Vendredi 31 août 2007 jour précédent jour suivant retour au menu
Réel ou virtuel... (no4)
ou :
- la page annoncée, une fois de plus, n'est pas celle-là,
- l'hydre de Lerne,
- certaines gens n'acceptent pas les zones d'ombre,
- certaines gens ne supportent pas qu'une pensée avance presqu'inconsciente.
- " on est une sorte de canard qui gifle l'étang de Thiron de ses ailes, accélère à sa surface et se perd dans un soir vide de promeneurs."
- " La lucidité se tient dans mon froc.", hommage à Léo Ferré.
- on n'est plus sur le Net, ni dans le Net. Mon cerveau n'est plus qu'une traîne du Net.

Suite à la page d'hier qui mettait en ligne les trois mails reçus de Christian Dufourquet, un important courrier m'est carrément " tombé dessus ".

1- Dans les qui ont apprécié, ou simplement lu Christian Dufourquet avec intérêt, (mails reçus, vive Internet, de trois continents différents), j'ai pu lire :

- " Merci pour réflexion Christian D, vraiment profonde et multiple. "

- " Je ne connais pas - hors ses livres - Christian Dufourquet mais bien envie de lui sauter au cou (ce qui serait peut-être perçu par lui comme totalement saugrenu voire inconvenant) pour ce qu'il t'écrit, et à toi avec (là, je me sens plus à l'aise) pour avoir permis la naissance d'une telle parole, ouvert les chemins, charruer la terre, et bon an mal an créé quelque chose bien rare sur Internet... et partout. Tu connais la parabole du semeur ?
Il sème.
Où tombe le grain, bonne ou mauvaise terre, n'est pas son boulot.
Et il doit continuer de le faire.
"

- " extrait de mon carnet : "Qu'est-ce , en effet, que la nature? Ce n'est pas une mère féconde qui nous a enfantés, mais bien une création de notre cerveau; c'est notre intelligence qui lui donne vie. Les choses sont parce que nous les voyons, et la receptivité aussi bien que la forme de notre vision dépendent des arts qui nous ont influencé" (Oscar Wilde, dans le Déclin du mensonge/Oeuvres/Stock
et plus bas: " ..et voici que le monde (qui n'a pas été créé une fois, mais aussi souvent qu'un artiste original est survenu) nous apparaît entièrement différent de l'ancien, mais parfaitement clair"
Je n'ai pas marqué l'auteur, peut-être Proust ?"


2- Dans les autres mails, c'est autre chose.
Exemples :
- " Ce matin, j’ai récupéré sur ton site les trois courriels de Christian Dufourquet.
Ils permettent de se dérouiller la tête.
Une partie pourrait servir de départ à une mélancolie S-F sur la disparition des bibliothèques au profit d’Internet.
Une autre apporter quelques pages d’un roman sur l’échec de toute vie. Tu sais ce fameux moment où l’on sait qu’on ne lira jamais écrivain sur son passeport. Mais toujours enseignant.
Mais je ne comprends pas le lien que fait ton correspondant entre « l'absence de brouillons, de ratures, de repentirs » et le Net.

[...] Pour moi, le courriel n’est qu’un changement de transport. C’est seulement la transmission qui est instantanée pas la manière d’écrire. Internet n’a pas grand-chose à voir avec la construction d’un texte. Et là-dedans, l’ordinateur n’est qu’un outil.
[...]Et j’avoue ne pas comprendre des phrases comme celle-ci :
[...]Ou celles-là :[...]Peux-tu fournir une explication de texte?[...]

