lundi 25 juillet 2005 Hier Avant hier
Le problème de la tabatière, (cf hier)
ou : qu'il est difficile de rester vigilant.
Page dédiée à François Bon, par amitié et complicité, mais aussi pour son bel exemple (de vigilance) dans Baudelaire au supermarché.
Rappel du problème :
Rapidement et sans entrer dans les détails : sur la tabatière conservée au Louvre on trouve six miniatures qui reproduisent le château de la Ferté-Vidame comme il était du temps des Saint-Simon, et les gouaches attribuées à Louis-Nicolas van Blarenberghe, dont deux sont au musée de Boston.
- on n'est pas tout à fait sûr que les miniatures soient de van Blarenberghe, elles pourraient être d'un autre peintre tel que Alexis-Nicolas Pérignon... mais ce n'est pas le problème dont je parle ici.
- Le problème est qu'en regardant bien, la vue Est du château sur le couvercle de la tabatière est symétrique de la vue de la gouache du musée de Boston.
gouache au musée de Boston (1745).................... dessus de la tabatière (1770 ?)
Mes commentaires à chaud étaient les suivants : Louis-Nicolas s'est amusé ou alors a fait une drôle d'erreur : le château sur la tabatière est le symétrique de celui de la gouache : les bâtiments entre la tour carrée à gauche et la première tour (sur la gouache du musée de Boston) se retrouvent à droite (sur la tabatière).
Le château de la Ferté-Vidame sur le couvercle de la tabatière est tout à fait impossible, totalement virtuel, Le reflet du vrai dans une glace.
J'ajoutais que l'explication serait donnée aujourd'hui. La voilà donc.
Honte à Jcb. Ça lui apprendra.
Tout mon raisonnement était basé sur la gouache de Blarenberghe de la vue Est du château

c'est un scan fait sur le très beau et riche livre La Ferté-Vidame, édité par les Amis du Perche en décembre 98, ouvrage collectif écrit par François Dugas du Villard, Michel Lallemand, Gérard Mabille, Georges Poisson et Philippe Siguret, tous compétents,sérieux et spécialistes.
C'est la même image que l'on retrouve sur le beau site qui retrace l'histoire du château, et que l'on trouve quand on fait une recherche images aussi bien sur Google que Yahoo.
Seulement voilà, cette image est fausse.
Première leçon : une erreur est contagieuse, elle se propage partout et on la retrouve donc partout. Internet ne fait qu'accélérer sa propagation et dans le monde entier.
Partout on donne cette image comme gouache de van Blarenberghe, musée de Boston. Et tout le monde la reproduit et l'imprime à l'identique.
Comment peut-on s'apercevoir que cette image est fausse, qu'il y a quelque chose d'impossible dedans ?
Première manière : réfléchir, mais dans ce cas, il faut connaître le sujet, ce qui au départ n'est pas le cas, par définition de celui qui cherche.
Et puis tout le monde ne peut pas habiter à côté de la Ferté-Vidame ni se rendre l'image à la main sur les lieux et réfléchir.
Regardez la reproduction de la gouache telle qu'on la trouve partout : ça saute aux yeux non ?
La ville ne peut pas être à gauche !
Si Louis-Nicolas van Blarenberghe est venu sur place vers 1750 pour peindre le château, soit il était sous hallucinogènes, soit il n'a pu que le peindre comme ça (ci-dessous), ce qui veut dire alors que l'image qui circule et qui est imprimée et reproduite partout est à l'envers !
dans ce cas, la vue du couvercle de la tabatière est bien juste !
>
2ème manière : aller au Musée de Boston pour voir les deux Blarenberghe.
On peut le faire par Internet :
site du musée , moteur de recherche sur la collection...
- 1ère surprise : ils disent ne posséder qu'une seule gouache de Blarenberghe, pas de signalement des autres ni surtout de la 2ème (vue façade Nord) que l'on voit reproduite en couleur aussi partout (cf avant-hier et ci-dessus)
- 2ème surprise : ils ne sont pas sûrs que ce soit de Louis-Nicolas puisqu'ils mettent l'oeuvre sous les deux prénoms (Louis-Nicolas et Henry-Joseph),
- 3ème surprise : ils n'en connaissent pas la date,
- 4ème surprise : le tableau est bien orienté (La Ferté est à droite) et confirme notre raisonnement. Il est donc partout représenté à l'envers.
On apprend aussi comment ces (ou ce ?) tableaux sont arrivés à Boston.
Il s'agit d'un legs fait en 1965 d'un richissime collectionneur né en New York en 1876, qui vint à Paris rafler pas mal de tableaux, et mourut en 1964 à Rhode island. Sa collection qui appartient aujourd'hui au Musée de Boston est l'objet d'un livre catalogue publié en 1991 et qui fait 328 pages !). Ces gouaches furent donc sans doute achetées au début du siècle dernier à Paris. Par où ces gouaches ont-elles transitées pendant le siècle précédent (Louis Nicolas van Blarenberghe est mort le 1er mai 1794 à Fontainebleau) et comment et pourquoi certaines sont-elles perdues (ou dans quel coffre secret dorment-elles )?
On ne le saura peut-être jamais.
Cette histoire nous montre qu'il faut être très méfiant sur ce qu'on voit quand on ne connaît pas l'original. Et pas seulement sur Internet qui une fois de plus montre à quel point la crédibilité de ce qu'on y trouve est faible.
Il est étonnant aussi que sur un livre sérieux ou les crédits photographiques sont répertoriés à la fin, on trouve des documents imprimés à l'envers sans que personne visiblement ne se soit posé de problème(s).
La seule parade reste la vigilance, l'exigence et la rigueur, mais on a vu que le raisonnement permis par la réflexion et la pensée peuvent aussi servir de protection et de remède contre l'erreur.
Des mots grecs puxidos, puxida les latins firent buxida puis buxta qui donna en français boîte.
On appelle les collectionneurs de tabatières des buxidanicophilistes ou buxidanicophiles, tout simplement.