Mardi 2 octobre 2007 jour précédent jour suivant retour au menu
Encore une barque qui m'emporte...
et une histoire comme je les aime parce qu'elles me font rêver,
celle de Lady of Shalott. (no1)

Ce n'est pas ma première embarcation, ni sans doute la dernière.
C'est peut-être mon côté égyptien... J'ai déjà parlé des énervés de Jumièges d'Evariste Luminais, (voir dossier), des marchands de fourrure descendant le Missouri de George Caleb Bingham, et du Ulysse et les sirènes de John William Waterhouse.
... ...
Ce dernier peintre m'a fait penser bien sûr à un autre de ses tableaux, qui est d'ailleurs le plus célèbre de lui, exposé à la Tate Gallery de Londres, et qui s'intitule The Lady of Shalott . Ce tableau long de 2 mètres a été peint en 1888, soit 3 ans avant son Ulysse et les sirènes.

L'histoire de cette Lady of Shalott, qui sert de prétexte au tableau, est du type de celles que je préfère. Elle s'inscrit dans la légende du Roi Arthur et des chevaliers de la Table ronde qui vivent dans le château (ou la ville) de Camelot.
Cette dame, La Dame de Shalott, appelée selon les livres et les légendes, Elaine d'Astolat, la Belle Dame d'Astolat, la Demoiselle d'Escalot, La Dame au Lys d'Astolat, est amoureuse de Lancelot. C'est normal, il est beau et fort, elle est belle. Lancelot vit à Camelot, elle à côté, dans un château, enfermée dans sa tour. Alors où est le problème ?
On sait que Lancelot aimait d'un amour absolu la reine Guenièvre mais en fait ce n'est pas le problème.
C'est plus compliqué que cela parce que Waterhouse ne s'inspire pas de cette histoire directement mais d'un poème romantique du poète Anglais Alfred Tennyson (1809–1892).

Tennyson photographié par Margaret Cameron en 1851Tennyson affirma ne pas avoir lu le Morte D'Arthur de Thomas Malory pour écrire son poème, mais s'être inspiré d'un texte italien de la renaissance, Quì conta come la Damigella di Scalot morì per amore di Lancialotto de Lac .
Publié en 1833 dans son deuxième livre de poésies, qui reçut un si mauvais accueil qu'il ne publia rien pendant les dix ans qui suivirent, le poème The Lady of Shalott a connu deux versions, une en 1833 et une autre en 1842 qui est celle que l'on peut trouver et lire facilement.
On peut aussi comparer les deux versions sur le site de l'Université de Rochester.
La version de Tynnyson est formidable d'imagination et a inspiré plusieurs peintures à une kyrielle d'artistes, mais c'est avec ceux de Waterhouse que j'illustrerai cette extraordinaire histoire de la Dame de Shalott qui nous conduit si bien...en bateau.

I am half sick of shadows, musée de TorontoUne fée lui a jeté un sort : elle ne peut regarder dehors par la fenêtre. Elle ne peut regarder le monde (ni Camelot qui est en face de l'ile de Shalott où elle vit) que par ses reflets dans un miroir qu'elle a installé dans sa chambre. Elle passe son temps obligée à représenter ce qu'elle voit du monde, ses shadows of the world (reflets, ombres...), sur une tapisserie magique. (Au moins Pénélope avait choisi de son plein gré !)
Les paysans dans les champs fleuris environnants l'entendent chanter, connaissent son sort, mais ne la voient jamais.
Dans son miroir, elle voit des gens ordinaires, des chevaliers, des couples d'amoureux, elle qui est toujours seule.
Une nuit, un jeune couple de mariés vient s'ébattre sous sa fenêtre. Le vers est célèbre :
" I am half sick of shadows" said
The Lady of Shalott.


Je suis à moitié malade des ombres...
C'est le titre du tableau de Waterhouse, peint peu d'années avant sa mort, et qui est à l'Art gallery of Ontario, à Toronto.
Un jour elle voit dans son miroir, le beau Lancelot, seul sur son cheval, étincellant... Elle se lève, fait trois pas dans la pièce, quitte sa tapisserie, et regarde à travers la fenêtre, le monde, les fleurs...et Lancelot.
Le miroir se brise.
La tapisserie se déchire.
L'instant est fatal. Elle sait que la malédication est tombée sur elle.
The mirror crack'd from side to side;
"The curse is come upon me," cried
The Lady of Shalott.

On ne traverse pas ainsi le miroir. (Seule Alice y réussit, sans le casser. mais c'était une enfant...).
Est-ce le prix à payer pour passer du rêve à la réalité ?
L'artiste ne doit-il pas quitter son ouvrage ?
Faut-il préférer le monde réel à celui de l'imaginaire ou des reflets ?
Passer du virtuel au réel est-il si difficile ?
L'amour mérite-t-il, excuse-t-il, explique-t-il un tel sacrifice ?
À plusieurs reprises Waterhouse s'attaque à ce moment tragique.
... Musée de cornwall, Angleterre... 1894, musée de Leeds, Angleterre
On voit dans les esquisses la violence de certains coups de pinceau,
la malédiction qui va se réaliser, la détermination mais aussi l'effroi sur le visage,
et la version finale :
Elle descend au bord de la rivière, monte dans une barque après avoir écrit de la main son nom sur la proue, et espère par la rivière entrer dans Camelot pour rejoindre Lancelot... Elle lache la chaîne, et se laisse glisser dans la nuit venue.
Allongée dans sa robe neigeuse sur la barque noire, dans les bruits de la nuit on l'entend chanter pendant que son sang se glace peu à peu et que ses yeux s'assombrissent.
D'autres ont peint ce nocturne voyage comme John Atkinson Grimshaw (1836-1893),(détail) :
et l'arrivée de notre Lady à Camelot, morte, comme cet(te) artiste inconnu(e) (détail):
On remarque ici une version arthurienne : Elaine (Lady of Shallot) tient une lettre à la main qu'elle a écrite, et que lira le roi Arthur.
Dans le poème de Tennyson, les gens de Camelot sur le quai lisent son nom écrit sur la proue et se demandent qui c'est.
Parmi eux, Lancelot ne dira que quelques mots, les derniers vers du poème :
But Lancelot mused a little space
He said, "She has a lovely face;
God in his mercy lend her grace,
The Lady of Shalott."

Quelque chose comme : pas mal la gonzesse, que dieu ait son âme...
(penchant la tête pour lire l'inscription sur la proue) La Dame de Shalott !
Jamais bien aimé ce mec de toute façon !