Journal de Nogent le Rotrou
entre-deux
Journal de Thiron-Gardais
2004
2005
2006
dec
jan
fev
mar
avr
mai
juin
jui
aou
sep
oct
nov
dec
jan
fev
2, 4, 20 mars, 20 avril
mai
juin
jui
aou
sep
oct
nov
dec
Journal de Thiron-Gardais
2007
2008
2009
jan
fev
mar-avr
mai-juin
jui-aoû
sept
oct
nov
dec
jan
fev
mar
avr
mai
juin
jui
aou
sept
oct
nov
dec
jan
fev-mai
arrêt
aou-sept
2010
2011
ma vie dans le Perche
Propos sur la littérature et la peinture.
jeudi 20 juillet 2006 jour précédent jour suivant retour au menu
Étude bergounienne no 6.
(Fausse inspection) du prof de Français dans Catherine, pemier roman de Pierre Bergounioux.


Dans Catherine, premier roman de Pierre Bergounioux, paru en 1984 chez Gallimard, le narrateur, est professeur de français dans un petit bourg de Corrèze. Abandonné par sa femme (Catherine), il essaie de survivre à sa douleur et à sa solitude. Mais on le sait tous, l'Éducation nationale ne tient pas compte des problèmes de ses enseignants. Il faut enseigner coûte que coûte, même si on a l'enfer dans sa tête, et qu'on a vraiment autre chose à penser que le cours à faire. La mort dans l'âme, le fonctionnaire doit fonctionner !
Dans le chapitre V (p.105), on le voit une fois de plus (la troisième dans le roman) aller faire cours, dans des conditions psychologiques épouvantables. Il a posté la veille une lettre écrite à sa femme (après en avoir mûri, en bon professeur de français, le plan et le contenu), ce qui lui laisse, d'après ses calculs, trois jours pour avoir une réponse, qui dans le cas où il l'imagine négative, conduira à son suicide, dont il n'arrête pas d'imaginer les modalités possibles.

On imagine facilement dans quel état il va faire cours, après une soirée et une nuit épouvantables, et un lever peu encourageant. Début de cette journée (et du chapitre V)(qui est donc la première d'un compte à rebours vital pour le narrateur)
Arrivée en cours. On comprend qu'il va donner aux élèves un travail à faire qui va lui permettre de passer le temps sans avoir à intervenir ni agir. C'est une vieille astuce de prof : faire un devoir surveillé. Mais le prof de français a plus de ressources, il peut donner une rédaction à faire en temps réel, ce qui est ici le cas nous allons le voir...
Mais imaginons que ce jour-là, un inspecteur assiste au cours, inspection prévue de longue date et que le professeur, vu les épreuves douloureuses qu'il traverse depuis quelque temps, a complètement oublié.
Le narrateur s'en fout et on le comprend (quand on est à trois jours d'un suicide possible décidé et mûri...).
Mais l'Inspecteur lui, convaincu du bien-fondé de sa noble mission d'évaluation, va faire son rapport sérieusement, convaincu de sauvegarder la qualité de l'enseignement public.
C'est son rapport, qu'il va faire dès le soir même sur son portable fourni par le Ministère, dans sa chambre d'hôtel minable, (les Inspecteurs ont l'habitude de faire des " tournées d'inspection ", leur permettant ensuite de rester de longs mois, voire des années, sans revenir " dans le coin" ) que nous pouvons lire ci-dessous.
.......L'enseignant dès le début de cette séance, sans prendre la peine de faire l'appel, d'ouvrir le cahier de texte ou de faire un rappel de ce qui s'était passé au cours précédent, déclara abruptement et autoritairement aux élèves qu'" ils avaient deux heures " en leur écrivant juste au tableau :
Sujet numéro 1 : moi.
puis vint s'assoir au bureau, abandonnant littéralement ses élèves à leur feuille blanche.
.......Visiblement n'ayant pas préparé sa leçon, Monsieur X. s'abandonna par la suite, assis au bureau et comme dans un état de prostration, à ses pensées intimes.
.......Il est évident qu'un tel sujet, bien trop difficile pour des élèves de cet âge (11 ans en moyenne) et de ce niveau, exigeait une présentation et une aide initiales.
.......Comme on pouvait s'y attendre, cette inconséquence conduisit vite à l'installation dans la classe d'un léger brouhaha, traduisant aussi bien l'incompréhension que le désintérêt face à ce travail. L'incompétence se confirma par l'abscence de rémédiation de l'enseignant qui en appararence avait abandonné sa classe où je vis même une jeune élève qui pleurait, sans doute stressée et qui vivait mal cette séance, se faire consoler par sa voisine.
