page précédente (pour aller à Ouessant...la ligne verte de Beyrouth) Jeudi 7 octobre 2010 page suivante (lecture à Ouessant, musique à Beyrouth) retour au menu
On ne peut pas être au four et au moulin,
ou : Quand l'urgence de se taire est aussi forte que celle d'écrire.

Non ma chère Anne je ne me suis pas perdu entre Le Conquet et Ouessant, non pas de naufrage ni de noyade, encore moins de kidnapping sauf celui de la vie quotidienne qui m'a entraîné pendant un mois loin de Thiron-Gardais.
Je suis bien parti du Conquet pour Ouessant et j'y suis bien arrivé,


Mercredi 18 août 2010, Le Conquet, 7h50.
Je photographie une femme en rouge qui reste seule à regarder le bateau qui s'éloigne du quai.
Je trouve la scène très photogénique, très littéraire voire cinématographique (si on y ajoutait le doux mouvement d'éloignement, le bruit du moteur et quelques mouettes au-dessus). Qui regarde-t-elle partir ? Pourquoi ne va-t-elle pas à Ouessant ? prendra-t-elle la navette suivante ?

Mercredi 18 août, Molène, 8h35.
Le soleil perce les nuages quand débarquent quelques passagers sur l'île de Molène. La plupart restent, ce qui indique qu'ils vont à Ouessant.
Sans doute excité par le Salon du livre insulaire, mon esprit décidément romanesque ce matin me fait photographier cette magnifique rousse, et sa chevelure qui explose au soleil.
Sandrine, préfère photographier et filmer un autre genre de vagues,
et l' arrivée à Ouessant où il fait un temps superbe.
..
L'objectif de la matinée est clair : trouver où se situe la chambre qu'Anne Bihan nous a réservée, louer des vélos, et trouver tous les gens que je connais et pour lesquels je suis venu ici. Essayer aussi de prendre un bon petit déjeuner, bien sûr !

Vendredi 4 juin 2010, Centre Culturel Français, Ambassade de France, Beyrouth, 17h30.
Quand j'y entre et retrouve mon frère qui y travaille, Michel Onfray est déjà très entouré pour ne pas dire courtisé par de nombreuses femmes et admiratrices et qui s'empressent de se faire dédicacer tout ce qui est à vendre. L'auteur, pieds nus dans ses chaussures est à l'aise et n'est pas avare de sourires.
En attendant sa conférence sur les utopies on peut déambuler dans la salle d'exposition attenante où d'ailleurs quelques oeuvres exposées sont intéressantes et méritent le détour.


La salle est pleine à craquer, il existe une intelligentsia libanaise qui se tient au fait de l'actualité. Paris n'est pas loin, la presse est libre, et le pays compte un grand nombre de peintres, d'écrivains, de metteurs en scène dont beaucoup ont dépassé les frontières du pays.
Michel Onfray fera sa conférence comme il en a l'habitude (j'ai assisté à Hérouville à plusieurs de ses conférences sur Freud) : à l'aise, calme, séduisant, maniant humour et citations bien choisies...tenant l'attention de la salle jusqu'au bout, et déclenchant de longs applaudissements mérités : la performance est bonne, trop bien rodée à mes yeux, sans prise de risque.

Mais voilà, dans la partie suivante réservée aux questions des spectateurs, il refait quelque chose que je l'ai vu faire aussi quelquefois à l'université du temps libre à Caen, à savoir, répondre assez sèchement à celui ou celle qui n'est pas d'accord avec lui, en l'occurrence ici, une libanaise qu'il traitera il me semble avec beaucoup de condescendance de "prof de terminale", ce qui provoquera des remous dans la salle et sera même rapporté dans la presse le lendemain.


Il fait nuit et le pot offert par le Centre Culturel me permet de boire, pour la première fois depuis mon arrivée au Liban, on imagine avec quel plaisir, du vin rouge que j'imagine être du Bordeaux, alors qu'il s'agit d'un bon vin libanais, comme j'allais en découvrir beaucoup d'autres au cours de mon séjour !
Je ne me doutais pas encore que la soirée qui nous attendait, et qui commençait par la réception en l'honneur de Michel Onfray, chez l'Empereur Michel Ier, en plein coeur de Beyrouth, nous mènerait, mon frère et moi jusqu'au petit matin.

Non ma chère Anne, je n'ai pas abandonné mon journal. J'y ai pensé tous les jours comme j'écris et peins tous les jours dans ma tête, mais des volcans d'Auvergne au palais des Papes à Avignon, d'Aigues-Mortes à Aix-en-Provence, de Gordes à Nice, de Monaco à la Couvertoirade, de Montpellier à Saint-Malo, je n'avais pas envie de m'arrêter pour me mettre devant mon ordinateur.
J'ai préféré profiter de l'énergie physique qui me reste pour marcher dans les rues, profiter du beau temps, des terrasses de café, traîner dans les petits restaurants et goûter les vins locaux, et rêvasser tout simplement.
Pour une fois, j'ai pris le temps de partager la plupart de mon temps avec les gens rencontrés, amis ou inconnus, de faire de longues marches dans les villes ou dans la campagne, de regarder la mer sans rien dire, et lire.
Pour une fois, je me suis laissé aller et traverser par le temps qui passe, à mon âge de plus en plus vite.

De retour à Thiron-gardais depuis quelques jours seulement, heureux de retrouver l'étang et ses hérons, mon marronnier et la pelouse envahie par ce qu'on appelle à tort des mauvaises herbes, je comptais bien sûr, entre autre, reprendre au plus vite ce journal-là où je l'avais laissé.
Mais la vie est étrange. Quand la lumière du jour décline, il arrive souvent qu'à travers la fenêtre il me semble voir des silhouettes courbées qui courent vers je ne sais quelle cérémonie nocturne, et la mort très récente et inattendue d'un ami m'affecte encore chaque jour et fait qu'envahi par une tristesse douloureuse je me sens comme un touriste égaré dans un réel appauvri.

Je sais pourtant qu'on n'a pas trop le choix.
Il faut bien continuer même si l'urgence de se taire est aussi forte que celle d'écrire.
Il parait que la patience est un arbre dont la racine est amère mais dont les fruits sont très doux.