Vendredi 21 septembre 2007 jour précédent jour suivant retour au menu
D'un auteur à l'autre,
ou : voir défiler Pierre Michon avec...

Kenneth White écrit récemment dans Les Finisterres de l'esprit : Rimbaud, Segalen et moi-même (Paris : Isolato, 2007) qu' "au fond d'une vie (de migration), il y a une image de soi, sur fond de néant " .
Depuis une semaine c'est plutôt sur fond de brouillard que commence la mienne chaque matin. L'étang de Sainte-Anne ressemble à certaines étendues volcaniques, telles que je les ai parcourues maintes fois en Nouvelle Zélande ou dans le parc de Yellowstone, mais je n'y suis pas seul et mes compagnes ont changé.
En allant travailler, j'assiste chaque matin, en traversant le Perche thironnais à ce moment silencieux, à l'étonnant retour à la terre des villages, après leur virée nocturne dans les contrées brumeuses où ils aiment tant noyer leur tristesse .
Pierre Michon déclare dans le Nouvel Obs :
- " ...j'ai un vilain penchant pour être dubitatif."
et à la question suivante portant sur la beauté (Mais vous savez reconnaître la beauté quand elle passe ?) il répond sans hésiter :
- " Oui. Tout ce que j'ai publié à ce jour, je ne le,renie pas. J'ai relu en poche "l'Empereur d'Occident ". C'est impeccable, pas de problème. Un peu incompréhensible mais on s'en fout."
Alors là, il faut dire que je me sens un peu con.
1) Non seulement j'avais fait l'effort d'en acheter deux exemplaires, un pour moi et un pour offrir (je l'ai envoyé par la poste à un ami), mais l'auteur lui-même me dit que c'est un peu incompréhensible, donc que j'y comprendrai rien, et qu'en plus " on " s'en fout. Moi non.
2) On lui pose une question sur la beauté ? Il répond sur lui, que tout ce qu'il écrit il trouve ça " impeccable". Heureusement qu'il vient de dire qu'il est dubitatif ! Qu'est-ce que cela serait s'il ne l'était pas !
3- Surtout que 6 lignes avant il déclarait : " Je vois beaucoup d'écrivains qui racontent leur vie, à la vérité, je ne sais pas de quoi ils parlent " !
" À la vérité ", quand je vois, ces déclarations dans un article de trois pages avec sa photo accompagnée de " Je cherche Dieu ", et toutes les autres que je vois, posées, depuis trois semaines, je deviens à mon tour dubitatif !
..... .....
Je me dis, tiens voilà Michon qui pète un cable. Mais qu'est-ce qu'il en a à foutre à poser partout et à se laisser médiatiser ainsi...Il a pas besoin de ça quand même. Il est reconnu partout comme un grand écrivain de ce siècle... Qu'est-ce qu'il veut de plus ? Je continue l'interview :
-"...Mallarmé a été baisé. Quand on est dans des entreprises peu modestes, comme celle de Mallarmé, de Hugo ou comme la mienne, il faut faire attention à ne pas être baisé...."
Ça y est ! Il se compare à Mallarmé et Hugo ! Mais bon, il le dit lui-même, c'est " peu modeste ".
Dubitatif mais pas modeste. C'est déjà ça. Je continue :
"...C'est ça être baisé. C'est être un moulin sans farine.
N.O.-Vous n'avez pas de farine ?
P.Michon.- J'en manque. Pourtant j'ai plein de projets. Mais le lendemain, quand je regarde ce que j'ai griffonné, ça ne vient pas pour autant. D'ailleurs je ne comprends pas. Je sais le faire, je sais que je sais le faire, et je ne le fais pas.
"
On a bien compris son angoisse. Il n'a pas besoin de venir la dire au Nouvel Obs. On sait bien que quand on publie une compilation d'interviews, c'est qu'on n'a pas de nouveau livre à proposer, et que l'éditeur pousse à la roue pour que " quelque chose sorte " et rentre dans les caisses. On connaît la chanson...
