Lundi le 22 octobre 2007 jour précédent jour suivant retour au menu
Le Silure, pendant que j'y pense...
pour Laure Limongi et Emmanuel Tugny,
ou : à vouloir attraper le Silure, on y perd son latin.

C'est un poisson qu'on trouve aujourd'hui dans des rivières, lacs ou étangs, un peu partout en Europe, en France comme ailleurs, l'espèce la plus connue étant le Silure glane, d'après Linné qui l'avait nommé, en 1768, Silurus glanus.
Il vient du Danube. Discret et fuyant la lumière, le Silure préfère vivre dans les bas-fonds. Silure et Dracula, lui aussi Prince des ténèbres, même combat !

Il peut dépasser les 2 mètres et les 100 kg. Même s'il a tout fait pour s'en distinguer, certains l'appellent encore Poisson-chat ou le comparent au Brochet ! Il n'est pas si vorace et n'est pas responsable de tous les maux ou on-dits qu'on lui colle sur le dos, comme on le verra plus tard.

Certes il n'est pas né dans le berceau d'une fée.
Avec une peau dont on voit à peine les écailles, une tête massive et plate avec autour de la gueule six horribles barbillons, des rapes en guise de dents et deux yeux minuscules et qui ne lui servent presqu'à rien on peut dire qu'il a tout pour plaire, et qu'il n'est pas loin du délit de sale gueule.

Il alimente les légendes (on dit même qu'on en a pêché un dans le Danuble de plus de 5 mètres et de plus de 500 kg) et s'étonne à chaque fois qu'on lui raconte que tous les enfants de pêcheurs rêvent de l'attraper, comme papa, un jour...

Ce n'est pas aux vieux singes qu'on apprend à faire des grimaces. Il a derrière lui une ascendance à faire pâlir tous les paléontologues. Faut dire qu'elle apparaît au temps où l'Amérique du Sud et l'Afrique se séparaient, ayant décidé de ne pas partager la même histoire (ah, la fracture du Gondwana !), ce qui remonte donc à quelque chose comme 120 millions d'années (ça a commencé fin jurassique, et ça s'est fini au Crétacé au cri de Vive l'Atlantique !).

Sa grande frustration est de n'y être pour rien dans l'appellation du silurien, période de l'ère primaire qui suit l'Ordovicien et précède le Dévonien. En effet cette dernière vient de terrains de cette époque (qui va de -443 à -416 millions d'années) habités par les Silures, tribu celtique du Pays de Galles.

Rien à voir donc avec notre poisson . Il faut être clair : dans les mers siluriennes, pas de silures, mais plutôt des espèces de scorpions géants qui n'avaient rien à voir avec les Poissons, puisqu'ils n'existaient pas encore, ce qui est un argument définitif non ?.
Quant aux Silures, que Tacite, dans sa Vie d'Agricola (biographie de son beau père, passionnante on s'en doute), décrit comme bruns de peau, à la chevelure bouclée, on ne retiendra d'eux sans doute que le fait de s'être battu farouchement pendant plus de 30 ans contre les romains. On sait combien cette attitude nous est ataviquement plaisante et sympathique.
Vive la silure attitude !

Le silure a ses fanatiques et ses spécialistes. Certains même essaient d'enregistrer leurs sons, tard la nuit. On ne peut pas dire que c'est séduisant ni érotique. Encore faudrait-il connaître leur vie amoureuse, dont ne ne peut aligner des chiffres (Une femelle de cent kilos peut pondre jusqu'a 2 600 000 oeufs), ou la conscience tragique qu'il a de son existence (y-a-t-il une autre raison d'emettre un son ?), et qu'un rappeur fou en fasse un hymne immortel. On ne dirait d'ailleurs, à l'écouter, que sa base n'attend que les paroles.
Tout le monde s'accorde à reconnaître que c'est un bon père tant il défend farouchement le nid où incube ses futurs petits. faut pas toucher pas aux oeufs de silure, vous êtes prévenu.

