samedi 12 novembre 2005 dernière page Avant dernière page
Encore un peintre que je connaissais pas !
découvert à l'exposition la Mélancolie, grâce à un petit tableau (huile sur papier marouflé sur toile) de 16 cm de large sur 24 cm de haut. Il représente un bouleau, seul de son espèce, à la lisière d'un bois, en bordure d'une vague prairie. Son tronc blanc est dans l'axe de symétrie et irradie comme un éclair. Un de ces tableaux qui vous appelle quand vous êtes dans la salle. Seul, avec quelques oiseaux noirs qui l'accompagnent dans le ciel.
Jean Clair l'a emprunté au musée de Brou, à Bourg en Bresse. Comme dirait un de mes petits coureurs : fallait le trouver celui-là !
Je n'avais jamais entendu parler de ce peintre : Antoine Chintreuil.
Bien sûr comme d'habitude, il suffisait que je ne le connaisse pas pour que j'ai envie de chercher qui c'était. En fait pour dire vrai : pas tout à fait : envie, parce que ce bouleau m'a scié sur place. Je l'ai trouvé étonnant et surprenant. Alors, des fois que ce peintre en ait fait d'autres aussi forts, j'aimerais bien les voir...
Ça s'appelle Le bouleau blanc, et ça été peint avant 1873. C'est tout ce que l'on sait.
Faut pas confondre bouleau et peuplier.
Le Peuplier c'est Populus qui signifie le peuple, Le bouleau blanc ou bouleau à papier c'est Betulus papyrifera, celui qui s'exfolie facilement en bandes blanches et qui a des cicatrices noires.
" Arrivé à Paris à 22 ans en 1838, Chintreuil est invité à faire partie, malgré son caractère introverti et réservé, au groupe des "Buveurs d'eau", qui rassemblait de très jeunes artistes bohèmes, écrivains, peintres, sculpteurs ou encore journalistes. Grâce à cette émulation fructueuse et à sa rencontre avec Corot en 1843, Chintreuil se lance dans la peinture et sur les conseils subtils et progressifs de ce premier, dans la peinture de paysage." (Sylvie Carlier)
Esquisse ses paysages à Montmartre et dans les environs de Paris, Chintreuil privilégie les terres ocre, les broussailles, les arbres se détachant sur des ciels gris orageux, et développe une technique sans empâtement où les plans et les éléments naturels sont simplifiés. Il décide de peindre essentiellement sur le motif.
le seul portrait que j'ai trouvé est fait pas Jean Desbrosses.
Né à Pont de Vaux (dans l'Ain) en 1814, le musée de cette ville (musée Chintreuil) avec celui de Bourg en Bresse (musée Musée de Brou, Monastère royal de Brou) lui ont rendu hommage en 2002 en faisant chacun une exposition autour de son oeuvre. On peut lire une très belle présentation (sur un site espagnol mais en français !), texte assez complet sur Chintreuil, de la Commissaire de l'exposition de Brou, Sylvie Carlier (connue pour son film sur Olivier Debré, son exposition Paysages et jardins – visions de la peinture d’aujourd’hui au musée Paul Dini à Villefranche-sur-Saône, dont elle est le conservateur. Elle y avait aussi conçu une exposition de Pierre Combet-Descombes : La réalité sublime ).
Ce peintre est encore si mal connu, qu'on a pendant quelques années, grâce à Internet, essayé, sous la houlette d'un universitaire (Romain Bourgeois, Université Lumière-Lyon 2), de dresser le catalogue de ses oeuvres. On peut voir le résultat de la recherche : 838 oeuvres recensées.
Dans la dizaine de tableaux que j'ai pu trouver sur Internet, ce qui me frappe ce sont les sujets choisis, que je trouve au départ pas " évidents " car peu spectaculaires.
Une usine.
(Musée de Cleveland, Ohio,
estimé peint vers 1865-70.
Une marnière.
(marnière à Mulcent, effets du soir)
Musée de Cleveland, Ohio,
peint après 1857.
Un Passage entre les pommiers
?
Un chemin le soir, quelque part
(aucun renseignement)
Une maison sur les falaises près de Fécamp
National Gallery de Londres.
L'autre partie de son oeuvre fait l'unanimité aujourd'hui, là où il inscrit ses choix et son influence de Corot, avec aubes givrées et les couchers de soleil flamboyants, là où il recherche les mouvements de la lumière en transposant ses impressions fugitives et là où il prépare le chemin des impressionnistes. Il cherche le moment où le soleil chasse le brouillard, les atmosphères vaporeuses, les vapeurs du soir, l'orée du jour ou de la nuit, tous ces moments où la lumière bascule. Tout ce qui le fait classer dans les " pré-impressionnistes ".
Ce qui fit que son ami Champfleury, éminent critique artistique (voir sur ce dernier site l'iconographie), le nomme le peintre des "brumes et rosées". Mais à l'époque on n'apprécie pas forcément.
En 1863 ses œuvres sont en effet refusées par le jury du Salon, tout comme celles de nombreux artistes. Il prend alors la tête du comité des refusés et fait créer un salon parallèle où il expose aux côtés de Corot, Manet, Cézanne et Pissarro.
Il faudra attendre encore quelques années pour que sa reconnaissance soit faite, et qu'en 1870 il reçoive la légion d'honneur.
1870 ! Vous vous souvenez ? c'est l'année où Bazille se fait tuer à la guerre ...
Mais le tableau qui m'a le plus étonné est une autre scène de paysans dans les champs trouvée sur le site du musée de Frankfort sur le Main sur un tableau qui s'appelle tout simplement La fenaison.
Une simple fiche en noir et blanc où on ne voyait pas grand chose.
Ensuite je l'ai trouvé ailleurs en couleur... Bon rien de spécial, la scène classique, genre glaneurs ou Angélus, avec un bon effet de lumière certes.
Mais je trouve par hasard qu'on peut voir des détails et alors là, c'est original.
Il y a un homme carrément allongé au pied des femmes et qui prend sa pose et son repos.
Et ce qui étonnant, si on regarde bien, c'est que les deux femmes et le type sur le sol, regardent le peintre au bout du champ en train de les peindre sur son chevalet (c'est Corot qui lui a conseillé de peindre en plein air), donc nous aussi en même temps.
En fait, je soupçonne le type sur le sol, non pas de prendre sa pose (repos) mais de poser pour nous, tout en appréciant que les autres continuent de bosser derrière lui.
Instant volé car imprévu comme on les aime !
Bof, ça doit être mon origine paysanne qui ressort !
Un groupe qui s'est appelé (ou qu'on a appelé) le groupe des buveurs d'eau, faut le faire !
C'est pourtant l'histoire de ce groupe de bohèmes faméliques du Quartier Latin, que fréquentaient Nadar et Champfleury et le jeune Chintreuil.
La bohème qu' Henry Murger dans son livre Les Scènes de la vie de bohème (1848) décrit ainsi :
" La Bohême, c'est le stage de la vie artistique; c'est la préface de l'Académie, de l'Hotel-Dieu ou de la Morgue."
Une bien belle histoire (Puccini en fit un opéra)...cruelle et pittoresque à souhait...De quoi encore profiter Gallica bien sûr.