mercredi 7 décembre 2005 dernière page Avant dernière page
Pedro Gonzales (Petrus Gonsalvus), père d'Antonietta, peinte par Lavinia Fontana.
Suite 5.(voir début)

L' hypertrichose est un développement anormal du système pileux . Pour être clair et simplifier :
1- elle peut être congénitale, donc présente à la naissance, et se manifestant dès l'enfance. Dans ce cas, elle est souvent d'origine génétique, donc héréditaire (transmission autosomique dominante). C'est très rare. On en a étudié jusqu'ici une centaine de cas.
Il semble que Pedro Gonzales fut le premier cas étudié au XVIème siècle , répertorié, et peint. Comme le tableau qui peint l'hypertrichose du seigneur Gonzales se trouve à Vienne, au Kunsthistorische muséum, et fait partie de la collection connue sous le nom d' Ambras, du château du même nom, ancienne résidence d'été de Ferdinand II de 1566 à 1570, près d'Innsbruck. l'hypertrichose fut donc connue aussi sous le nom de syndrome d'Ambras. Exemple assez rare pour qu'il soit souligné, où un tableau de peinture peut donner le nom à une maladie !

C'est le type d'hypertrichose le plus grave et le plus spectaculaire:
L’hypertrichosis lanuginosa congé-nitale (hypertrichose universelle congénitale) se traduit en effet par une pilosité fœtale qui demeure et n’est pas remplacée par un duvet ou des poils terminaux, elle commence à s’accroire de manière exagérée . Le nourrisson est déjà anormalement fortement velu à la naissance.
La pilosité s’accroît sans cesse jusqu’à ce que tous les téguments, à l’exception des paumes des mains et des faces plantaires, soient recouverts de fins poils d’environ 10 cm de long.
Cette pilosité est permanente et ne diminue que légèrement parfois avec l’âge.
Il existe parfois des malformations associées, le plus souvent de la dentition (en 2002, on observa même un cas de surdité, provoqué par l'envahissement excessif des poils à l'intérieur de l'oreille).
Moins de 100 cas de cette rare anomalie ont été recensés à ce jour.
Le cas de Petrus Gonsalvus, né à Ténérife, dans les îles Canaries en 1556, est le plus célèbre.
2-La forme acquise, l' Hypertrichosis lanuginosa acquisita est encore plus rare. Dans la soixantaine de cas connus, elle apparut, comme son nom l'indique, à un moment donné de la vie, soit à la suite d'une maladie tumorale (type cancer ou tumeurs digestives, bronchiques,mammaires, biliaires, de l’utérus...), soit à la suite de carences, maladies métaboliques, ou comme conséquence d'effets secondaires de certains médicaments (cyclosporine par exemple). Cette hypertrichose acquise, peut donc être mortelle selon son origine.
L'hypertrichose de Pedro Gonzales est celle du premier type. Il la transmettra à ses trois enfants (filles et un garçon), et comme Antonietta se maria plus tard et eut un garçon atteint (poilu), on peut donc dire qu'il transmit aussi son hypertrichose à son petit-fils.
Les tableaux représentant ses enfants sont connus car leur père exhibait facilement, on le verra, sa progéniture. (j'avoue que sur ces documents-là, les références, titres et dates ne sont pas là ou peu crédibles sur Internet).
Et je n'ai pas le temps ni les moyens d'aller en Autriche... Bien qu'en hiver cela m'aurait bien plu.
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Même si c'est fréquent, il ne faut ne faut pas confondre l'hypertrichose avec l'hirsutisme qui chez la femme n'est qu'un excès du développement normal son système pilaire, de l'existence d'une pilosité dans les zones normalement glabres chez elle : la face, la poitrine,la ligne ombilico-pubienne, les faces internes des cuisses, mais aussi les fesses, les épaules, le dos, et qui adopte une topographie dite « masculine ».
L'hirsutisme ne se développe qu'à partir de la puberté car il est du à un déréglement hormonal (excès de synthèse de testostérone par l'ovaire et la corticosurrénale, et autres hormones qui dans les cellules de la peau controlent la pousse du poil. En fait ce déréglement est plus compliqué que cela et met en jeu d'autres hormones, et je ne veux pas entrer dans un cours d'endocrinologie). La pilosité anormale se traduit essentiellement sur la face et le thorax. Elle se mesure avec l'échelle de Lorenzo qui va de 1 à 4.
L'hirsutisme s'accompagne chez ces jeunes filles de troubles associés tels que acnée, morphologie androïde et, toujours dans le sens du virilisme, une hypertrophie du clitoris.
