page précédente (il arrive toujours plus que prévu) Samedi 28 août 2010 page suivante (On ne peut pas être au four et au moulin) retour au menu
Avant d'aller à Ouessant
ou : sur la route du Conquet.
ou : on ne s'ennuie pas dans un bar...

Je ne compte pas arrêter ce journal mais je ne peux le faire comme je veux que quand je suis chez moi tranquille, souvent la nuit.
Parce que les choses importantes sont relativement simples, la vie est parfois compliquée. Le corps qui se tient debout et se déplace porte avec lui dans sa tête toute son histoire et celle du monde, comme un bruit de fond, que l'on entend mieux seul certaines nuits comme le bruit d'une vague qui inlassablement vient se fracasser sur le même rocher.

Samedi 14 août 2010, Thiron-Gardais, 11h20.
Ils appellent ça une cidria. Le maire en personne (le jeune homme à droite que tout le monde ici appelle Victor) vous offre du cidre (ici avec un peu trop de cannelle), juste comme ça, pour dire bonjour et vous mettre de bonne humeur.
J'y suis allé avec ma voisine Micheline, que je considère et aime comme une (ma) grand-mère, le modèle que l'on peut rêver être à quatre vingts ans passés.
Micheline s'est mise sur son trente et un car nous devons ensuite aller vers Chateauneuf en Thymerais, où elle doit être interviewée par Phyllis Y. pour un livre de commande qu'elle doit écrire sur Thiron-Gardais.

Samedi 14 août 2010, Le Chêne-Chenu, 12h34.
Phyllis fait visiter sa maison magnifique à Micheline. Je vois que tout de suite elles entrent dans de longues discussions, ce qui me ravit d'avoir été l'entremetteur de cette rencontre.
Micheline ne sait pas qui est Phyllis Y. à part le fait qu'elle est l'amie de Jean-Christophe qu'elle connaît et que je l'aime beaucoup.
Elle ne sait pas, entre autre, qu'elle est la fille de Philip Yordan, un des meilleurs scénaristes et adaptateur d'Hollywood des années 40 à 60, faisant tourner tous les grands acteurs et actrices du siècle, allant de Johnny Guitar réalisé par Nicolas Ray à The harder they fall, le dernier film où joue Humphrey Bogart, sans parler de sa carrière de producteur, des sept secenarii faits pour Anthony Mann ni de son oscar pour le scénario de Broken lance réalisé par Edward Dmytryk et interprété (entre autres) par Spencer Tracy et Robert Wagner et qui était une adaptation en western du film de 1945 de Manckiewicz La Maison des étrangers .
.
Elle ne sait pas non plus que la vie de Phyllis mériterait à elle seule un gros livre qui commencerait sans doute lors des pogroms russes qui firent naître son père à Chicago, jusqu'à aujourd"hui où elle vit dans un coin perdu d'Eure et Loir.
Le repas fut nourri des anecdotes et de la mémoire phénoménale de Micheline sur Thiron-Gardais. Elle connaît les généalogies, les alliances, les mésalliances, et même les enfants du curé (paix à son âme). Jean-Christophe, Phyllis et moi sommes aux anges.

Samedi 14 août 2010, Le Chêne-Chenu, 15h45,
Après une balade dans le jardin magique car abandonné à lui-même, et sous les conseils avisés de Micheline, aussi botaniste et horticultrice hors pair, nous quittons Phyllis et Jean-Christophe tous enchantés par ce moment passé ensemble, nous promettant de se revoir et ayant comme projet commun de repeindre la cuisine lors d'un week-end prochain.
 

Lundi 16 août, Ouistreham, 23h52.
Dernier verre sur une terrasse près de la mer. Nous devons partir demain matin pour le Conquet pour prendre le bateau après-demain pour Ouessant où je veux assister au Salon du livre insulaire.
Beaucoup de kilomètres en perspective mais j'aime ça. Regarder le paysage défiler à travers le pare-brise comme sur un écran de cinéma , écouter de la musique, parler ou discuter comme en "voix off". Et puis l'occasion aussi de somnoler ou de laisser place au silence, parfois la seule parade au bruit de fond neuronal...
Je pense aussi à Michel Piccoli qui dans un film dit : "On ne s'ennuie pas dans un bar. C'est pas comme dans les églises où on est seul avec son âme."

