Mercredi 20 avril 2005 Hier Avant hier
" Je te fournis un nom : Campana. Il devrait te guider vers une personne (je déteste qu'on affuble les personnes du déréalisant - et odieux - "personnage") historique étonnante et fascinante, et, par elle, à une des collections les plus belles de l'histoire de la peinture, éparpillée (pas complètement heureusement) au cours d'une aventure politico-financière navrante, mais passionnante. Cette collection te conduira à son tour vers des cassoni, que je considère parmi les plus éblouissants du monde et que l'histoire a associés, faute de mieux, au nom de Campana.
Demmerde toi."
Voilà de quoi est capable de vous envoyer LLdeMars à trois heures du matin.
Ça commence mal . Campana je connais pas. Inconnu à bord.
Google pas beaucoup : un seul et qui a deux noms : Pedro de Campaña né à Bruxelles en 1503 et mort à Bruxelles en 1580. Pas clair : un belge avec un nom espagnol. Non plus compliqué : il s'appelle aussi Pieter Kempeneer. Ça dépend de la période de sa vie.
Un artiste à carrière internationale. Ça existait déjà :
1- Il quitte la belgique et va en Italie plusieurs années et travaille pour Charles Quint à Bologne (un petit arc triomphal en passant) et à Venise pour le cardinal Grimani, et à Rome pour l'Arétin .
2- À 34 ans il se barre en Espagne (il y restera 25 ans !) Il débarque à Séville en 1537. Il y peint pour la cathédrale (Retable de la Purification, Retable de Sainte Anne, Descente de Croix (ci-contre)...)
"les formes s'étirent ou se plient, de violents effets de lumière accentuent l'expression des visages ou le jeu des mains. Il introduit fréquemment dans les scènes sacrées des détails anecdotiques et familiers, notes du réalisme toujours présent dans l'art espagnol et bien caractéristique des Flandres."
- En 1562 il retourne à Bruxelles, où il reprend son vrai nom : Pieter de kempeneer.
Jusqu'à sa mort, il y exécute des cartons pour une fabrique de tapisseries. Il fut peintre, architecte, sculpteur, mathématicien.
Peu de reproductions et d'œuvres à voir. À part dans la cathédrale de Séville, on peut voir une toile à Anvers, une à Besançon et une à la National Gallery de Londres ( Conversion de sainte Madeleine, petite huile sur bois faite d'après une fresque perdue de Federico Zuccaro qu'il avait vue lors de son séjour à Venise chez les Grimani.
Je ne vois pas ce que LLde Mars me veut avec ce peintre. D'abord, je ne le trouve pas terrible, ensuite je ne vois pas de trace d'une super collection avec " aventure politico-financière navrante, mais passionnante".
Je tourne en rond. Je reviens en arrière et pars voir du côté des Grimani, famille de cardinaux, doges, tous grands mécènes vénitiens du XVIè siècle... Il y en a un qui a bien laissé un grande collection : Marino Grimani. Je me tape une superbe étude sur son mécénat et tout ce qu'il avait acheté ou commandé (51 pages!). Mais à la fin, pas de procès, pas d'éparpillement de collection ! Je vais voir les autres Grimani (Antonio, Pietro Grimani). Rien de rien. Pas de scandales. De la politique, des traquenards, des conspirations oui, normal pour ces gens-là et l'époque.
Je commence à douter. LLde Mars doit se moquer de moi, me lancer sur un coup tordu et me balader en gondole. Je reviens donc encore à mes notes sur Campaña et trouve pour son séjour à Rome : l'Arétin. Connais pas non plus, qui c'est ça ?
Allons-y. Deuxième journée !

Pietro ARETINO, né le 20 avril 1492 (à 23h59 ! C'est pas minuit. Je trouve même son thème astrologique !) à Arezzo (Italie) mort en 1556 à Venise. Connu pour des livres sulfureux. Poète, écrivain, un type épatant, peint au moins trois fois par le Titien s'il vous plaît ! Longue barbe partout.


A écrit entre autres livres Les Ragionamenti ou Dialogues du divin, :
- Premier Livre : La Vie des Nonnes, La Vie des Femmes Mariées, La Vie des Courtisanes.
- Second Livre : L'Education de La Pipa, Les Roueries de Hommes, La Ruffianerie.
La Vie des nonnes par exemple ? : Dialogue entre Antonnia et Nanna, où il n'est question que de dépucelages, fornications dans les cellules des nonnes d'un couvent qui ressemble surtout à une maison close, où le voyeurisme est élevé au rang de prière, "où le regard est invité à pénétrer par d'innombrables fentes...". Nanna, pour ceux qui s'y intéressent, est dépucelée par un bachelier qui planta "deux fois l'étendard dans le donjon et une fois dans le fossé".
Mais Pietro Aretino, dit l'Arentin a écrit aussi beaucoup d'autres livres.
Par exemple ses Sonetti lussuriosi (sonnets luxurieux) œuvre légendaire par le minuscule volume exceptionnel de la bibliothèque Gérard Nordmann (1930-1992) (située à Genève, les spécialistes s’attachent à la déclarer référentielle dans son domaine d’élection, l’érotisme; elle compte près de deux mille livres, manuscrits, lettres, documents et curiosa.)
Cette bibliothèque peut s’enorgueillir de posséder le seul exemplaire connu des Sonnets luxurieux, remontant au XVIe siècle, des « Modi », les fameuses «Postures» de l’Arétin.
Interdit, imité sans relâche, ce livre passionne les amateurs depuis bientôt cinq siècles. C’est la première œuvre érotique des temps modernes et, par son audace, par l’association de deux maîtres de la Renaissance italienne – (le peintre Giulio Romano (1492-1546)(les Français l'appellent jules Romain !) et Pietro Aretino).
Pour les esthètes, on peut trouver en intégralité sur Internet ces vignettes incroyables et leur texte que je n'ose bien sûr pas reproduire ici. Textes originaux en italien, et leur traduction en français.
Pour vous mettre l'eau...à la bouche, premier quatrain de la première posture :
« Puisque c'est pour baiser que l'on nous mit ici,
Baisons, mais baisons donc et foutons-nous sans cesse,
Toi tu aimes le noeud, moi je chéris la fesse
Le monde serait con s'il n'en était ainsi."

