Jeudi 31 mai 2007 jour précédent jour suivant retour au menu
Un de mes fantasmes
Être gardien de phare. (no 1 : le lieu)

Pourquoi ?
Peut-on savoir le pourquoi d'un fantasme ? Je n'en sais rien. Tout ce que je peux en dire n'est que conscient et peu original.
- À cause de mon origine bretonne ? (les Bourdais sont bretons (en Mayenne c'est le 8ème nom). Ailleurs en France, où il n'est qu'au 1244ème rang, ce sont des Bourdet).
- À cause de mon grand-père, celui qu'on appelait " le père Bourdais ", même s'il a eu une vie de paysan ?
- Parce qu'à chaque fois que le monde m'a excédé et que j'ai eu l'envie de m'en isoler, j'ai trouvé le phare un endroit idéal pour se retrancher ?
- Parce que j'en aime cette construction, son architecture, les cartes postales de phare, les photos de tempête et de vagues qui éclatent sur les phares ?
- parce que les phares de Ouessant (le Stiff, le Créac'h, Nividic, la Jument, Kéréon) m'impressionnèrent durablement (j'y avais été invité au Salon du livre en août 2001 pour recevoir ce qui fut et sera mon seul prix littéraire) ?
- À cause du phare Amédée, au large de Nouméa, et que j'ai presque vu chaque jour pendant 11 ans, et son îlot sur lequel j'ai de si bons souvenirs ?
Je n'en sais rien.
Mais je sais
quel phare je choisirais.
C'est un " enfer ", son histoire me plaît et me fait rêver, c'est le phare d'Ar-men.
C'est dans la mer d'Iroise, sur la chaussée de Sein, un endroit épouvantable pour la navigation, cartographié en 1817 par Beautemps-Beaupré (que j'aime citer car il me rappelle toujours mon séjour en Nouvelle-calédonie, mais ceci est une autre histoire...), un plateau submergé bourré de rochers où quiconque s'aventure sans guide risque d'y rester
et c'est là, 48° 03'03" Nord - 4° 59' 55" Ouest, qu'en 1860 on étudie de la possibilité d'y construire un phare. On y pense depuis une trentaine d'année : il faudrait indiquer cet alignement de rochers dont les bateaux jugent mal le début, et qui leur coûte parfois la vie (naufrage par exemple de la frégate impériale Sané dans la nuit du 23 au 24 septembre 1859)
On ne disait pas par hasard " qui voit Sein, voit sa fin ".
On hésite entre plusieurs rochers, et on choisit finalement celui appelé Ar-Men, même si au mieux il ne se découvre que de 4 mètres aux plus basses eaux !
La première fois d'ailleurs que les ingénieurs, et autres hydroraphes vont repérer les lieux, ils ne peuvent s'en approcher et sont obligés de rebrousser chemin à moins de 50 mètres du rocher. les lames sont très fortes et on ne voit quasiment pas le rocher, sans arrêt recouvert par les vagues furieuses qui s'y cassent dans un nuage d'écume !
Lors d'une nouvelle tentative (1866) c'est guère mieux : ils ne peuvent s'en approcher que de 15 mètres. la raison aurait été d'en abandonner l'idée, mais ce n'est pas connaître l'ingénieur hydrographe Ploix qui conclue : " C'est une oeuvre excessivement difficile, presque impossible ; mais peut-être faut-il tenter l'impossible eu égard à l'importance capitale de l'éclairage de la chaussée."
Tenter l'impossible !
C'est l'ingénieur Joly qui imagine et dresse le plan de bataille.
C'est pas du gâteau : il va falloir creuser des trous dans le granite, espacés d'un mètre, et quelques autres pour fixer les échaffaudages à venir...(pour lire les détails complets, lire le texte technique de Joly dans site passionnant dédié à ce phare).
Il faut se rendre compte de ce que cela représente, quand on aura trouvé les volontaires :
1- par exemple, à chaque fois qu'on aura fixé quelque chose, la fois d'après, si cela n'a pas été démantelé par les vagues, pour l'adhérence des choses futures soit assurée, il faudra : " "...décaper la surface à l'acide chlorhydrique pour en débarrasser les algues et coquillages, puis de la piquer soigneusement au marteau.". Vous êtes volontaire ?
2- Les conditions de travail sont épouvantables pour les ouvriers, (quand ils ont réussi à mettre le pied sur ce foutu rocher, ce qui n'est pas toujours le cas à chaque tentative) : " ils étaient couchés à plat ventre, muni d'une ceinture de sauvetage attachés à la roche à l'aide d'une corde, ne pouvant se servir que d'une main pour travailler, l'autre leur servant à se cramponner pour ne pas être emportés par les lames." On ne disait pas : aujourd'hui on va aller bosser, on disait : aujourd'hui on va essayer d'aller bosser, et on va essayer de ne pas y rester ! Ce qui explique la longueur de l'exploit.
