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Propos sur la littérature et la peinture.
Samedi 9 septembre 2006 jour précédent jour suivant retour au menu
Sur la corde de l'intime
Philippe de Jonckheere sur son bloc-notes du désordre de jeudi posait la question de l'intime et j'ai lu avec intérêt sa réflexion et ce qu'il avait répondu lors d'un interview récemment. C'est un problème en effet intéressant que chacun a du affronter un jour ou l'autre, et je comprends son embarras à répondre.
Sans vouloir faire de jeu de mots il me semble qu'il ne peut y avoir de réponse unique puisque l'intime est personnel.
Je pense que l'intime a rapport avec la profondeur de l'être, son for intérieur, et ne peut donc pas être pleinement dit.
Il m'arrive par exemple sur son bloc-notes de trouver des passages, des pages ou des textes qui me gênent parce que justement JE les juge trop intimes, MAIS en fait, cela n'a pas de rapport avec l'auteur mais avec moi.
Ce que je dis n'est peut-être pas clair, mais je pense qu'un dit me gêne quand c'est MON intimité qu'il touche ou dévoile. En fait je pense que l'intime ne peut pas être dit ni écrit mais juste caché sous des apparences (même sous couvert de la sincérité, de la confidence, de l'honnêteté, de la révélation, de l'analyse, du scoup, de la surprise, ou je ne sais quel subterfuge (provocation par exemple) ou autre posture exhibitionniste...).
Je pense que l'intime n'est pas là où on le place, ni là où on a décidé de le placer. Il ne peut être que là où on ne l'attend pas.
Je dis cela parce qu'à chaque fois que quelqu'un m'a dit (comme un reproche) que cela ne se " faisait " pas de dire ça ou ça sur mon journal, j'en fus toujours surpris, et j'avais beau lire ou relire le passage incriminé, je n'y trouvais rien de ce que je croyais être intime. Mais visiblement ça l'était pour mon interlocuteur.
Ce qui est intime pour l'un ne l'est pas pour l'autre. (voir la photo des Rigaudières dans le bloc-notes cité)
Par contre, je pense aussi que quand on parle de soi, dans une pratique par exemple de journal et qui plus est, mis en ligne (donc livré au public), et quand bien même on y met ce que beaucoup ne voudraient pas dire d'eux, il n'y a là rien d'intime ni d'obscène. C'est celui qui lit qui fait l'obscénité et qui ne fait "qu'intimer".
C'est le lecteur qui fait l'intime.
Le succès depuis toujours des journaux dits "intimes", des films dits " intimistes", le prouve bien.
L'intime est incommunicable mais le lecteur, voyeur éclairé, grand fabriquant d'intime, voit parfois plus (et mieux) que ce que l'auteur croyait révéler.
L'intime peut être dangereux et se refermer sur vous comme un piège.
Par exemple aujourd'hui. Que pourrais-je vous dire d'intime ?
Que je suis parti de bonne heure avec mon frère Jany chercher ma mère à Verneuil sur Avre pour aller voir mon frère Jacky hospitalisé dans un grand hôpital parisien réputé pour son excellence en cardiologie ? Qu'après avoir ramené ma mère, nous nous sommes arrêtés à La Ferté-Vidame, puis avons fait un détour par Nogent le Rotrou avant de rentrer à Thiron-Gardais ?
- mais non ça, ce n'est pas intime ...
Alors peut-être cette photo :
- Mais non, un couloir d'hôpital, ce n'est pas intime...
Alors peut-être ça :
- C'est quoi ?
- Ce sont des relevés, des mesures, des graphiques, des courbes...
- Je ne vois pas ce qu'il y a d'intime là-dedans...
- mais si, elles concernent un individu précis, racontent sa lutte depuis dix jours pour survivre...et pour lui cela doit être sans doute intime...
- C'est juste médical...Pour que cela soit intime, il faudrait dire plus : ce que tu as pensé en regardant ces courbes, il faudrait dire pourquoi tu as pris cette photo...
- Je pense que je pourrais en effet essayer, mais que je n'y arriverais pas totalement. Par contre pour moi, ce qui serait ou est intime, c'est justement ce que je ne sais pas ou ce que je cache : la photo de sa cicatrice, que j'aurais voulu prendre mais que je n'ai pas osé prendre, ce que j'ai cru voir par la porte entrouverte d'une chambre en passant dans le couloir... ce dont je ne me souviens plus ou que je ne veux pas me souvenir...
Mais je pourrais aussi montrer cette photo que je trouve intime:
- Je ne comprends pas... un fil à linge ?
- Oui, mais pas n'importe lequel. Il a toute une histoire. C'est celui que mon frère Jany a installé à la Chambrie. Cette photo est intime pour moi parce que même si on la voit en entier, la partie cachée reste immense, celle que l'on ne peut pas dire, celle que je ne veux pas dire, ou que j'ignore (qui téléphone à mon frère ? que se dit-il à ce moment-là ? Pourquoi ai-je pris cette photo ? Pourquoi cette scène m'émeut-elle ? )
- L'intime ne peut être que ce qui est tenu caché, secret, inconnu...Dès qu'on l'exprime, ce n'est plus de l'intime. Pour moi l'intime est forcément du domaine du non-dit, du non-montré, du secret.
Cela n'empêche pas que la tentative de faire part, d'écrire, de partager le plus profond de soi avec un autre, quand elle s'inscrit dans un acte de création, (tel par exemple un journal intime ou un carnet de notes écrits et publiés) jette un pont entre soi et le monde, entre le néant et la connaissance (de soi et du monde).
On comprend alors l'intérêt de Philippe de Jonckheere à " la forme " plutôt qu'au fond.
Reste à ne pas se faire trop d'illusions : la tentative de se connaître ou se faire connaître en voulant faire part de son intime (du latin intimus,le plus profond, le plus reculé, le superlatif de l'intérieur, de l'interne), reste à mon avis vouée à l'échec.
C'est en cela que l'expérience créatrice est périlleuse : le lecteur ou le spectateur ne verront l'être " que là où il cause ".
C'est sans doute pour cela qu'on voit souvent sur Internet des gens qui écrivent un blog, un bloc-notes, un journal, et qui supportent mal les commentaires des lecteurs, se sentant facilement attaqués ou jugés, alors qu'ils ne sont tout simplement que dévoilés, leur for intérieur démasqué plus qu'ils ne le voudraient, pris à leur propre jeu.
Désintimisés, oserai-je dire.