- " ...il s'écoute écrire ou se regarde taper son clavier? Bref, il m'a fait perdre 15 minutes... heureusement qu'il n'utilise que rarement le net sinon, on aurait tous déserté le net !!! "

Je n'ai répondu à aucun, étant arrivé de Noirmoutiers via Poitiers vers 2h30 du matin, mais aussi parce que n'ayant pas de réponse(s) à donner.
Après lecture de ces mails, j'ai téléphoné à Christian D. juste pour lui dire , sans jamais citer l'origine, ni dire s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme, la variété et le nombre de réactions à la page d'hier, en lui résumant quelques-unes.
Réactions intéressantes puisqu'en fait provoquées et adressées à quelqu'un qui n'est pas un internaute, qui n'a pas de blogs, ni de site perso, et qui ne s'exprime pas sur le Net.
Comme quoi, me disais-je en souriant, qu'il n'y a plus de frontières entre le réel et le virtuel, qu'on n'est plus sur le Net, ni dans le Net, et qu'aujourd'hui l'homme a un rapport au monde transformé par cette révolution, qu'il la reconnaisse ou non, qu'il l'accepte ou non, qu'il s'en rende compte ou non.
Comme disait léo Ferré, " ...ce que vous croyez être votre conscience et qui n'est qu'une dépendance de l'ordinateur neurophile qui vous sert de cerveau."
Je pense aujourd'hui que " l'ordinateur neurophile qui nous sert de cerveau " a rejoint le Net, fait partie du Net, est intégré au Net, et qu'il n'en est plus qu'une traîne..
Ce qui n'empêche pas qu'en 2007, venant d'où je viens, il me faille encore, de temps en temps, me déconnecter, me débrancher et faire des tartes aux mûres cueillies dans la haie des chemins.

Au téléphone ce matin, Dufourquet a juste éclaté de rire et dit que je devais corriger ma faute sur Nadeau que j'avais mal orthographié sans doute par fatique et faute d'attention, ce que j'ai fait aussitôt bien sûr.

l'hydre de Lerne, est décrite sur Wikipédia comme un serpent d'eau à corps de chien possédant plusieurs têtes (de 5 à 100 voire 10 000 selon les auteurs) dont une immortelle (en partie en or), et qui se régénéraient doublement lorsqu'elles étaient tranchées. On précise aussi que son haleine, soufflée par les multiples gueules, exhalait un poison radical, même durant le sommeil de l'animal et que le monstre ravageait le bétail et saccageait les récoltes.
Tuer l'hydre de Lerne fut le deuxième des douze travaux d'Hercule.
Le mail totalement inattendu reçu ce soir de Dufourquet, m'a fait penser au combat d'un Hercule, mais qui serait vaincu, tenu en échec face à " la bête ", tout en ne s'avouant jamais vaincu, y faisant face, coûte que coûte.
Comme ceux de la page précédente, il s'agit là d'un texte, un vrai texte, tel que je l'entends, et qui fera comme les autres, sans doute, hurler quelques-uns, sourire ou toucher encore quelques autres...
À mon avis, il tire là, sa dernière cartouche, sur ce sujet-là, inépuisable.
" Ce matin, tu me narrais les réactions à la série de mails que tu avais décidé de mettre en ligne... Tu me disais : 5O / 50 de réactions des deux côtés. A mon avis, c'est plutôt 70 / 30 et encore... C'est comme un quartier de viande jeté dans un bassin de l'Amazone, par quelqu'un qui espère qu'il arrive, au moins parcellaire, à la mer...
Ce qui me fait réagir, et je dirais presque voluptueusement, c'est les (nombreux) lecteurs de ton site qui râlent, vitupèrent, se tordent de déplaisir dans le sillage de ta barque, en arborant un triple rang de crocs étincelants (les foetus que j'évoquais).
Si j'ai bien compris, à part ceux qui disent n'y comprendre rien (et comment expliquer qu'il n'est pas nécessaire de comprendre pour appréhender quelque chose qui peut être nécessaire à sa vie), c'est ceux qui râlent, je te cite : il se touche, il se regarde écrire etc... Il faut peut-être, dès l'enfance, avoir appris qu'entre les père/mère, les copains, les troubles d'une sexualité informelle, et d'autant plus intense, la cochonnerie que l'on perçoit, à cette époque, et quasi instantanément, du monde, et qu'on apprend plus tard à refouler, à héberger en son sein, à transmuer en un vague système de valeurs qu'on refilera à son premier né, au premier venu, ou à quiconque dans un bar ou une soirée s'adresse à soi comme si l'on était tout et partie d'un même monde harmonique, plasmatique, historique et tutti quanti, il faut peut-être, dis-je, avoir saisi que tout cà n'est que vent, de l'ombre et de la fumée, et que ça n'est que recroquevillé, sous le ventre suintant de pisse du monde, un livre ouvert sur les genoux, c'est-à-dire la chose la moins tangible, la plus irréelle qui soit (l'une des moins chères aussi), que l'on peut croire que notre vie n'est pas qu'un colis jeté dans un wagon quelconque d'un train de marchandises roulant sur une voie unique, et crachotant à l'infini une sorte de bêlement.
Mais non, je ne me regarde pas écrire, je me regarde penser, je regarde une petite chose infiniment morte penser à travers ce moi qui n'est bon qu'à jeter aux orties. Et ce que cela pense, je ne le sais pas plus que n'importe qui.
Mais non, je ne me touche pas, ne me branle pas, se branler (ce que je fais bien sûr comme tout un dans le vide de ce wagon qui court dans une plaine qui n'est pas plus grande qu'un terrain vague, et qui est probablement à l'arrêt) c'est s'affirmer dans le si merveilleux théâtre de son cul, c'est éjaculer contre un miroir qui a poussé sur nos os, et, je crains de décevoir ces (nombreux) lecteurs, écrire une phrase, ce n'est pas croire qu'on se projette avec toute sa puissance séminale sur un quelconque écran (ce qu'ils font, eux, par ailleurs), c'est se perdre, débander devant la plus belle femme du monde et s'en foutre, parce que ce n'est pas là l'essentiel, même si l'essentiel personne ne sait ce que c'est, mais on tend, on se détend, on tourne le dos, on est une sorte de canard qui gifle l'étang de Thiron de ses ailes, accélère à sa surface et se perd dans un soir vide de promeneurs.
"

