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Et ce sont les violents qui l'emportent
ou : Les braves gens ne courent pas les rues.

" L'oncle de Francis Marion Tarwater n'était mort que depuis quelques heures quand l'enfant se trouva trop soûl pour achever de creuser sa tombe, et un nègre nommé Buford Munson, qui était venu faire remplir sa cruche, fut obligé de la finir et d'y traîner le cadavre qu'il avait trouvé assis à table devant son petit déjeuner, et de l'ensevelir d'une façon décente et chrétienne, avec le signe du Sauveur à la tête de la fosse et assez de terre par-dessus pour empêcher les chiens de venir le déterrer."
(première phrase de Et ce sont les violents qui l'emportent, Quarto, Oeuvres complètes, p.371)
" Je suis encore capable de vous griffonner ce petit mot, mais si vous êtes, comme moi, allergique aux pattes de mouche, vous souhaiterez que je me sois épargné cette peine. Pour ce qui est de l'opération, j'ai peur qu'elle n'ait relancé le lupus. Quoi qu'il en soit, j'attrape toutes les infections et dois, à nouveau, faire appel aux stéroïdes. Peut-être tout cela se terminera-t-il par un séjour à l'hôpital Piedmont. J'espère que non. Piedmont est, socialement, un peu plus "antiseptique" que notre brave hôpital local. Si mes souvenirs sont bons, on n'y entend pas les gémissements de la chambre voisine. Ici, il y avait une vieille dame, juste de l'autre côté du couloir, qui était alitée depuis novembre. Elle devait avoir dans les quatre-vingt-douze ans. Chaque fois qu'on la touchait, elle hurlait :"SEIGNEUR, SEIGNEUR, SEIGNEUR!", d'une voix de docker. La nuit, elle avait des quintes de toux et l'infirmière qui venait l'assister et qui parlait, elle aussi, à tue-tête, répétait : "Crache cette saleté, ma mignonne! Crache-la. Vas-y, crache donc, mignonne!"
(lettre à "A", 26 mars 1964. Extraite de L'habitude d'être, recueil de lettres rassemblées par Sally Fitzgerald , édition citée, p.1208)
Mercredi 2 juin 2010, Beyrouth.
Je continue de marcher lentement vers la mosquée, intrigué par ce bloc en béton.
J'apprendrai plus tard que cet imposant dôme de béton, criblé d'impacts de balles (la guerre, toujours la guerre) est un ancien cinéma qui faisait partie d'un centre commercial construit dans les années soixante. On parle de le détruire, d'en faire un centre d'arts...Il est utilisé encore pour certains spectacles, dont certains organisés parfois par le Centre Culturel français...
A côté de la mosquée, on construit actuellement un mausolée pour Rafic Hariri, ses six gardes du corps et le secouriste qui sont morts avec lui dans l'attentat de février 2005. Travail et maquette controversés (hauteur égale sinon supérieure à la mosquée d'à côté), mais qui se fera j'en suis sûr...
Transposé en France, cela semble inimaginable : après la mort du premier ministre (Fillon) la famille décide de lui construire un mausolée en plein milieu des Champs-Elysées, aussi haut que l'obélisque !
Voici donc le nouveau centre de Beyrouth, reconstruit à coups de millions de dollars par la célèbre société "anonyme" Solidere, fondée par Rafic Hariri, chargée de reconstruire le centre de Beyrouth.
Solidere cela n'a pas de rapport avec solidarité ! Cela veut dire SOciété LIbanaise pour le DEveloppement et la REconstruction de Beyrouth. On peut imaginer ce que ce monopole immobilier et bétonneur cache comme affaires et milliards en jeu...
Mon problème c'est que ce que fait cette société je trouve ça moche, sans âme, froid, du toc à l'ancienne, des souks de luxe... Fausses vieilles maisons d'antan, excavations avec vraies ruines romaines garanties certes, mais béantes comme des plaies dans un décor de théâtre en carton pâte...
Je me sens mal et avouons-le je m'ennuie, "ça" m'ennuie. Malgré les beaux discours d'intention de Solidere, je ne sens pas qu'ici se sont succédés depuis 3000 ans av.J-C les Cananéens, (les Phéniciens, ce célèbre "peuple de la mer", inventeurs de l'alphabet...), Alexandre le Grand, les Romains, les Byzantins, les Omeyyades, les Abbassides, les Croisés, les Mamelouks, les Ottomans, les Français (ce fameux "mandat" de 1920 à 1943)...
Tout à mes yeux sonne creux et manque d'âme, se mondialise bêtement. Et dire que certains "grands" architectes français y participent, mais bizarrement sans hisser là leur talent au niveau de leur tarif ou de leur renommée !
Heureusement que je n'avais pas encore lu ça qui confirme mes regrets :
Je marche vers la mer (au passage, une vraie vieille belle maison, destinée comme la plupart des autres à être détruite, on le comprend sur la photo)
et m'installe tranquillement dans un restaurant sympa, malheureusement sans alcool, arak compris !
Je regarde les jeunes libanaises insouciantes et fume tranquillement, comme tout le monde ici.
.......
Très fatigué, je rentre en passant par un quartier musulman où chaque balcon affiche son drapeau favori pour la coupe du monde.

"Qui croyez-vous comprendre ? Quelle que soit la personne et n'y en aurait-il qu'une, vous vous abusez. J'aime une foule de gens et n'en comprends aucun. Bien sûr, il ne s'agit pas d'un amour parfait mais du maximum qu'une créature limitée puisse donner. Quant à se trouver empêtré, coincé, par des gens qui ne vous aiment ni ne vous comprennent, il me semble que j'ai vu ce problème discuté quelque part, mais je ne sais plus où."
(Flannery O'Connor, Lettre à "A", 26 octobre 1963, déjà cité, L'Habitude d'être, Quarto p.1191.)