Si je précise cela, c'est que l'imagerie et l'imagination populaires se sont nourries très vite de ces pilosités anormales ou du moins exagérées pour consolider les histoires d' homme-loup, loup-garou, pour ne pas parler du succès des femmes à barbe !
De Zénora à Julia Pastrana, de Viola à Clémentine Delait, toutes eurent leurs heures de gloire. Une belle exposition a retracé l'existence de quelques-unes. Je n'en retiens que deux autres :
la femme à barbe du film Freaks de Ted Browning (1932), et le portrait de Madeleine Ventura avec son mari et son fils, de Jusepe de Ribera, peint en 1629-31 et visible à Tolède.
Le mari derrière semble médusé, tout calme bienheureux, l'air timide, l'esprit un peu brouillé pour ne pas dire confus. Faut dire que derrière sa femme, il n'a pas l'air de faire le poids !
Une longue inscription latine explique les conditions de la commande de ce tableau par le duc d'Alcala, qui voulait que Ribera peigne " une merveille de la nature ". Madeleine Ventura, originaire des Abruzzes près de Naples, n'avait vu sa barbe pousser qu'à l'âge de 37 ans. (on est dans un cas d'hirsutisme, non pas d'hypertrichose, vous l'avez compris).Elle ne fit son enfant que 15 ans plus tard, à l'âge de 52 ans, ce qui semble beaucoup quand même, surtout pour l'époque !
Toujours est-il que ce portrait de femme allaitant son bébé, est inoubliable, à plus d'un titre.
Bien que...Je ne me souviens plus, si je l'avais vu, lors de mon voyage à Tolède avec Edouard et Marceau, il y a presque 40 ans...
Complètons l'histoire du père et de ses enfants.
Il faut dire que très jeune, il avait été offert en cadeau à la cour d' Henri II comme s'il avait été un animal en peluche. Vif et intelligent, avec son hypertrichose et sa présence marquante, il y faisait fureur comme curiosité amusante. Henri II en fit un des ses plus importants ambassadeurs, tout en lui donnant instruction et éducation.
C'est ainsi que Pedro Gonzales se retrouve ensuite dans les Flandres, à la cour de Margaret de Parme.
Par la suite, à cause de son originalité et héritée chez ses enfants, il va parcourir de nombreuses cours d'Europe, être invité dans toutes les fêtes, et s'exhiber ave eux comme curiosités de la nature, exemples et specimen de " la manière dont la nature maligne peut envahir un corps humain pécheur. ". Les grands médecins ou hommes de sciences les examinent.
- En 1592, le médecin et professeur de l'Université de Bologne Ulysse Aldrovandi examina les Gonzales et décrivit leur cas dans son livre illustré de gravures sur bois, lequel reçevra le titre de " Histoire de Monstres ".
Tout l'oeuvre est numérisée.
L'image ci-contre est tirée de ce livre Monstrorum historia cum paralipomenis historiae omnium animalium Bartholomaeus Ambrosinus. - Bologne, N. Tebaldin, 1642 (cote BIUM 881)
Pour ceux qui veulent voir d'autres gravures exceptionnelles de monstruosités humaines, ou de belles chimères voir cette page.
Elles sont toutes étonnantes.
Bon d'accord, ce n'est pas le bon adjectif. Mais c'est notre tragédie de sentir et de chercher en même temps l'adjectif qui pourrait contenir sa cause et sa conséquence.
Des portraits et les descriptions de la vie de la famille Gonzales sont également trouvés dans le sketchbook daté 1582/83 du grand Georg Hoefnagel, (si célèbre pour toutes les cartes et gravures coloriées d'une multitude de villes ou de paysages européens de cette époque), dans le Österreichische Nationalbibliothek (bibliothèque nationale autrichienne) à Vienne.
Hoefnagel est à mon avis le précurseur d'Arthus Bertrand, courant la planète pour la voir d'en haut. A.B. lui n'a qu'à louer un hélicoptère. Hoefnagel ne pouvait que rêver voler, et voler en dessinant,rêve avoué dans cette vue étonnante dominée par un poisson volant !
Parti d'Espagne, Pedro Gonsalvus passe par les Flandres pour arriver en Italie. Cours européennes, peintres, graveurs, scientifiques, artistes, rencontreront par la suite la famille pour voir son hypertrichose .
C'est finalement tout un survol de l'Europe à la fin du XVIème siècle que nous oblige à faire le portrait d'Antonietta Gonsalvus par Lavinia Fontana !