vendredi 13 février 2009 : L'oiseau de Marrakech ou : connaître le nom des choses
(ou : entrée momentanée dans le journal complet et le reste du site)
vendredi 29 mai 2009 : Quand on arrête de mettre son journal en ligne, rien ne s'arrête...
À partir de l'Incendie du Hilton , livre de François Bon
ou : comment un incendie qui n'a pas eu lieu peut en cacher beaucoup d'autres
Le nouveau journal
mercredi 9 septembre 2009 : Bizarre parfois quand on relève la tête... Gofridus , au secours ! (Chauvigny)
lundi 14 septembre 2009 : " Je vis parfois des journées cafardeuses..."ou : When King Cophetua loved the beggar maid
mercredi 16 septembre 2009 : Et la Mère...
vendredi 18 septembre 2009 : de l'ombre qui couvre nos sous-marins de mots
jeudi 23 septembre 2009 : quand le café est long à chauffer...
vendredi 25 septembre 2009 : quand le trait d'union est difficile...
mardi 30 septembre 2009 : de l'espace d'un livre et d'une carte
lundi 12 octobre 2009 : Mourir sur le coup est facile, survivre est plus difficile...
lundi 19 octobre 2009 : Quand on n'a pas rendez-vous, on vous emmène aux urgences ou : Au fil du temps, de fil en aiguille...
vendredi 23 octobre 2009 : De la couleur des bleus et de son utilité... ou : mal, en-dessous.
lundi 26 octobre 2009 : Des couleurs des couloirs de l'hôpital
ou : des patins de jésuite qui glissent sur la préséance...

Même s'il avait découvert que les bleus du corps n'étaient pas forcément bleus, il s'apercevait que les couleurs d'un hôpital n'éxistaient que si on les cherchait.
Les couloirs des hôpitaux ont sale réputation et sont entrés dans le langage courant. On dit par exemple : triste comme un couloir d'hôpital . Lui-même dans un de ses livres avait écrit il y a longtemps : " Il ne s'essuie pas les pieds avant d'entrer dans ses phrases; il n'y a pas de paillasson à la porte d'un hôpital.
Le risque est toujours le même : dire trop, la honte aux coins des pages. Miracle si l'on suggère l'éclairage latéral de la douleur !
" (Trop rien, le Pont sous l'eau, p.12)

Il avait changé d'avis puisqu'aujourd'hui il ne trouvait plus tristes les couloirs d'hôpitaux.
Ils n'étaient que les coulisses propres d'un cirque, avec des tentatives de décoration qui tournaient autour de posters peu chers d'expositions ou de peintres célèbres, où Picasso se taillait encore la part du lion.
Il y avait aussi des affichettes, des informations variées, des consignes de sécurité, des plans d'évacuation, et des affiches éducatives, à la limite de la moralisation, ou tout simplement tentant une communication entre le monde hospitalier et ses utilisateurs.
Ce n'était pas triste : simplement de mauvais goût.
Mais il savait que cela dépendait aussi des hôpitaux, des architectes, des gens qui géraient ce genre d'établissement.
Chartres et Dreux n'avaient pas choisi les mêmes couleurs, ni pour les couloirs, ni pour les chambres. Mais selon les services, cela pouvait aussi changer, peut-être sous l'influence du personnel qui y travaillait, il osait l'espérer.

Ce qui le rendait triste c'est justement quand des efforts d'originalité avaient été faits, pour égayer " coûte que coûte ", pour distraire, faire oublier que les gens que l'on venait voir là étaient malades, et que certains souffraient, avaient une grave maladie, ne s'en sortiraient peut-être pas, et que d'autres avaient tout simplement envie ou peur de mourir.
À l'hôpital de Dreux ils avaient fait local mais assez fort !
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Comme il l'avait déjà vu dans des hôpitaux parisiens, certains malades ou anciens malades, avaient donné certaines de leurs oeuvres, pensant sans doute que les couloirs ou les chambres étaient un bon lieu d'exposition, ici à Chartres, dans les couloirs du département radiologie.
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Il avait été touché par les sols car même si d'autres parlaient de " camouflage à vomi ", il reconnaissait que même s'ils n'avaient pas été choisis en hommage à Seurat ou aux pointillistes, ils étaient certes facilement lavables.
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Même si un certain sol d'un couloir d'un certain orange lui faisait penser à la coupe de la substance nerveuse, telle que mise au point et obtenue par le génial neuro-histologiste espagnol Ramon y Cajal au XIXè siècle, (Image distribuée combien de fois à ses étudiants ...chaque triangle foncé représentant le corps cellulaire d'un neurone, perdu dans les cellules de la névroglie ! ),
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pour dire vrai, ces sols lui plaisaient surtout pour leur côté linoléum (breveté le 25 avril 1863 par l'Écossais Frederick Walton), qui lui rappelait la salle à manger de sa jeunesse, où la mère exigea même, pendant des années, qu'on utilisât des patins.
Est-ce que cela existait d'ailleurs encore les patins (Pièce de feutre ou de tissu que l'on utilise pour se déplacer en glissant sur les parquets vernis ou cirés afin de ne pas les rayer ni les salir.)?
oui ! Il apprit que le no 1 des fabriquants français était à Villaines-Sous-Bois et que tout un monde existait encore, qu'il croyait disparu, où il ne fallait pas confondre le patin chauffant, le patin d'appartement, les mules lustrantes, les semelles protectrices !
Mais lui ne confondait pas : son enfance avait été rythmée par les patins d'appartement, en particulier par le modèle de base appelé dM13 qui était celui que sa mère achetait, et non pas celui de luxe appelé "Le connetable ".
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Et même s'il savait que beaucoup de gens devaient avoir encore aujourd'hui des souvenirs de patins, il sourit en pensant l'utilisation qu'en avait fait Saint-Simon dans ses Mémoires.
"c'est un plaisir de le voir courir sur ces glaces avec ses patins de jésuite. "(Tome 10 - CHAPITRE XVIII. 1713 ) " Ensuite il me parla de la sortie du conseil, glissant avec des patins sur la préséance..." (Tome 19 - CHAPITRE XII. 1722)
Une fois de plus, il nous faut ce génial duc pour nous faire sentir qu'il y a patins et patins, et que les patins ne s'usent que si l'on s'en sert !

Mais de ce séjour-là, comme couleurs, il ne retiendrait avant tout que celles de ses médicaments, car il n'en avait jamais eu, autant qu'il s'en souvienne, autant à prendre .
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Il pensa aux médicaments de sa mère et à l'armoire à pharmacie si controversée de Damien Hirst qui contenait 6136 pilules peintes et intitulée Lullaby Spring (Berceuse de printemps) et vendue un peu plus de 14 millions d'euros chez Sotheby, rendant cet artiste le plus cher payé de son vivant pour une oeuvre.
Mais même sachant que les pillules de Hirst avaient été faites et peintes à la main, il préférait quand même les siennes faites en usine et qui l'empêchaient de souffrir.
Il se rappela aussi de la vieille chanson de Donavan (The Lullaby of Spring), la 19 ème sur son disque A Gift from a Flower to a Garden sorti en décembre 1967, et qu'il écoutait, jeune étudiant à Rouen.
Tout ceci ne nous rajeunit pas, se dit-il en éteignant ce soir-là la lumière, commençant une nouvelle nuit à fixer à travers la fenêtre, immobile et pensif, la voiture solitaire du parking.