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Je sais où j'en suis.
Mes lecteurs aussi.

ou : impossible de raconter un voyage, les vraies images ne sont que mentales,
ou : il n'y a de voyage qu'à l'intérieur de soi. Chaque jour est un voyage.
Le monde est un décor.

Ils savent que "ça" écrit chaque seconde dans ma tête et que les mots qui nous traversent inventent le monde et créent notre pensée du monde, sans pour cela nous rassurer de la brièveté des choses, même si elles contiennent, pour l'homme, un moment de semblant d'éternité.
Ils savent que le doute est justifié, que la vie ne se justifie que d'elle même, et comprennent donc mon silence.
Mais qu'ils se rassurent : je suis là, comme eux, avec eux, me dépatouillant brillamment dans ce quotidien poisseux comme le monde, aussi terrifiant que magnifique.
Ce journal fait partie maintenant, ils l'ont compris, de mon espace et de mon temps, mais il vit sa vie au hasard de son destin, du temps qu'il fait, du temps tout court, sans prétention ni but, simple trace comme celle que laisse la marche d'un chameau sur le sable du désert, et qui ne dure que le temps que le vent vienne l'effacer.

Mardi 1er juin 2010,
Beyrouth, 17h49.

Je marche avec mon frère sur la promenade le long de cette mer où personne ne se baigne car s'y déversent les égouts de la ville. Il fait chaud. Je suis ébahi du bordel architectural de la ville.
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Cette corniche d'Aïn el Mreissé est agréable car on y sent que là toutes les communautés s'y retrouvent en apparente bonne cohabitation. Le bruit des klaxons et la manière de conduire des Libanais me stressent depuis mon arrivée.
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Première façade qui date de la guerre et me rappelle les photos et reportages de l'époque, cette guerre que personne ici a oublié et qui a coupé la ville en deux.
De ce que je comprends, la possibilité d'une guerre, quelle qu'elle soit est toujours présente...
Drôle de pays crée en 1920 par la France en divisant "la grande Syrie" ! Qu'est-ce qu'on a encore fait là !
Je loge près de l'hôtel Alexandre, situé sur le flanc sud du quartier Achrafieh, zone chrétienne.
Le soir je découvre sur la terrasse très agréable du restaurant Abdel Wahab cette formidable cuisine libanaise avec son mezzé (assortiments de petits plats, et leurs noms magiques et inconnus de moi : moutabal, hommos, kafta...), ainsi que la boisson alcoolisée qui m'accompagnera tout ce séjour partout où elle est sera autorisée, à savoir l'arak qui blanchit l'eau et enchante l'âme.
Je découvrirai aussi pour la première fois le café blanc, infusion transparente à base de fleurs d'oranger.
En sortant, et sur toute la route du retour, je suis étonné de toutes les belles voitures rutilantes et chères que je vois un peu partout. Je l'avais déjà pressenti et observé dès mon arrivée : il y a là de la richesse affichée, je dirai même ostentatoire.
En ce début de ma première nuit au Liban, je me demande si mon coeur va résister à cette chaleur, et réfléchis à ce que je suis venu chercher ici.
Ma chambre est climatisée et cela me semble d'un grand luxe, ébahi comme à chaque fois quand je réalise la distance parcourue en quelques heures, et la transportation réalisée aussi vite dans un pays totalement inconnu de moi et dont filtrent les bruits à travers la moustiquaire.
Mais je suis ainsi fait, je me suis toujours senti un habitant de la planète, étranger et curieux au monde mais chez moi.
Je m'endors tranquille après avoir pris quelques notes sur un carnet, que je n'ai d'ailleurs ni rouvert ni relu depuis mon retour.

" Là où je pense, je ne suis pas; là où je suis, je ne pense pas." (Lacan)
Faire de l'âge permet peut-être de donner un sens aux mots qui nous traversent, et donne parfois l'impression d'une réalité inaccessible.