"Je suis d'un autre pays que le vôtre, d'un autre quartier, d'une autre solitude. Je m'invente aujourd'hui des chemins de traverse. Je ne suis plus de chez vous. J'attends des mutants. Biologiquement je m'arrange avec l'idée que je me fais de la biologie: je pisse, j'éjacule, je pleure. Il est de toute première instance que nous façonnions nos idées comme s'il s'agissait d'objets manufacturés. Je suis prêt à vous procurer les moules. Mais...
La solitude...
Les moules sont d'une texture nouvelle, je vous avertis. Ils ont été coulés demain matin. Si vous n'avez pas dès ce jour, le sentiment relatif de votre durée, il est inutile de regarder devant vous car devant c'est derrière, la nuit c'est le jour. Et...
La solitude...
Il est de toute première instance que les laveries automatiques, au coin des rues, soient aussi imperturbables que les feux d'arrêt ou de voie libre. Les flics du détersif vous indiqueront la case où il vous sera loisible de laver ce que vous croyez être votre conscience et qui n'est qu'une dépendance de l'ordinateur neurophile qui vous sert de cerveau. Et pourtant...
La solitude...
Le désespoir est une forme supérieure de la critique. Pour le moment, nous l'appellerons "bonheur", les mots que vous employez n'étant plus "les mots" mais une sorte de conduit à travers lequels les analphabètes se font bonne conscience. Mais...
La solitude...
Le Code civil nous en parlerons plus tard. Pour le moment, je voudrais codifier l'incodifiable. Je voudrais mesurer vos danaïdes démocraties. Je voudrais m'insérer dans le vide absolu et devenir le non-dit, le non-avenu, le non-vierge par manque de lucidité.
La lucidité se tient dans mon froc."
La solitude, Léo ferré, 1971.