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A chacun son premier janvier.
ou : Qu'est-ce que c'est beau...quand même !

Couché à 5 heures du matin, lorsqu'en me levant trois heures plus tard, je jette un coup d'oeil à la fenêtre, je découvre que la neige a presque fini de fondre. Le paysage autour de la Chambrie est blanchi par le givre mais il pourrait l'être encore plus si le thermomètre n'avait pas déjà commencé à remonter.
Belle occasion pour prendre les premières photos de l'année, un peu effrayé des chiffres de l'année passée (où le répertoire 2010 indique 15 329 photos, ce que je trouve étonnant quand je calcule que cela fait en moyenne 42 photos par jour).
Il y a 49 ans, le 1er janvier 1962, Jean Paulhan écrivait à André Pieyre de Mandiargues : "Cher André, je ne sais trop ce que vous pensez des fêtes. D’être ainsi brusquement livré aux familles, c’est assez inquiétant. Je sais bien qu’on arrive à les apaiser avec des cadeaux. […]"
A cette époque j'étais en 4ème et j'habitais encore chez mes parents à Verneuil sur Avre. Aujourd'hui je suis à Thiron-Gardais à 54 km de Verneuil et j'y vis seul.
Mercredi 2 janvier 1924 : Paul Léautaud note : "Je commence ce soir, à 10 heures et demie, le journal d'une nouvelle année. [...]"
On est dimanche 2 janvier 2011 quand j'écris cette page, 87 ans plus tard. A cette époque je n'existais pas bien sûr mais c'est cette année-là que naîtra ma mère, bien nécessaire pour en arriver là aujourd'hui. Mais elle est toujours à Verneuil sur Avre !
Mercredi 1er janvier 1986 : "Lorsque, en me levant, je jette un coup d'oeil à la fenêtre, je découvre que la neige est tombée durant la nuit. La couche est mince, aux Bordes, mais elle pourrait atteindre une plus grande épaisseur sur le plateau, le rendre infranchissable. |...]" note Pierre Bergounioux dans son Carnet.
Ce jour-là, j'étais dans la pleine chaleur de porto-Novo au Bénin, et j'étais invité à déjeuner chez mon amie Monique R., en famille, avant de faire une longue balade à moto dans la brousse.
Le 1er janvier 1962, donc le même jour que Jean Paulhan écrivait à son ami André Pieyre de Mandiargues, Michel Torga, notait pour son journal (dont les certaines pages sont publiées sous le titre : en franchise intérieure) à S.Martinho de Anata son petit village natal aride et pauvre situé à l'extrême du nord-est du Portugal : "Le calendrier dit bien que c'est l'An Neuf. Mais c'est comme de cracher en l'air. Il y a longtemps déjà que tous les ans sont vieux au Portugal."
Quand à Flaubert, à 20 ans, il écrit le 31 décembre 1841, à Ernest Chevalier, son intention de rester enfermé chez lui le 1er janvier 1842 : "[...] Mais demain, je serai seul, tout seul, et comme je ne veux pas commencer l'année par voir des joujoux, faire des voeux et des visites, je me lèverai comme de coutume à 4 heures, je ferai de l'Homère et je fumerai à ma fenêtre en regardant la lune qui reluit sur le toit des maisons d'en face, et je ne sortirai pas de toute la journée !!! [...]"
On remarque qu'à 20 ans Flaubert met trois points d'exclamation à la suite, ce qu'on nous apprend à l'école être inutile !!!
Dans le tome 8 de son Temps immobile (Bergère O Tour Eiffel) Claude Mauriac souligne et continue son travail titanesque sur 50 ans de journal :
"Paris, vendredi 1er janvier 1982 : 1932-1982... Lu, choisi, photocopié, coupé, monté, dans la seule matinée d'hier, tous les Noëls, tous les derniers jours de décembre qui précèdent. Il faut aussi un grand effort physique. Achevé ce matin, le montage. Frappé par l'insignifiance, même anecdotique, de ces pages, où comme je le notais le 24 décembre 1951, conscient déjà de ce peu d'intérêt, je préparais les choix futurs."
C'est un peu ce que je fais et pourrais me dire aujourd'hui...
Le 1er janvier 1960, Alejandra Pizarnik écrit une des pages les moins sombres de son journal : "Qu'il me soit donné, cette année de vivre en moi-même, et non plus de divaguer ou d'être une autre, qu'il me soit donné d'être sage et de ne pas chercher l'impossible, juste la magie et l'étrangeté du monde où j'habite. Et qu'il me soit donné de m'intéresser au monde."
Un an plus tard, le 1er janvier 1961, elle écrira : "je vais me suicider dans très peu de temps. Je sens que j'arrive au bout. Tout me semble bouché. Plus d'extérieur ni d'intérieur.[...]"
(elle se suicidera le 25 septembre 1972).
Quand il rentra frigorifié dans la cuisine, il posa son appareil à photo sur la table et mit de l'eau à chauffer. Il prit ses médicaments habituels et essaya de se souvenir des endroits lointains où il avait jadis passé un premier janvier. A sa grande surprise, quelques souvenirs surgirent inattendus et assez rapidement de sa mémoire, mais il ne s'y attarda pas.
Il se demandait où il serait l'année prochaine à la même heure quand l'eau se mit à bouillir. Il se leva et prit une tasse. Par la fenêtre il vit sur le rebord de la fenêtre le chat de la voisine qui mangeait le beurre des oiseaux et qui détourna un court instant sa tête vers lui.
Pendant cette fraction de seconde, il lui sembla lire dans ses yeux comme un mélange de pitié ou de compassion. Il haussa les épaules et commença à remplir la tasse d'eau bouillante, en essayant de ne pas en mettre sur la nappe ni de se brûler, ce qui n'était pas évident, vu le bec verseur de la vieille casserole en verre qu'il avait récupérée lors du déménagement de sa mère pour la maison de retraite.
Il leva la tête vers le paysage givré qui s'offrait à perte de vue à travers la fenêtre. Il ne put s'empêcher de penser : "qu'est-ce que c'est beau, quand même..."