mardi 27 décembre 2005 dernière page Avant dernière page
Portrait d'Antonietta Gonsalvus,
peint en 1585 par Lavinia Fontana, Musée de Blois. Suite 6 et fin.
La lecture du livre d'Alberto Manguel, le livre d'images comporte un chapitre intitulé " Lavinia Fontana, l'image connivence". (p.113 à 145)

J'y apprends bien sûr beaucoup de choses mais y découvre quelques documents que je n'avais pas trouvés sur Internet.
Il ne s'agit pas de recopier tout ce qu'a écrit Manguel, ce qui n'aurait aucun intérêt pour deux raisons :
1- Son livre dépasse largement l'étude de ce tableau. Il s'attable au problème de l'image au sens large (sculptées dans la pierre, érigées en monuments, photographiées, scannées, numérisées...) et de voir comment et pourquoi l'histoire qu'elles recèlent reste souvent cryptée ou illisible. Mais comme le dit la 4ème de couv : "...solliciter autrement le regard, apprendre à lire ce qu'on voit... exemplaire, généreuse, éminemment féconde, l'approche d'Alberto Manguel, sous le double signe du savoir et du plaisir, invite tout lecteur-spectateur à reprendre l'univers même de la représentation, et peut-être à composer à son tour son propre livre d'images.".
2- Lui-même dit que " la majorité des informations concernant Lavinia Fontana et Tognina Gonsalvus " proviennent de l'étude exhaustive de Véra Fortunati, publiée à Milan en 1994.
Il faut dire qu'il y a pas mal d'ouvrages en effet sur cette femme peintre, qui, on en a vu plusieurs aspects, n'était pas banale du tout.
Celui où Manguel dit avoir tiré tous ses renseignements est le quatrième représenté.(si on clique sur les images vous aurez les références des livres : éditeurs, auteurs, prix...)Il dit que le livre a été édité en 94, et il a donc été réédité en 98 d'après notre référence.
3- Je ne veux rien déflorer de ce livre que doivent lire tous ceux que la démarche de Manguel ou que l'image intéressent . Le sommaire en est plus qu'alléchant et prend comme prétextes ou exemples aussi bien des peintres que des photographes, architectes...
Donc juste quelques détails concernant des points déjà abordés, où je trouve la réponse dans l'essai de Manguel :
a- Le papier que tient à la main la Tognina (Antonietta Gonsalvus).
C'est une lettre d'introduction. Quelques mots sont illisibles,
mais le texte donne cela :
" Des îles Canaries fut apporté
Au seigneur Henri II de France
Don Pietro, l'homme sauvage.
De là, il s'installa à la cour
Du duc de parme, ainsi que moi,
Antonietta, et maintenant je suis
Dans la maison de la signora donna
Isabella Pallavicina, marquise de Soragna."

Ce papier rappelle donc l'histoire de son père et pourquoi sa fille se trouve là dans de si beaux habits de cour.
L'indication de la maison de la marquise de Soragna permet de dater le tableau de vers 1583, date à laquelle la famille gonsalvus quitta Namur( où ils étaient à la cour de Marguerite d'Autriche, régente des Pays-Bas) pour s'installer à Parme (Marguerite d'Autriche était aussi duchesse de Parme).
b- Manguel indique bien que les enfants avaient été déjà peints bien avant, Tognina dès l'âge de 5 ou 6 ans, par un artiste bavarois anonyme... Par contre il indique que Joris Hoefnagel (celui que j'avais appelé l'Arthus Bertrand du Moyen Age, mais aussi peintre, enlumineur, aquarelliste et dessinateur de fleurs, fruits, insectes, bouquets et pas seulement cartographe) a fait leur portrait en 1582, non pas sur nature mais d'après les portraits du château d'Ambras. Il fait des paires : le père et la mère et Tognina et son frère. Il les inclue dans un livre sur les quatre éléments et place cette famille dans l'élément feu, " le plus sauvage des quatre éléments, celui qui, d'après Aristote prête aux humains leur nature irascible ".
c- Manguel parle aussi d'un tableau que je ne connaissais pas qui est celui de la famille complète et que le mélancolique empereur Rodolphe II (qui vivait cloîtré dans son palais de Prague) avait fait exécuter pour son catalogue de curiosités, par Dirk de Quade Van Ravesteyn.(certains ne sont pas d'accord sur cette attribution).
Ce qui est intéressant, c'est l'importance que donne Manguel à la chouette située entre Tognina et son frère.
" Elle et son frère tiennent entre eux une petite chouette apprivoisée (Athene noctua), et c'est l'expression ahurie, un peu vide de la chouette que reflète le visage de Tognina : les mêmes yeux ronds, le même cercle rayonnant de plumes ou de poils brossés vers l'extérieur. Si le portrait d'Ambras la représentait comme un animal sauvage capturé devant sa tanière comme un petit chien savant, l'image du Bestiaire de Rodolphe II nous la montre désormais vivant en captivité, incongrue sur un fond de rideaux verts et de colonnes de marbre, renvoyant son regard au spectateur avec l'expression hébétée d'un animal en cage."(p.123).
Mais Manguel va beaucoup plus loin dans cet essai qui rappelons-le n'est pas sur les Gonsalvus mais Lavinia Fontana. Il aborde avec son érudition habituelle donc buissonnante l'homme au loup de Freud, l'origine du monde de Courbet, la monstruosité par excès et celle par défaut, l'appellation du clitoris, la Belle et la bête etc....
On voit où il veut en venir : "...quelque chose de monstrueux devant quoi ce n'est pas Tognina mais celui qui regarde qui est défini."(p.137)
" Et la peur inspirée par ce visage rappela-t-elle à Lavinia Fontana la crainte que ses pairs ressentaient devant son talent : crainte d'une transgression et de la perte de maîtrise de soi en résultant ?" (p.143)
" Le monstre n'a plus besoin de se cacher, l'être social n'a plus besoin de faire semblant, le côté éclairé et le côté sombre peuvent être assumés ouvertement." (p.145)
Le génie de Lavinia Fontana est certainement là, et d'en avoir fait une démonstration brillante dans sa peinture.
Mais sa vie ne fut pas si facile que je l'ai laissé supposer jusque-là, notamment sa vie familiale avec ses 11 enfants (dont un fils retardé mentalement, une fille aveugle...).
Il paraît qu'il y a un prix à tout.