Journal de Nogent le Rotrou
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ma vie dans le Perche
Propos sur la littérature et la peinture.
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" Le mot latin circa, signifiant littéralement environ, est souvent utilisé pour décrire diverses dates (souvent dates de naissance et dates de décès) qui sont incertaines."

Le dernier Bergounioux est sur ma table de la cuisine comme un ovni.
Ce n'est pas à proprement parler un livre au sens habituel du terme. Juste un court texte imprimé en accordéon sur un très beau papier.
Cela tient à la fois du gadget moderne et de l'objet de luxe. Même si le tout est vendu dans une pochette type CD, d'un format légèrement inférieur (11 x 11 cm) qui se met particulièrement bien dans une poche revolver. L'objet est soigné et agréable, caractéristique du choix fait cette maison d'édition de qualité et prometteuse.
Il se replie dans une sorte de couverture-pochette sur les rabats de laquelle figurent deux photos de famille et quelques précisions.
Avec la photo à l'intérieur même du texte et celle de couverture, on a donc quatre photos de la famille de Pierre Bergounioux, pas difficiles à imaginer : les grands parents et le père.

Sur le site de la maison d'édition, Circa 1924, que je connaissais pas, (ayant oublié que remue.net en avait pourtant parlé),
je découvre l'origine du nom et de la date, mais cette dernière me parle.
1924, c'est la seule date du début de siècle qui me concerne, comme étant l'année de naissance de ma mère, et celle aussi, mais j'y pense moins, de mon père.
Bergounioux utilise cette date comme repère : " En 1924, mon père a onze ans, ma mère deux. Il entre au collège à Brive.". Le mien est né le 23 septembre 1924 à Mandres (Eure et Loir). Il a dû aller au Collège à Brezolles.
La photo de l'intérieur me rappelle celle où figure mon grand-père maternel, dont j'ai déjà dit que même ma mère n'est pas sûre de discerner où il est sur la photo, en 1916, avant son départ en Crimée et celle de la couverture me rappelle une photo de mon père (photo ci-contre).
Décidémment, Bergounioux et moi, drôle d'histoire, et toujours le même étonnement et mystère, à quel point son attitude et son écriture tournent et se retournent en moi, me rassurent et me calment, et m'effraient.
Ce texte est typiquement bergounien.
de la Première phrase : à la dernière : Telles sont les sombres images qui se lèvent lorsque je songe à ces années.
Entre les deux, comme d'habitude Bergounioux fait défiler le monde, un monde, où l'on peut que se demander ce que l'on vient y faire, quels y sont sa place et son rôle, même quand son ticket d'entrée y fut donné par des parents sans notre consentement. L'empreinte est indélébile.
On sait que Bergounioux n'a vécu que par l'écriture et la lecture, choisies et décidées (très tôt dans sa vie) en tentative de questionnement, de connaissance et d'appropriation du monde.
Pour qui a lu les Carnets de notes attentivement (par exemple), on sait que la littérature permet une traversée à la recherche de son origine et de son identité mais que le résultat n'est pas satisfaisant ni suffisant.
Mais il est là, issu chez Bergounioux d'un travail lent, pénible, semé d'embûches et de ressassements. Chaque nouveau texte de Pierre Bergounioux, comme celui-ci, n'apporte maintenant qu'une touche, qu'une précision ou retouche (égratignure pour ne pas dire biffure ou rature) de l'Œuvre qui aura demandé toute sa vie à émerger et se tenir debout, comme une Épopée, comme un vaste Essai...
D'ailleurs, toutes ses dernières publications ne sont que reprises ou courts textes, parfois publiés comme déclarations ou sortes d'états des lieux de désastre.
Dans un peu plus d'une centaine de lignes défilent dans ce début de siècle, si souvent décrit comme années folles, une quinzaine de noms (ceux que Pierre Bergounioux retient dès qu'il pense à ce début de siècle). L'ensemble est sombre (comme il le constate dans sa phrase finale) et la folie est d'un autre ordre, celui qui révèle et insère l'individu dans un jeu qui le dépasse, et dont il ne tire pas les ficelles.
Et comment en effet, pourraît-on faire autrement, restropectivement, sachant tout ce que le siècle qui commençait allait réserver comme surprises et horreurs...?
C'est ainsi que sont cités dans ce court texte (dans l'ordre) : Picasso, la théorie de la relativité, l'avion des frères Wright, Freud, Que faire ? de Lénine, Jaurès, Staline, Trotski, Hitler et son Mein Kampf, Rudolf Hess, Mussolini, Matteoti, Kafka et son personnage K., Le Château, La Métamorphose.
Années drôlement folles en effet (mais pas comme elles avaient commencé)...et que Bergounioux ne peut évoquer que sous le regard du père...
Pierre Bergounioux est né en mai 1949, au moitié du siècle. il n'a donc pas connu les années folles. Ce n'est pas la première fois qu'il utilise une photo familiale (on se souvient de Miette) pour remonter le temps à la manière d'un géologue.
Mais comme toujours, on comprend que chacun a une histoire locale, familiale, qui s'inclue dans une histoire régionale, qui elle-même...et qu'on fait partie finalement de l'universel.
Mais voilà, il y a aussi la littérature.
Cela finit Années folles avant le relativement long passage qui termine le livre sur Kafka et K.
"La littérature passe parfois pour un art d'agrément. Ses personnages de papier, leurs carrières pleines de sens, fertiles en rebondissements, accomplies; brillantes, nous délassent des tristesses et des routines de l'existence. Il arrive pourtant qu'elle éclaire, dans l'instant, avec une pénétration sans équivalent, une puissance qui n'est que d'elle, ce qui s'apprête, dans l'ombre, avant de faire intrusion dans le monde réel. À l'instant où les tyrans frappent leur premier coup, Kafka meurt, près de Vienne, miné par la phtisie,..."
Tous ces gens sont morts et pourtant c'est eux que j'entends et qui me disent que je viens de ce champ-là.
Ils ne savaient pas en posant pour la photo, que près d'un siècle plus tard, ils seraient encore là à nous regarder, leur regard et leurs sourires tristes, lancés dans le vide, comme une bouteille dans la mer d'étoiles qui nous entoure.