On ne lui connaît qu'un seul ennemi (à part le pêcheur, mais qui en général ne le mange pas
(- Tiens Germaine, je t'ai rapporté un poisson pour manger ce soir...) et le rejette à l'eau après la photo. Enfin... chez les vrais pêcheurs car on le verra tout à l'heure, certains, si, le mangent.
Il n'a qu'un seul ennemi donc : le Brochet (Esox lucius), qui lui de toute façon mange tout ce qui bouge, et qui lui, n'a que l'Homme comme prédateur.
(Pas étonnant qu'on lui ait donné le nom du fils de César (Lucius verus), et ce sont les silures qui doivent être contents de savoir qu'il est mort d'apoplexie, en voulant exterminer des peuples du Danube, berceau rappelons-le, de tous les silures !)
On ne sait pas pourquoi trois bébés nés en France ont reçu le prénom de Lucius depuis 1946 (alors que rien qu'en 1916, cinq parents réalisaient leur rêve d'avoir un petit Lucius dans leur famille !)
D'après mes recherches, Silurus n'a jamais été donné comme prénom ou nom, ni à un enfant, ni un chien.
J'imagine un polar :
"Au plus noir de la nuit, on entendait aboyer Silurus, le chien du fermier, qui à cette heure était toujours ivre mort et dormait profondément. On vit alors dans les phares de de traction avant qui avançait au ralenti, les vieux batiments de la ferme puis Silurus statufié, la gueule dirigée vers le ciel et dont l'inquiétude avait stoppé l'aboiement.."

Quant à sa réputation de vorace, la réputation du silure est fausse. Il bouffe à peu près n'importe quoi (des oiseaux au bord de l'au, ragondins ou autres rats musqués et ne dédaigne ni les grenouilles crapauds ou autres écrevisses, moules d'eaux et anondontes.
Son plat préféré, ce sont les larves de libellule, les carpes et les brèmes. Bien sûr, les brochets, surtout quand ils sont petits, n'ont qu'à bien se tenir, guerre oblige ! Des mauvaises langues disent, que le silure affamé est capable de manger ses propres frères. Mais comment savoir ce qui se passe dans l'obscurité des bas-fonds ?
Non le silure n'est pas vorace. Beaucoup de pêcheurs, même à jeun, racontent que le ventre du silure est souvent vide.

On a essayé, donc on continue, de l'élever en élevage et de commercialiser sa chair, sous le nom de Merval. On dit même que le filet de merval au Cheverny ou les escalopes de silure à la lombarde se mangent bien.
D'autres préfèrent le filet de silure braisé au vin de Savennières ou carrément le Silure au MOJITO, pour l'été et au barbecue, lisible sur un site qui s'appelle, eh oui, personne n'est indifférent au silure, siluremania !
Parfois l'homme nous semble un vrai timbré.

C'est que la pêche au silure est difficile. Il faut être costaud et avoir du bon matériel. Il s'agit d'un combat qui peut durer de 30 minutes à 1 heure ! Le silure est long, la barque peut chavirer, car il s'accroche au fond. C'est pour cela qu'après on le photographie, souvent à plusieurs pour le tenir. C'est un beau tableau de chasse pour les copains et les faire pâlir la photo prouve qu'on n'est pas né du premier hameçon.
Le silure, c'est l'éléphant du pêcheur.

N'attrape pas un silure qui veut !
Il faut s'entraîner, observer et être patient.
Si on se décourage, on peut toujours se réfugier dans les livres, regarder des cassettes et des DVD consacrés à la pêche au silure, sans parler des sites d'outillages spécialisés pour le silure, qui ne se laisse pas prendre par n'importe quel leurre.
Beaucoup sur Internet filment leur prise historique. Il y en a un qui dit au milieu de son film : " Ce silure vous est offert par Monsieur Sarkosy ". L'humour des pêcheurs est légendaire.
Heureusement, dans le Perche, on respecte le Silure. Il a même un espace silure sur Percheonline. On admire là encore le jeu de mot, fin comme une ligne.
Les Égyptiens sont une fois de plus les plus civilisés. On trouve une déesse, Mihit ou Hat-mihit que l'on trouve représente coiffée d'un silure. Qui d'autre ?
Pas trouvé de références dans la littérature.
Pas de ma faute si Brautigan préférait la truite !
Ce n'est pas grave.
Le livre reste à écrire.
Tant mieux.