Vendredi 14 et samedi 15 octobre 2005 Hier Avant hier
André Mare à Alençon
ou encore un artiste dont la guerre à abrégé la vie.
André Mare, comme son copain de collège Fernand Léger, sont nés à Argentan, le premier en 1885, le second en 1881. l'exposition du Musée des Beaux-arts et de la dentelle d'Alençon, qui vient de se terminer rendait hommage à André Mare qui reste malheureusement trop méconnu du grand public.
A la rigueur, son nom est connu comme un des grands décorateurs à l'origine du style Art Déco. Ses meubles ou objets divers sont dans tous les catalogues des salles des ventes huppées du monde, et on les trouve facilement sur Internet, dès qu'ils sont mis en vente.
C'est comme décorateur qu'il s'est fait connaître en 1911 au salon d'Automne ou avec ses amis Roger De la Fresnaye, Desvallières, Duchamp-Villon, Marinot, Marie Laurencin et Georges Rouault, ils avaient exposé un cabinet de travail et une salle à manger dont il avait imaginé tous les meubles et leur disposition.
Il provoque un scandale au salon de 1912, où avec la même équipe que l'année précédente il conçoit et réalise "la Maison cubiste ". Derrière une façade dessinée par Duchamp-Villon, d'inspiration à la fois cubiste et classique, on peut y voir un ensemble complet de mobilier, vaisselle, tableaux...
Malgré un salon et une chambre à coucher d'ambiance bourgeoise, l'option est nettement cubiste. Les peintre présents sont La Fresnaye, Fernand Léger, Jean Metzinger, Albert Gleizes et.. Marcel Duchamp !. Ils se font incendier : " André Mare, dussiez vous me traiter de pompier comme font avec grâce ces sacrés petits fumistes de cubistes pour qui vous avez de coupables faiblesses, je vous assure que vous vous êtes trompé. " écrit Louis Vauxcelles.
Le scandale a du bon : Les milieux les plus chics de la capitale le recherchent, les commandes affluent...Paul Poiret, Robert de Rothschild, Georges Duhamel...
Après la guerre, il s'associera avec Louis Sue pour fonder son entreprise la Compagnie des Arts Français, 116 rue du faubourg saint Honoré. Pendant 8 ans, ils concevront 2000 modèles et réaliseront 50 à 60 décorations (ambassades de France, Hôtel particulier de Jean Patou, salon du paquebot Ile de France, ...)
Cela n'empêchera pas, malgré ces commandes prestigieuses, n'ayant pas de fortune personnelle, et après avoir essayé les meubles en série bon marché, que des tracas financiers les obligeront à vendre leur entreprise aux Galeries Lafayette en 1927 !
Il sera découragé, moralement usé et malade. Il en profitera, pour consacrer le peu qu'il lui reste à vivre, pour peindre et s'occuper de sa famille.
Pourtant c'est la peinture qui la première l'avait attiré, et " qu'il avait dans la peau ". Dès le collège, avec son ami Fernand Léger, ils ne parlent que de ça, et on les retrouvera dès 1904 à partager tous les deux le même atelier au 21 de l'avenue du Maine à Paris. Il a 19 ans, Léger 23. (Grâce à l'argent du grand-père, à une guerre d'usure avec ses parents qui voulaient qu'il soit magistrat ou qu'il se marie au plus vite).

Il expose dès 1906 au salon des Indépendants et au salon d'automne.
Il ne veut pas " plaire pour vendre ", il veut tirer son argent de la décoration. " Mon métier pour vivre est la décoration et j'en vis. Et j'ai la veine d'avoir le temps de peindre, qui est ma vie " dira t-il.
L'exposition d'Alençon est exceptionnelle à plus d'un titre : une trentaine de tableaux issus pour la plupart de collections particulières (et qu'on ne reverra donc pas de si tôt) et la démonstration de son talent.
La preuve et l'explication de son appellation de précubiste et du titre de l'exposition.
Son inspiration traduit à part quelques exceptions, ses sources normandes (paysages, chevaux...).
Son travail montre en même temps simplicité et détermination et un côté résolument moderne, quand on regarde les dates des tableaux.
On voit les influences traversées : post impressionnisme, fauvisme, cubisme.
Toujours du côté des modernes.
Faut dire qu'à Puteau, dès 1907 chez les trois frères Duchamp (Gaston dit Jacques Villon, Raymond dit Duchamp-Villon et le plus jeune Marcel Duchamp), il rencontre et côtoie Delaunay, Kupka, Picabia... J'ai vraiment eu le coup de foudre pour deux tableaux de 1922. Une grande toile (1m sur 81 cm) intitulée La dactylo, et une beaucoup plus petite (44,5 x 33cm) intitulée Italie Tour rouge, cette dernière bien sûr à cause de mon attrait pour les tours.
Mais la guerre nous permet de voir un autre aspect de son talent et une aventure singulière.
Quand il rejoint son unité à Cherbourg le 2 août 1914, il a en effet emporté avec lui une boite d'aquarelles, un carnet et un coûteux appareil de photo. Il va ainsi tenir son journal et remplir plus de 10 carnets incroyables.
De plus, il va y vivre une aventure assez originale, qui est celle de s'occuper du camouflage, activité nouvelle dans une armée, pour laquelle il sera recruté en 1915, dans laquelle il restera jusqu'à la fin du conflit, formant aussi bien les Anglais que les Italiens.
Camoufler le matériel, les villes, les hommes et leurs mouvements.
Voir et repérer sans être vu.
Appelé par son ami La Fresnaye qui dirigeait le service, il se retrouvera avec des décorateurs de théâtre, des sculpteurs (Bouchard, Despiau)et des peintres(Forain, Camoin, Villon, Marcoussis...) où les cubistes sont particulièrement appréciés pour leur art de décomposer les formes et les couleurs pour dissimuler tout ce qui doit devenir invisible dans le paysage, vu d'en bas comme d'en haut.
Un livre/catalogue remarquable a été publié à l'occasion de l'exposition André Mare, Cubisme et camouflage qui a eu lieue en 1998 à Bernay, Paris puis Bruxelles.
Figuratives au début, les aquarelles deviennent cubistes, comme si le style convenait à ses machines de plus en plus monstrueuses et brutales.
Exposé au gaz moutarde, blessé par un obus en mars 1917 (sera opéré par Georges Duhamel qui a repris sur les champs de bataille son ancien métier de chirurgien), souffrant la faim, le froid et l'angoisse pour sa femme, côtoiement permanent des cadavres, ces carnets, adressés à sa femme Charlotte tombée enceinte, lui permettent de survivre et dépasser l'horreur et la destruction.
Il meurt des suites de son gazage à la guerre par tuberculose en 1932.
Prématurément à 47 ans, vieilli avant l'âge disent ses visiteurs, laissant sur son chevalet une toile inachevée représentant une meule de foin dans un champ.
Cette satanée guerre aura emporté avant lui ses amis Duchamp-Villon un mois avant l'armistice, La Fresnaye en 1925 par la même cause que lui.
"Il y a ceux qui ont fait la guerre et les autres" écrira t-il en bout de course.
Oeuvre faite en une dizaine d'années, intense et fulgurante pourrait-on dire. Si son talent de décorateur est reconnu, celui de peintre reste encore à faire connaître. Cette exposition est pour cela exemplaire.
On trouve sur Internet deux très belles pages sur le site La couleur des larmes (Les peintres devant la première guerre mondiale).
Merci donc à celle qui m'a signalé cette exposition !
Cela sert aussi à cela les amis !
Et bravo le Musée des Beaux-arts et de la dentelle d'Alençon.
La forêt était si belle en plus ce matin !