l'histoire de ce livre est extraordinaire, puisque le graveur de ces images, Marcantonio Raimondi, fut emprisonné et ne fut libéré que sur intervention de L'Arétin auprès de Clément VII.
On crut ce livre longtemps perdu, et c'est Walter Toscanini, le fils du chef d'orchestre Toscanini qui en 1928 acheta (on ne sait à qui) le petit livre in-octavo imprimé à Venise en 1531. C'est ce livre qu'en 1980 Gérard Nordmann acheta à New York.
L'histoire est beaucoup plus fracassante que cela. Vous pouvez la lire complète dans un long article reportage passionnant de Michel Braudeau paru dans le Monde du 30 novembre 2004. (en pdf ou en html), écrit à l'occasion de l'exposition Eros invaincu de la collection Gérard Nordmann,à genève qui vient de se terminer le 27 mars 2005.

Montaigne ( Essais, livre I, CHAPITRE LI De la vanité des paroles) :
" ...l'Aretin : auquel, sauf une façon de parler bouffie et bouillonnée de pointes, ingenieuses à la verité, mais recherchées de loing, et fantastiques,..."
Edmond Rostand, dans son discours de réception à l'Académie française, le 4 juin 1903 :
«... glorieux et obscène, pourri de débauche et de talent, bravant et bavant, polygraphe et pornographe, ruffian de tableaux et courtier de filles »
l'Arioste (Ludovico Ariosto auteur de Furioso...l'appelle le « Fléau des princes et divin. »
Guy de Maupassant est bien sûr excellent : "Les gens qui ne savent pas grand-chose, c'est-à-dire les neuf dixièmes de la société dite intelligente, rougissent d'indignation quand on prononce ce seul mot, l'Arétin. Pour eux l'Arétin est une espèce de marquis italien qui a rédigé, en trente-deux articles, le code de la luxure. On prononce son nom tout bas; on dit: " Vous savez, le Traité de l'Arétin. " Et on s'imagine que ce fameux traité traîne sur les cheminées des maisons de débauche, qu'il est consulté par les vicieux comme le code Napoléon par les magistrats et qu'il révèle de ces choses abominables qui font juger à huis clos certains procès de mœurs. Détrompons quelques-uns de ces naïfs. Pierre l'Arétin fut tout simplement un journaliste, un journaliste italien du XVIe siècle, un grand homme, un admirable sceptique, un prodigieux contempteur de rois, le plus surprenant des aventuriers, qui sut jouer, en maître artiste, de toutes les faiblesses, de tous les vices, de tous les ridicules de l'humanité, un parvenu de génie doué de toutes les qualités natives qui permettent à un être de faire son chemin par tous les moyens, d'obtenir tous les succès, et d'être redouté, loué et respecté à l'égal d'un Dieu, malgré les audaces les plus éhontées. Ce compatriote de Machiavel et des Borgia semble être le type vivant de Panurge qui réunit en lui toutes les bassesses et toutes les ruses, mais qui possède à un tel point l'art d'utiliser ces défauts répugnants qu'il impose le respect et commande l'admiration."
L'Arétin, "le fléau des princes", "le secrétaire de l'univers", "divino", poète, rhéteur, auteur d'une très bonne tragédie (Horace, 1546), de comédies, pamphlétaire, panégyriste, censeur, cynique, anarchiste, sangsue, rat renifleur, vermine, vénal, pourri, qui vend sa plume au plus offrant et traque les secrets d'alcôve et de la confession, débauché mais ami des papes,... Mal connu en France où l'on n'a guère retenu de lui que ses oeuvres de pornographe traduites par Apollinaire, Pietro Aretino, Cette brillante canaille eut plusieurs fois un " contrat " sur le dos, essuya même une tentative d'assassinat, si bien qu'il dut quand même, lui qui n'avait peur de rien, s'enfuir et quitter Rome. Deux ans après sa mort l'ensemble de son œuvre fut définitivement mis à l'index par devinez qui ? Le Saint-Siège bien sûr !
Bon, mais ce n'était pas ce que je cherchais !
Campaña ! Mais où est-ce qu'il a pu trouver ce nom là ?
C'est alors qu'hier, je lançais un appel discret comme un à l'aide à peine déguisé, sans trop y croire d'ailleurs ! Pas question de contacter mon farceur pour qu'il me mette sur la piste ! Il serait trop content !
Je me couchais découragé.
Et ce matin, oh surprise, un mail de Caroline. " Vous voulez peut-être parler de....?"
Mais oui bien sûr ! Mais que suis-je bête ! Ce Campaña, ce n'était pas un peintre ! mais pourquoi j'ai cherché un peintre ? Oh le piège !
On reprend tout, on repart à zéro.