Journal de Nogent le Rotrou
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ma vie dans le Perche
Propos sur la littérature et la peinture.
jour précédent mercredi 11 février 2009 jour suivant retour au menu
On ne peut jamais tout voir dans une image, seulement sans doute que ce qu'on y cherche inconsciemment...
ou : Sainte Apolline n'est peut-être qu'un mannequin de chiffon.

Pour ceux qui ont regardé hier le haut de cette enluminure de Fouquet, voici donc sa partie inférieure (chose promise et annoncée, chose due n'est-ce pas...) :
Une composition utilisée plusieurs fois par Fouquet (parmi d'autres) dans ce livre d'heures d'Etienne Chevalier, avec du haut vers le bas:
Deux ramures de feuillage dont les branchages sont enlacés dans des claies de bois et qui en dessinant un arc-de-cercle (à discuter d'ailleurs si c'en est vraiment un)) et qui définissent en la limitant, la circularité et l'espace de l'aire de jeu, j'entends du mystère qui s'y joue dessus (partie supérieure de l'enluminure, regardée hier).
L'invention de l'espace de jeu pour l'acteur est, pour certains spécialistes, une invention de la dramatargie médiévale. On a vu que les acteurs proviennent des mansions (endroits pourvus d'une identité) et que les spectateurs sont de plain-pied, sur les "pantes" et dans des loges, les acteurs, (qu'ont donc inventé nos modernes ?) se tenant donc parmi le public...
En contrebas, dans une fosse aménagée sont logées des figures variées (sortes de putti, anges ou hommes sauvages) disposées de part et d'autre du panneau peint et lui servant de supports.
Ici, deux figures plutôt féminines (femmes anges ?) encadrant deux " mâles " qui tiennent des écus où on peut lire MAISTRE ESTIENNE CHLR, Etienne Chevalier le commanditaire de l'oeuvre que nous avons présenté succintement hier (pourtant pas sans intérêt)
Le ressaut formé par cette espèce d'antichambre spatiale sert donc de plate-forme à la scène principale, qui occupe la moitié supérieure de la composition. On a donc un dispositif étagé avec comme intérmédiaire l'écriteau brochant (le cartouche en avant de la scène où figurent les armes de Chevalier) porté par les deux hommes sauvages.
On peut donc maintenant regarder l'ensemble de cette enluminure et c'est alors qu'émergent comme un envol de corbeaux de multiples questions et pensées qui me troublent .
1- Qu'est-ce donc que cette enluminure et qu'a voulu donc faire Fouquet ?
- La représentation réaliste d'un spectacle au Moyen-Age ? (un mystère auquel il aurait pu d'ailleurs assister lui-même)
- Une composition complètement inventée de sa part (puisque tout le monde s'accorde pour dire qu'il n'existe aucune trace d'un mystère écrit sur sainte Apolline) avec ses propres souvenirs de théâtre ?
- Un simple document sur le théâtre de cette époque ?
- Que raconte cette enluminure et d'ailleurs raconte-t-elle quelque chose ou est-ce nous qui la faisons parler ?
- Veut-il nous rendre spectateur du supplice, inclus dans la foule présente, ou amateur de son enluminure ?
- comment séparer le réalisme de la scène représentée de celui de l'image elle-même ? (comme l'écrit Jonathan Beck de l'Univerité d'Arizona, dans un congrès à Tours en 1989, dans une remarquable étude du tableau intitulée Sainte Apolline : l'image d'un spectacle, le spectacle d'une image) :
"...la miniature de Fouquet nous présente l'image d'un spectacle tout en faisant spectacle elle-même, car elle suscite, dans l'oeil intérieur des historiens du théâtre, les plus diverses mises en scènes imaginaires. Celles-ci, bien entendu, ne peuvent se constituer que par analogie avec d'autres spectacles lus et vus."
