juillet 1950 avec le jeune Le Gall, le temps d'attendre la construction de la troisième Velleda,
- la troisième Velléda, (Velléda III) lancée en 1951, fera la relève d'Ar-men jusqu'en 1968, toujours commandée par Henri Le Gall, et qui sera déplacée en 1969 à Ouistreham pour y servir jusqu'en 2004
- la quatrième Velléda (Velléda IV), construite à Bordeaux, sur conseils de Henri Le Gall, qui commençait à trouver la troisième moins sûre, existe encore.
On a pu la voir, il n'y a pas longtemps dans le film l'Équipier de Philippe Lioret, avec Philippe Torreton (dans le rôle de Yvon Le Guen), Sandrine Bonnaire (Mabé Le Guen) et surtout Gregori Derangère, qui joue le rôle de l'étranger, le type de Touraine qui veut être gardien de phare...Sur le cite Allociné on peut voir des extraits de film, dont un où on entrevoit la relève justement, et un bel extrait (le 2ème, dialogue formidable en Torreton et l'autre où il lui explique le système du gardiennage et donc de la relève)

Je ne sais pas si les bretons ont choisi ce nom à cause de Velléda la princesse germanique qui participa à la révolte contre l'empereur romain Vespasien, (ce qui ferait un peu Astérix avant l'heure...) mais il existe aussi, il n'y a pas loin, dans mon fantasme, de la tour au phare, la tour Velléda de Chateaubriand pavillon situé un peu à l'écart de sa maison principale de la Vallée-aux-Loups, qui lui a servi de cabinet de travail et de bibliothèque, en souvenir de l'une des héroïnes des Martyrs.
De là à repenser à la Tour Martello de Joyce, et pourquoi pas à la tour de Montaigne (avec en face la Tour de Madame)...il n'y a peut-être que dans mes fantasmes que les phares sont des tours d'ivoire...

salle d'honneur du phare Kéréon Quoique...rappelons que Kéréon, phare classé dans les enfers, était aussi surnommé " le Palace " à cause de ses boiseries exceptionnelles en chêne de Hongrie lambrissé dans le vestibule, la cuisine, les deux chambres de gardiens et sur le parquet de la salle d'honneur (photo ci-contre) au centre duquel apparaît une grande rose des vents faite de bois d'acajou et d'ébène.
Cette salle est située au 5ème niveau. Et c'est sans parler de la cage d 'escalier ornée de céramiques !
Une vraie tour d'ivoire là...Non ?
(Auparavant les gardiens passaient leur temps à tout cirer et astiquer.
On se demande dans quel état sont aujourd'hui ces splendeurs abandonnées...)

Selon les témoignages d' un ami d'Henri Le Gall ou d'un passionné de l'île de Sein , la relève et le ravitaillement d'Ar-men se passaient toujours de la même façon (mais qui était impossible par tempête, ce qui donne, je l'ai dit hier, le record du monde à Ar-Men de 101 jours sans relève ni ravitaillement) :
" Faisant fi de la violence des courants et des vagues coléreuses, la vedette s’approchait le plus près possible des phares. L’équipage devait alors accrocher le filin lancé par les gardiens. Ce filin a pour nom le " cartahut " et sert à l’installation d’un va-et-vient. Le passager se capelle, c’est à dire qu’il s’assure d’une ceinture de sauvetage, puis il s’installe à califourchon sur une sorte de gros ballon qui glisse le long du cartahut."
" La relève se fait officiellement généralement après 15 à 20 jours en mer, et offre 10 jours à terre, avant une nouvelle tournée. Mais la météo connaît rarement les dates officielles et les 20 jours en mer ne comptent pas pareils par temps de tempête. Ils se rallongent encore et toujours jusqu’à ce qu’une éclaircie permette au cartahut d’être fixé et la relève de s’exécuter. Cela était surtout vrai pour le phare d’Ar-Men, et c’est ce qui lui a valu l’appellation d’ " Enfer des Enfers ."
On ne refera plus ces photos à Ar-Men.
Ces images et cartes postales sont devenues historiques. Ar-Men fut fermé et automatisé en 1990. Les derniers phares gardés furent automatisés à leur tour, dans l'ordre : La Jument (1991), Les Pierres Noires (1992), Le Four (1993), La Vieille (1995) et le dernier, Kéréon le 29 janvier 2004, (dont un gardien, Jean-Louis Hervéou, ne se séparait jamais de sa chienne Bidourig).