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ma vie dans le Perche
Propos sur la littérature et la peinture.
samedi 23 septembre 2006 jour précédent jour suivant retour au menu
L'abbé de Rancé.
Une histoire comme je les aime.
1ère partie : la belle et l'abbé.

Il est né à Paris le 9 janvier 1626. Son vrai nom est Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé. On devine qu'avec un nom comme ça Armand-Jean n'est pas n'importe qui. Il fait partie de " la haute ". Son père n'était rien d'autre que le secrétaire privé de la reine Marie de Médicis. C'est pas rien !
À son baptême, c'est pas moins le Cardinal de Richelieu (de son vrai nom Armand-Jean du Plessis, tiens tiens Armand-Jean a le prénom de son parrain) et la marquise d'Effiat (Marie de Fourcy, femme du marquis d'Effiat, surintendant des finances !) qui le tiennent dans leurs bras ! je l'ai dit, c'est pas le fils à Dupont.
On devrait en faire un bon militaire, mais quand son frère Denis meurt, pour le remplacer, on décide qu'il fera une carrière ecclésiastique. Alors en 1637, il a donc 11 ans, il est chanoine (et de pas n'importe quoi, de la cathédrale Notre-Dame de Paris s'il vous plaît), et abbé commendataire non pas d'un, mais de cinq monastères, dont celui de La Trappe en Normandie.
Alors là, on peut dire que c'est l'Euro-Millions de l'époque !
Car la commende, ce n'est pas la commande ! (tiens encore une homophonie)
La commende.
Un truc génial concocté au Vè Concile de Latran, entre le pape (Léon X) et le représentant du roi (François Ier), Antoine Duprat (dont la vie n'est pas banale non plus). C'est ce qu'on appelle un concordat, celui-ci le Concordat de Bologne, signé le 18 août 1516.
Ce système, appelé régime de la commende faisait qu'un laïc, un séculier,( non soumis à l'autorité et/ou l'influence religieuse) pouvait recevoir une partie des bénéfices d'une abbaye (d'un monastère ou d'un prieuré), (au moins d'un tiers, voire plus). Juste comme ça, par décision et choix du roi de France. Fini les élections pour devenir évêque ou abbé : c'est le roi qui décide, et c'est le pape qui entérine en investissant " spirituellement " ce qu'on pourrait appelés les " nominés ". On devine qu'après, les heureux nobles commendataires se tenaient à carreau et léchaient le cul du roi.
(entre parenthèses, c'est cette ponction par les nobles ou grands bourgeois de la monarchie, sans contrepartie, qui a fait capoter la plupart des grandes abbayes au XVIIIè siècle.)
En attendant, notre petit Armand-Jean est commendataire à 11 ans par Louis XIII (fils d'Henri IV, mais dont la maman, Catherine de Médicis, avait pour secrétaire particulier je le rappelle...le papa d'Armand-Jean !).
(Que j'aurais aimé être commendataire à 11 ans !), j'aurais sans doute fait comme lui dans ces conditions-là .
À 12 ans (1638) sa mère meurt et sa soeur entre au couvent.
Le jeune Armand-Jean, riche n'a pas besoin de bosser. Il étudie et se montre doué, en latin, en grec, en tout.
À 24 ans, son père meurt (en 1650). Le plaindre ? Non, il a les reins solides. Il va se faire ordonner prêtre, passer un doctorat à la Sorbonne (il dédit sa thèse à la mère de Louis XIV).
On le décrit " trempé, volontaire, ayant le sens de l'opportunité et de l'adaptation, d'un esprit délié et original qui séduisait tout le monde..." (Saint-Simon, Denis Lorieux, p.111) Il aimait chasser dans le château de Véretz en Touraine, propriété des parents depuis 1637...
Il a aussi un solide coup de rein.
Il mène donc une vie mondaine (on le pourrait à moins).