2-Pourquoi cette enluminure a t-elle suscité autant de polémiques ? (devenant une sorte d'icône célèbre chez tous les historiens du Moyen-Age et de la Renaissance, et une des enluminures de Fouquet les plus célèbres dans le monde entier )
Qu'importe d'ailleurs puisque ces spécialistes savent nous distraire tout en nous passionnant.
(- Par exemple Henri-Rey Flaud (connu aujourd'hui comme psychanalyste et spécialiste de l'autisme), qui affirme et croit dur comme fer que cette miniature est " une vraie photographie, un véritable instantané de reportage " et qui a été jusqu'à compter, après de savants calculs, le nombre de spectateurs ! Heureusement son assurance fait parfois sourire puisqu'il passe dans son livre publié en 1973 (Le cercle magique :essai sur le théâtre en rond à la fin du Moyen Age, Gallimard)
de 450-1500 spectateurs, à dans son livre de 1980 (Pour une dramaturgie du moyen Age, presses Universitaires de France) à 750. ce qui fait quand même une différence de 750 ! On se dit que peut-être aujourd'hui il passerait à 350 !
- Par exemple Jonathan Beck, devant la polémique pour savoir si la scène était ronde, convexe, circulaire, ouverte ou frontale, quand il avoue qu'il s'en fout :
Quant à moi j'avoue que la première fois que j'ai vu cette miniature, j'ai subi une forte contradiction, créatrice en moi d'une tension interne.
1-J'ai tout de suite vu un corps de femme , corps torturé et m'y suis physiquement projeté. Cela m'a fait autant grincer les dents que la première fois où j'ai vu à Bruges le diptyque de Gérard David, Le Jugement de Cambyse (voir ma page du 10 mars 2005). Vison d'une image que j'ai prise au premier degré dans son réalisme et sa réalité brutaux. Ne supportant pas la douleur ou la souffrance physique ni aucune mutilation, (ni chez moi, ni sur les autres, où toute créature vivante animale ou végétale) j'ai donc eu mal, physiquement. Le tiraillement du corps avec force (vu l'attitude des bourreaux), des cheveux, et l'arrachage de dents me furent insupportables.
2-En même temps la certitude qu'il ne s'agit pas là d'une chose vraie ni réelle. Juste une image symbolique, construite savamment par un artiste, et qui plus est chrétienne (et l'on connaît mon athéisme forcené). Comment prendre cela ne serait-ce qu'une seconde, pour quelque chose de réaliste ? Une image super construite et mise en scène (par étages) où sont mêlés vrais personnages, spectateurs et acteurs avec des êtres inventés, diables noirs, anges ailés, des femmes sauvages et des hommes sauvages portant une pancarte, et ce mannequin blanc représentant une sainte, qui soi-disant torturée reste calme, souple et naturelle comme une poupée de chiffon...et ces tenailles démesurément longues, quelle caricature ! Impossible d'y croire, et pourtant... Et pourtant le mélange du réel et de l'irréel fonctionnait parfaitement sur mon cerveau. C'est cela qui m'a fasciné.
3- J'avais donc subi ce que Jonathan Beck dans l'essai déjà cité (et que je recommande encore de lire) appelle l'assimilation visuelle
Finalement cette miniature de Jean Fouquet garde toute son actualité aujourd'hui à une époque où tout est transformé en spectacle, y compris la politique, la justice, la misère, la guerre, et tout le reste, (clin d'oeil à Guy Debord et sa société du spectacle).
La justice réelle n’est pas un spectacle pour ceux qui la vivent au quotidien. Elle le devient au cinéma, à la télévision, et je pense même dans toute représentation, artistique ou pas, ou dès qu'elle est mise en scène.
Comme dit Jean-Luc Godard " Il n'y a pas d'image juste mais juste une image ".
Mais comme l'écrit le philosophe Clément Rosset (Propos sur le cinéma, P.U.F, 2001), c'est cette mise à distance de la réalité qui est la source principale du plaisir offert.
Le martyre de Sainte Apolline dans le livre d'Heures d'Etienne Chevalier, peint par Jean Fouquet ?