Mardi 17 août 2010, Dinan, 13h34.
Fasciné au restaurant par deux voisines obèses. Je ne me suis jamais moqué, même petit, des gens obèses. Au contraire, ai toujours senti combien ce corps-là devait être encombrant, cacher une multitude de non-dits, même acceptés ou plus ou moins bien vécus.
J'essaie de joindre Philippe B. qui je sais est dans un village voisin et qui attend la mort de son père, au stade terminal de la maladie d'Alzheimer. Par sms, il me signale que chaque jour les médecins sont étonnés que ce ne soit pas le bon.
Le bon jour ! Pour qui ? Ceux qui restent où celui qui meurt ?
Et quel sera, pour chacun de nous, le bon jour ?


Mardi 17 août 2010, abbaye de Daoulas, 17h10.
C'est Anne Bihan qui a nous a conseillé cette visite à cause d'une exposition formidable qui s'y tient sur l'art aborigène mis face à l'art inuit (Grand Nord Grand Sud, exposition ouverte jusqu'au 28 novembre).
Mais le haut du village et l'abbaye à eux seuls valent le voyage.
C'est au Sud de Brest, si vous avez la possibilité, allez-y. L'exposition est plus qu'impressionnante. Je connaissais un peu, grâce à mes séjours au Canada dans les années soixante dix, l'art inuit, mais je n'avais jamais vu d'aussi belles pièces, en particulier les sculptures dans les os de baleine fossilisés, et ces merveilles géologiques que sont la stéatite, le basalte, la serpentine, le marbre.
Je ne peux m'empêcher de remarquer, ce n'est pas la première fois, que les oeuvres récentes moins traditionnelles mais plus modernes, de ces deux communautés, sont à mes yeux moins intéressantes, moins originales, plus faibles dans leur contemporanéité.

Nous sortons de l'exposition très impressionnés donc silencieux et quittons l'abbaye après voir visité l'ancien cloître, l'abbatiale et le cimetière.

Vendredi 4 juin 2010, Musée national, Beyrouth, 12h30.
Je sors du musée silencieux car assommé par tant de trésors et merveilles.
Je marche dans la rue de Damas, ancien emplacement de la tristement célèbre ligne verte, véritable ligne de démarcation qui a séparé pendant la guerre civile (de 1975 à 1990) Beyrouth Est, chrétien, et Beyrouth Ouest musulman.
J'ai en tête quelques photos d'époque, et l'on comprend bien pourquoi verte car seules les plantes y étaient revenues, et pouvaient y survivre en profitant de ce no-man land mortel pour qui s'y serait aventuré.
On peut voir aussi des vidéos d'époque sur le site de l'Ina comme celle-ci, reportage fait le jour de la réouverture à la circulation de cet axe)
Je marche et prends quelques photos de façades encore intactes aujourd'hui, destinées la plupart à la destruction et à la folie immobilière.
Je suis étonné que personne ne s'étonne ni ne réagisse à moi prenant ces photos. Ces lieux ou traces de mémoire sont-ils devenus si transparents pour eux, qui pourtant ont tous vécu douloureusement cette guerre civile entre communautés ? ou ne veulent-ils plus les "voir" ?
Je me sens subitement comme un fantôme invisible.

Je me presse un peu car j'ai rendez-vous au Centre Culturel Français, situé dans l'enceinte de l'Ambassade de France, où travaille mon frère, pour rencontrer Michel Onfray qui y donne ce soir une conférence sur l'utopie. On oublie vite que Beyrouth n'est qu'à un peu plus de trois heures de Paris !

Mardi 17 août 2010, Le Conquet, 21h10.
Nous nous sommes pressés un peu pour ne pas arriver trop tard au Conquet, espérant trouver encore une place dans un hôtel et un restaurant.
Peine perdue quand nous y arriverons.
En attendant le deuxième service, nous pourrons quand même dîner convenablement
.
Après avoir assisté à un magnifique coucher de soleil sur le port, nous allons dormir dans la voiture sur le parking de la gare maritime d'où nous devons partir le lendemain très tôt.
Mais si Sandrine dormira comme un loir, j'aurai un sommeil agité, quelque part inquiet de retrouver Ouessant et son Salon du livre insulaire, où je ne suis jamais retourné depuis 2002, invité alors, suite à mon prix obtenu l'année précédente, avec d'autres écrivains de Nouvelle Calédonie.
Il est toujours risqué de retourner où il s'est déjà passé quelque chose dans sa vie.
Vers trois heures du matin j'assiste au départ en mer des pêcheurs.