Chateaubriand n'y va pas de main morte : " M. de Rancé le père étant mort, son fils l'abbé, devenu le chef de sa maison à l'âge de vingt-six ans le prit d'un grand vol ; il parut dans le monde avec plus d'éclat qu'il n'avait jamais fait : un plus gros train, un plus bel équipage, huit chevaux de carrosse des plus beaux et des mieux entretenus, une livrée des plus lestes ; sa table à proportion."
il rencontre Marie d'Avaugour, la belle duchesse de Montbazon. Il a 24 ans, elle en a tout juste 40, en pleine force de l'âge, et en fait beaucoup moins.
Marie d'Avaugour, ou Marie de Bretagne de Vertus (qui était devenue duchesse en épousant à l'âge de 18 ans, le 5 mars 1628, Hercule de Rohan, Prince de Guéméné, duc de Montbazon, âgé lui, de 60 ans, et qui présente l'originalité, présent dans le carrosse, d'avoir été bléssé par Ravaillac lors de l'assassinat de Henri IV)) était une femme connue pour son avarice mais aussi d'une beauté éblouissante.
Tous les mémorialistes y sont sensibles :
" Elle défaisait toutes les autres au bal », dit Tallemant des Réaux.
Le cardinal de Retz le pense aussi : « Mme de Montbazon était d'une très grande beauté." mais en fait ensuite un portrait plus sévère, (peut-être frustré) "La modestie manquait à son air. Sa morgue et son jargon eussent suppléé, dans un temps calme, à son peu d'esprit. Elle eut peu de foi dans la galanterie, nulle dans les affaires. Elle n'aimait rien que son plaisir et, au-dessus de son plaisir, son intérêt. Je n'ai jamais vu personne qui eût conservé dans le vice si peu de respect pour la vertu. ».
On comprend qu'elle aimait faire l'amour et qu'elle savait le faire !
Toujours est-il que Armand-Jean, avec ses beaux yeux bleus ne résiste pas et lui tombe dans les bras. Et qu'ils ne firent pas que de se prendre en affection.
J'aime imaginer les folles nuits qu'ils passèrent ensemble pendant un peu plus d'une quinzaine d'années. La belle et l'abbé !
On comprend qu'on lise souvent, concernant l'abbé de Rancé, l'Abbé libertin , cette appelation valable reconnaissons-le, pour le début de sa vie, est quand même contestée.
Par exemple dans le Saint-Simon de Lorieux (que finalement j'apprécie de moins en moins), on lit (p.111 et 112) :
"...La duchesse de Montbazon et l'abbé de Rancé conservèrent vis-à-vis du monde, au cours des dix années que durèrent leurs sentiments, les plus strictes apparences où l'esprit semblait avoir plus de part dans l'amitié que la chair. " Il est inutile de spéculer sur la nature de la relation entre la duchesse et le jeune abbé de cour. Il y avait de l'affection, assurément, de l'engouement sans doute, mais de là à en faire une maîtresse, nous n'en n'avons pas les preuves ", écrit avec justesse le meilleur biographe de Rancé, le Pr Alban John Krailsheimer." (livre sorti en 2000 pour le tricentenaire de l'abbé célébré le 27 octobre 2000). C'est lui qui a aussi établi en 1993 la correspondance de Rancé en 4 volumes sous coffret.
Je crois plus la version de Chateaubriand dans son extraordinaire Vie de Rancé (en ligne, ici) on peut lire (dans le livre premier): "Des débris de cette société se forma une multitude d'autres sociétés qui conservèrent les défauts de l'hôtel de Rambouillet sans en avoir les qualités. Rancé rencontra ces sociétés ; il n'y put gâter son esprit, mais il y gâta ses moeurs ; il eut plusieurs duels, à l'exemple du cardinal de Retz, s'il faut en croire quelques écrits dont on doit néanmoins se défier."
 Phryné de Francesco BaraghiÀ propos de Marie, duchesse de Montbazon, le portrait de Chateaubriand est sans ambiguité : " La hardiesse de Mme de Montbazon égalait la facilité de sa vie. {...] Quoique grande, les contemporains trouvaient qu'elle ressemblait à une statue antique, peut-être à celle de Phryné ; mais la Phryné française n'eût pas proposé, ainsi que la Phryné de Thespies, de faire rebâtir Thèbes à ses frais, pourvu qu'il lui fût permis de mettre son souvenir en opposition au souvenir d'Alexandre. Mme de Montbazon préférait l'argent à tout " .
