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Odradek no2
ou : à chacun son odradek...

Le très médiatique Slavoj Zizeck, psychanalyste et philosophe slovène, pense qu'Odradek est une catégorie politique.
Il écrit dans la revue lacanian ink, dans un article mal traduit ici : "Le choix qui sous-tend l'histoire de Kafka vient de Lacan Le Père Ou pire, «le père ou pour le pire": Odradek est «le pire» comme une alternative au père. Le père / derniers mots du narrateur dans Odradek de Kafka ( «l'idée qu'il est susceptible de survivre à moi, je la trouve presque douloureuse») font écho aux derniers mots de l'essai ( «comme si la honte lui survivra"): Odradek est effectivement la honte du père de la famille (narrateur du récit). Ce que cela signifie qu' Odradek est le sinthome du père, le «nœud» sur lequel la jouissance du père est coincée."

Dans son article (p.48) Kafka romantique; contre toute exégèse, Eugène Faucher commente clairement plusieurs interprétations faites d'Odradek : attitude de Kafka face à son père, l'œuvre faite, l'œuvre à faire, l'œuvre littéraire (thèse de Marthe Robert), ou autres choses encore (pour le professeur Emrich, Odradek symbolise "l'interpénétration et l'affrontement propres à tous les processus de la vie intellectuelle et physique". Ailleurs on peut même lire qu'Odradek est le christianisme !).Extrait :
Mais on peut aller plus loin. Serge Valdovici, concepteur de l'europanalyse, que même certains universitaires jugent "difficile à lire" (vous êtes prévenus), dans son livre Le Principe d'existence. Un devenir psychiatrique de la phénoménologie (Nijhoff, 1988), n'y va pas par quatre chemins :
Claude Jeanmart, qui a beaucoup travaillé (peintures, photographies, montages, vidéos...) à partir des textes de Kafka et en particulier sur Le souci du père de famille (on peut voir là une série de 16 de ses photomontages numériques sur Odradek réalisés en 2007), résume à sa manière dans la présentation de son travail la variété des interprétations qui furent avancées sur Odradek :
"Ce texte assez énigmatique, est celui qui a suscité le plus grand nombre d’interprétations. Le support en forme d’étoile, a été perçu par certains, comme une référence au sort des Juifs. Une allusion discrète à cette hypothèse, apparaît dans certaines prises de vues. Une autre interprétation y voit le découragement de l’écrivain qui traîne comme un boulet, ses écrits ratés (croit-il), lui qui est père de ses oeuvres. Il est certain que Kafka a beaucoup réfléchi et donc beaucoup écrit, sur la condition de l’écrivain, sur ses misères. On lit aussi que l’Odradek serait ce qui est en relation avec le monde humain, comme un « ustensile aliéné », ou encore l’image absurde d’un monde mécanisé.
L’analyse qui a le plus retenu notre attention, est celle de Walter Benjamin, qui dit que l’Odradek est la forme que prennent les choses tombées dans l’oubli ; elles sont déplacées, obsolètes, elles gênent et nous donnent mauvaise conscience.
On pourrait ajouter qu’Odradek ne meurt pas, s’attache à une maison, se maintient, un peu inquiétant, accroché à la descendance (image du grand père et de son petit-fils)..."
Le première publication de Franz Kafka, pour le dixième anniversaire de sa mort de Walter Benjamin date de décembre 1934 et comporte aujourd'hui quatre sections (Potemkine, Une photo d'enfant, Le petit bossu, Sancho Pança) dans l'édition Gallimard œuvres (tome II). C'est dans la troisième section que l'on trouve la citation célèbre.
Plus loin Benjamin interprète l'affection d'Odradek pour les greniers...
c'est cette citation que Christian m'avait envoyé par mail, à un mot près par rapport à la traduction de Gandillac.
Ce n'est pas la première fois que la remarque de quelqu'un m'entraîne beaucoup plus loin et longtemps que prévu.
En fait j'adore cela, cela met un peu de surprise et de hasard dans ma vie. La phrase citée par Benjamin tirée du Procès me touche aussi bien sûr : "comme une tâche bonne à "occuper l'esprit affaibli d'un retraité et l'aider à passer les longs jours."
Elle figure bien où j'en suis peut-être (retraité certes mais peut-être pas si affaibli que cela encore!)
Il faudrait pour être complet souligner que Jorge Luis Borges dans Le livre des êtres imaginaires cite bien sûr Odradek comme exemple de créature littéraire de Kakfa, (avec le reptile de C.S.Lewis, la bête de Poe...) , mais les textes de Borges, la plupart très courts, ne me semblent pas, en dehors d'une érudition habituelle, particulièrement bien inspirés ici, et ce livre me semble moins intéressant que le reste de son œuvre...Là c'est simple : il ne fait que reproduire la nouvellle de Kafka, sans aucun commentaire ! Décevant.
C'est exactement le titre de la contribution d'Erika Tunner dans le numéro de la revue Europe de mars 2006 et consacrée à Kafka :"On ne peut rien dire de précis, Note sur Le souci du père de famille" p.223, 225).
Cinq paragraphes (L'étoile, l'embarras des fils, le langage, le nom, le père.) suivis des notes, dont une est assez drôle :
Le titre et la conclusion de l'étude de Erika Tunner sont clairs.
Ils me donnent envie d'arrêter là l'entrée d'Odradek dans mon vocabulaire. La recherche de tout ce que l'on en a dit fut épuisante, d'autant plus que depuis trois jours je suis malade, épuisé, sujet à une infection peu avare de douleurs, en train d'être étudiée par nos docteurs...
Passons puisque le mail reçu d'outre-Atlantique m'a remonté le moral en me faisant sourire et revenir en enfance :
Mais oui ! Odradek, c'est aussi le tricotin de notre enfance !
J'aurais aimé aussi parler d'un article de Marcus Steinweg qui associait Odradek avec une autre célébrité littéraire, mais je suis fatigué. Vous pouvez vous-même le lire en ligne cela s'appelle "Survivre : Bartleby et Odradek".
Je terminerai donc par Christian, qui connaît l'œuvre de Kafka comme peu de gens, qui m'envoie ce matin un mail de réconfort devant mes efforts sur Odradek. Je lui laisse donc le mot de la fin :
"Il suffit de lire Kafka, il se charge de tout dans le même mouvement : le texte, les commentaires, avec cette zone d'obscurité qui est la marque des génies (heureusement, il ne le savait pas, et ce mot l'aurait révulsé)."