.......J'allais faire cesser cette masquarade pédagogique quand l'enseignant se leva de son bureau et intervint enfin, recueillant d'abord les plaintes traduisant le malaise des enfants (" on ne comprend pas, on ne sait pas, c'est trop dur Monsieur...") en leur expliquant d'un ton bourru voire autoritaire, ce qu'il attendait d'eux.
.......Mais là encore quelle ne fut pas ma surprise de l'entendre tenir un discours inquiétant, allant de " la guerre est finie " jusqu'à affirmer aux enfants d'imaginer que s'ils mourraient, il ne resterait d'eux que ce qu'ils allaient écrire dans l'heure qui restait, remarque on ne peut plus traumatisante à cet âge.
....... Le reste de ce temps fut bizarrement passé accroupi entre les tables comme à confesser les élèves les uns après les autres, jusqu'à ce que sonne l'heure de la récréation de dix heures.
....... Je vis alors cet enseignant non pas aller dans la salle des professeurs, où j'espérais aller préparer notre entretien, (qui se tint en fin de matinée, sans y participer, fixant désespérément le sol, ne semblant pas entendre mes critiques et ignorant mes questions sur ses motivations...) mais se diriger dans la cour sous les saules, finir nerveusement la cigarette qu'il avait allumée avant même de sortir de la classe.
.......Après discussion avec le chef d'établissement, qui fut surpris de ce que je lui racontai et qui m'affirma que cet enseignant nouvellement arrivé dans l'établissement semblait être apprécié des enfants et des parents, je conseille néanmoins à Monsieur X, d'avoir le plus rapidement possible un entretien avec le médecin conseil spécialiste de la MGEN, et exige qu'il s'inscrive dès maintenant dans les divers stages de formation continue qu'organisent l'Académie dans sa discipline.
.......Sans vouloir le pénaliser, et en espérant qu'il pourra se ressaisir le plus vite possible, je pense que cet enseignant mérite un suivi, auquel je ne manquerai pas de porter toute mon attention. C'est pour cela aussi que jusqu'à nouvelle inspection, je propose, plutôt qu'une baisse, qui pourrait s'avérer malvenue pour un individu en difficulté, de garder sa note pédagogique, obtenue lors de sa dernière inspection il y a 5 ans.
Les inspecteurs n'ont pas souvent d'humour, mais en l'occurence celui-ci a senti que l'enseignant n'était pas " là " et qu'il avait des problèmes. Il faut lire ce chapitre (et le livre en entier, premier roman plus que prometteur) car ce cours n'est que le premier de cette difficile journée, ou de plus il doit faire cours tout le matin et l'après-midi, ce qu'entre professeurs on appelle souvent " une grosse journée " .
Il en fera par exemple un autre l'après-midi, absolument époustouflant (p.114 et 115) sur l'emploi de l'indicatif, du conditionnel et du subjectif. Texte d'anthologie où l'on reconnaît Bergounioux le prof agrégé, qui lui-même publiera plus tard chez Nathan (en 2002) Aimer la grammaire ...
Dommage que l'inspecteur soit déjà reparti !
Il est des fois où les choses se jouent à quelques heures près...
(Ça me rappele avec tristesse la mort de Walter Benjamin...qui s'il était arrivé un jour plus tôt à Port Bou, ne serait sans doute pas suicidé...)
- Et alors, il pense à quoi pendant qu'ils font leur rédaction sur MOI. ? À sa femme ?
- C'est incroyable mais non, à ce moment-là il réfléchit sur Flaubert...
- ?
- Flaubert est primordial dans ce livre... qui devait s'appelait, sans l'intervention de Pascal Quignard, je le répète, Les mésaventures de Gustave Flaubert...
- !
- Mais tu sais, ce qu'il raconte aux gamins pour leur faire comprendre de quoi il faut parler, pour écrire sur MOI, c'est vraiment bien...et efficace.
- Efficace ?
- Oui, parce que ce que ne dit pas le rapport de l'inspecteur, c'est que les copies qu'il ramasse font toutes au moins une page, et que les gamins avaient finalement compris...
- Et il leur dit quoi alors ?
- Alors là, je ne te le dirai pas, tu n'as qu'à le lire... Comme dirait ma fille Léa, " C'est trop bon ".