Mais que diable vient-il faire dans cette interview galère ?
D'autant plus que s'il est sec, ça ne me gêne pas. Qu'il ne se force surtout pas à écrire s'il n'a plus rien à dire. Si son oeuvre est faite, il peut la signer sans honte. Il ne va quand même pas faire comme les chanteurs qui à 80 berges et tout parkinsonisés vont continuent de chanter tout faux sur scène ou à la télé !
Je sais, je sais, c'est le problème de tout artiste : quand, à quel moment il faudrait arrêter...être assez lucide pour dire : j'arrête, je ne rajouterai plus une touche, plus un couplet, plus un refrain, plus une ligne.
Tout le monde n'est pas Cesare Pavese qui termine son journal le 18 août 1950 dans une chambre de l'hôtel Roma à Turin en écrivant : " Tout cela me dégoûte. Pas de paroles. Un geste. Je n'écrirai plus.", et qui dans la nuit du samedi au dimanche 27 août absorbera seize capsules de somnifères.
Michon serait-il devenu fou ? La fin de l'article est très provocatrice :
"...la vérité de Flaubert, c'est ça. Les brouillons, c'est des conneries. je n'y crois pas. Il n'a rien foutu de sa vie. C'était un branleur.
N.O.- Proust ?
P.Michon. - Proust pareil. Il ajoute mais ne travaille pas. Imaginez " la Recherche du temps perdu " écrite avec un ordinateur...
N.O.- Ça ferait le double, le triple...
P.Michon.- Et ce serait peut-être nul...
"
Je ne peux à ce moment-là m'empêcher quand même de rigoler : Michon ment. Et Michon sait qu'il ment. Et Michon sait qu'on sait qu'il ment. C'est une de ses manières d'étre dubitatif, de se rassurer aussi.
On sait qu'il aime Proust, Flaubert, Faulkner Mallarmé...et quelques autres.
Il sait que Proust bossait ses textes, qu'il ne faisait pas qu'ajouter, qu'il emmerdait les imprimeurs pour changer un mot, une phrase, une virgule, qu'il n'a pas écrit ça comme au robinet... et que cette histoire d'ordinateur ne tient pas le coup, que c'est pour faire râler François Bon...
Alors pourquoi dit-il ça ?
Je pose cette question alors qu'en ce moment même il doit être en train de ripailler dans la grande fête impériale que sont cette année les rencontres de Chaminadour, commencées hier elles finiront demain, et qui en son honneur consacrent l'homme " à la recherche de Dieu " avec un programme d'enfer et une brochette invités prestigieux rarement réunis.
En regardant le ciel ce matin au dessus du collège, je me disais justement, que si j'en avais eu les moyens, j'aurais bien aimé prendre un de ces avions, qui emmenent chaque matin les hommes d'affaires de Paris à Brest, Nantes, Bordeaux, Toulouse... pour aller faire un petit tour dans la Creuse, en bon lecteur alléché par le blog d'Assouline(oui oui, je sais, il y en a qui n'aiment pas).
J'avoue que j'aurais aimé voir cette " fête du boeuf gras " tant annoncée (dimanche à 11h30) et voir défiler Michon avec Pierre Bergounioux et derrière un bœuf enguirlandé du Limousin !.
Je rêve la photo !
Le roi vient quand il veut.
Quand il ne vient pas ou ne peut venir
il est préférable qu'en ce lieu vide
nulle parole ne résonne
nulle lamentation
nulle tentative d'explication
nul défilé rural derrière un boeuf qui se fout bien de la littérature.
Car il règne lui-aussi, à sa manière, benoîtement, placidement depuis des siècles...


Mais revenons à nos moutons : pourquoi cette profusion subite de portraits posés, et cette interview au langage si décevant d'un homme qui nous a habitué à une autre langue ?