Certes je ne crache pas sur les exploits de Bouygues dans le monde, mais y'avait pas la machine et la technologie d'aujourd'hui, vous comprenez...Tous les calculs étaient faits à la main, et la seule force était celle des biceps, et celle dans la tête.
3- Pour trouver les volontaires (difficile au début) on fait des efforts :
On fera des simulations en mer pour prouver que " c'est possible ", et l'administration fournira aux ouvriers leurs outils, mais aussi leurs chaussures : des espadrilles antidérapantes. De son côté, la Société centrale des naufragés les équipe de ceintures de liége. Les chiffres sont là et étonnants.
4- Je résume avec un tableau :
1867 7 accostages, 8 heures de travail 15 trous percés
1868 18 heures de travail 34 trous. crampons scellés.
1869 25 accostages, 44 heures de travail.
Ça fait donc de 1 à 2 heures par accostage
25 m3 de maçonnerie,
Une chappe de 30 cm est coulée.
On a décidé finallement d'utiliser la pierre de Kersanton, qui adhère mieux au mortier. Il s'agit de la kersantite, granite de couleur vert sombre, qui vient de Rhun Vraz, exploité jusqu'en 2004 par la famille Sanquer.
C'est une roche formidable pour la sculpture, la demande serait forte, mais Dany Sanquer, qui veille sur le site, est malade et pour l"instant l'exploitation est arrêtée.
(lire le site réalisé par des élèves de SVT consacré à cette carrière, et où on voit Dany Sanquer et sa belle tête de breton)
Outre nombreux calvaires, gisants et autres phares, on lui doit aussi à la kersantite le socle de la statue de la liberté à New-York
Revenons au phare, on en n'est pas encore tout à fait là :
1870 Quasi arrêt des travaux à cause de la guerre.
8 accostages seulement.
25 m3 de maçonnerie.(mort du peintre Bazille)
1871 8 accostages
1872 3 accostages
1873 6 accostages Des coffres sont mouillés à l'Est et les bateaux peuvent décharger les pierres et le ciment, grâce à un mât de charge.
- En 1975, la situation des travaux réalisés montre que la tour a commencé à s'élever,
- En 1877, la tour s'élève à 16,50m au-dessus du rocher et à 12,30m au-dessus des plus hautes mers,
- En 1881, on allume le phare. Il a fallu 14 ans ! L'inauguration a lieu le 31 août .
Vous croyez que les ouvriers sont contents ? Non !
Ils crèvent tous de trouille : ils ont peur que le phare ne tienne pas le coup et qu'il s'effondre à la première forte tempête (c'est déjà arrivé). La tour n'est pas large, son diamètre est trop réduit (7,20m) par rapport à sa hauteur (34,50 m), ce qui ne fait qu'un rapport de 0,21 faible, puisque beaucoup d'autres phares ont un rapport plus avantageux(0,37).
Ce n'est qu'en 1897 (6 ans plus tard), qu'après des travaux de consolidation, qu'on est rassuré.
À partir de ce moment-là, l'histoire du phare est faite d'épisodes d'évènements ou d'accidents :
-1923 : incendie qui détruit la cuisine, les chambres situées à l’étage et la lentille de Fresnel,
- Pendant l'occupation, en plus des deux gardiens, les allemands imposaient 3 hommes qui faisaient allumer le phare quand un bateau allemand passait au large, et le faisient éteindre pau après, laissant tous les autres dans le noir ...
En plus du barrage de la langue on peut imaginer l'ambiance !
N'empêche qu'un gardien français n'hésita pas à sauver un allemand tombé à l'eau pur récupérer un cormoran qu'il venait de tuer avec son mauser pour le manger le soir. C'était le 13 octobre 1941. Il Cet acte de bravoure lui vaudra une prime de 500 francs, deux cigares mais surtout la liberté à un ingénieur des Ponts et Chaussées prisonnier en Allemagne.
Les allemands avaient fait repeindre le mot breton Ar-men (la pierre, le rocher) en Armen.
On classe le phare d'Ar-men parmi les " Enfers ", par opposition aux " Purgatoires ", situés sur une île, où les conditions sont presque aussi difficiles, et aux " Paradis ", qui se trouvent à terre.
Ar-Men est inhabité depuis avril 1990, progrès technique oblige.
Depuis son automatisation, les visites d'entretien du phare s'effectuent par hélicoptère. Une fois par an des plongeurs inspectent la base du phare.