Phryné! Célèbre pour avoir inspiré de nombreuses Aphrodites, mais aussi pour ses tarifs élevés : selon le poète comique Machon, elle réclamait une mine pour une nuit.
Modèle du sculpteur Praxytèle, inspiratrice de nombreux peintres et sculpteurs, elle est célèbre aussi pour son procès devant l'aéropage, accusée de corrompre les jeunes femmes et d'introduire une divinité étrangère à Athènes.
Défendue par l'orateur Hypéride, un de ses anciens amants, elle ne fut sauvée que quand il arracha sa tunique, retournant le jury en montrant la beauté de ses seins et de son corps.

La scène est célèbre, représentée par Gérôme dans un tableau de 1861. (extrait:)
Chateaubriand à mes yeux ne laisse aucun doute planer en ce qui concerne la liaison de l'abbé et de la belle :
" Tant que son mari vécut, sa sagesse et sa vertu ne furent jamais suspectes ; se voyant affranchie du joug du mariage, elle se donna un peu plus de liberté. L'abbé de Rancé, alors âgé de dix-neuf à vingt ans, était déjà de l'hôtel de Montbazon. Il eut le don de plaire à la duchesse, et elle en sut faire une grande différence avec tous ceux qui fréquentaient sa maison.
Il ajoute, un peu plus loin, comme si on n'avait pas compris : " Ses assiduités auprès de Mme de Montbazon augmentèrent ; il passait souvent les nuits au jeu ou avec elle ; elle s'en servait pour ses affaires : une jeune veuve a besoin de ce secours. Cette familiarité fit bien des jaloux ; on en pensa et l'on en dit tout ce qu'on voulut, peut-être trop."

Saint-Simon, qui, on le sait, n'aime pas les faux nobles ou les parvenus, dans ses Mémoires la qualifie toujours de " belle " quand il en parle : " Cette belle duchesse de Montbazon, mère de M. de Soubise, était Avaugour des bâtards de Bretagne, qui ont été aussi connus sous les noms de Goello et de Vertus, et la mère de cette Avaugour était Fouquet de La Varenne, fille de ce fameux La Varenne, qui de fouille-au-pot, puis cuisinier, après portemanteau d'Henri IV, et Mercure de ses plaisirs, se mêla d'affaires jusqu'à devenir considérable..." (Mémoires, tome X, chap 10).
Mais je soupçonne Saint Simon de ne pas tout dire. En effet, quand on lit le portrait fait de Madame de Montbazon par Tallemant des Réaux dans ses Historiettes (portrait en ligne ici, presque complet, texte savoureux. Ne pas oublier de cliquer sur paragraphes suivants pour lire ce qui s'en suivit et la fin du portrait), on apprend qu'il a circulé un couplet de Neufgermain qui " fait voir que le duc de Saint-Simon en a tâté aussi bien que les autres (il ne ressemble pas mal à un ramoneur):
Un ramoneur nommé Simon,
Lequel ramoneur haut et bas,
A bien ramoné la maison
De Monseigneur de Montbazon. (T.)]

Dans un autre passage (Tome 2, chap. X) Saint-Simon confirme l'histoire amoureuse de l'abbé de Rancé : " La princesse de Guéméné,[...], était cette belle Mme de Montbazon dont on a fait ce conte qui a trouvé croyance: que l'abbé de Rancé, depuis ce célèbre abbé de la Trappe, en était fort amoureux et bien traité;..."
La suite de ce texte de Saint-Simon concerne la fin incroyable de cette liaison ce qu'on en raconta, et qui se passe lors de la mort de Madame de Montbazon, et qui est la cause, selon certains, du début de la nouvelle vie de l'Abbé de Rancé, celle de la conversion, et pourrait-on même dire, c'est à la mode, de sa repentance.
Cette scène est aussi contestée par certains, mais j'aime l'imaginer.
C'est une histoire qui commence bien, non ?