vendredi 9 décembre 2005 dernière page Avant dernière page
Des sciences ou de la science dans ce journal
ou il n'y a pas deux Ulysse Aldrovandi, mais ils sont nombreux comme lui...
J'ai décidé dès le début de ce journal, de ne pas faire de science ni de ramener ma science dans ce journal. Vu ma formation (Université de Rouen puis Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud, sans laquelle je n'aurais jamais été reçu à l'agrégation de Sciences naturelles, en 1973) et différents postes occupés qui m'ont obligé de me recycler en permanence (Universités et préparation au capes externes, à l'agrégation interne en IUFM...) je suis resté assez pointu (mais cela est en train de s'émousser depuis deux ans) dans certains domaines (essentiellement origine de l'Univers, théorie de l'Évolution, origine de l'homme, neurobiologie et ses médiateurs, douleur et plaisir, génétique...)
La tentation était forte de faire parfois quelques pages qui auraient pu intéresser d'éventuels lecteurs dont ce n'était pas le domaine de départ et qui voulaient comprendre quand même pourquoi tels ou tels sujets revenaient souvent dans l'actualité, où ce que j'aime faire, arriver à expliquer clairement quelque chose de très compliqué. Présenter un sujet d'une manière romanesque, fantastique, policière (il y a à mon avis toujours quelque chose de policier dans une recherche, même si ce n'est pas l'assassin que l'on cherche, mais histoire de la science est pleine de rebondissements et de suspense...).
La tentation est toujours forte quand je vois par ci par là, sur des blogs des erreurs ou des choses mal dites, des confusions, des énoncés qui prêtent à confusion, et qui pourraient être redressés facilement...
J'ai toujours eu beaucoup de plaisir à apprendre ou à expliquer à quelqu'un quelque chose qu'il ne comprenait pas, comprenait mal ou qu'il ne savait pas, comme à chaque fois que j'apprends moi-même ou corrige une représentation que j'avais fausse ou incomplète, j'en tire le premier un grand plaisir. Et c'est aussi une des rares situations où je me sens utile.
C'est ce plaisir-là, personnel certes, mais que j'ai essayé au hasard, en le mettant en ligne comme on jette une bouteille à la mer, de partager, au cas où...un lecteur y trouverait aussi son plaisir, qui est à la base de beaucoup de pages de ce journal : chercher, découvrir, apprendre, comprendre quelque chose jusque-là ignoré par moi-même.
Cela n'empêche pas que j'avais décidé de ne pas parler science dans ce journal.
Peut-être pour bien séparer le journal de mon métier d'enseignant,
Peut-être pour ne pas faire un journal d'enseignant,
Peut-être parce que j'étais en terrain connu et que c'était trop facile pour moi,
Peut-être parce que j'aime tenter le diable, j'aime aller voir ailleurs si j'y suis, être où je ne devrais pas y être, où l'on s'attend que je sois,
Peut-être parce que je reste convaincu que le champ du scientifique est très étroit s'il n'annexe pas le champ de l'Art au sens large, et vice-versa, et que je reste militant là-dessus.(c'est d'ailleurs la seule raison pour laquelle j'ai demandé faire un IDD (Itinéraire De Découverte) avec les élèves de 4ème et leur professeur d'Arts plastiques). Plus le champ est ouvert, plus il est fécondé et plus il féconde aussi les autres, moins on risque de s'enferrer dans sa parcelle, de ne plus voir que le bout de ses pieds, penser et dire n'importe quoi.
Certes on sait que l'homme est fait de poussières d'étoiles, mais ça change tout, quand on sait que ce n'est pas une formule ni une image, ni une lubie de poète, mais que la stricte réalité, que réellement chaque atome qui nous constitue, y compris chaque atome du plastique des touches sur lesquelles je suis en train de frapper pour faire des mots, vient lui aussi d'une étoile, qui plus est, était en train de mourir.
C'est ce que je pensais, en lisant le Monde des livres ce soir en sortant du collège, où Philippe Dagen conseille (avec le livre de Hans Belting, Bosch, le Jardin des délices) comme beaux livres pour les fêtes, Les animaux et les créatures monstrueuses d'Ulisse Aldrovandi dont je parlais mercredi dernier, comme du grand homme de science ayant croisé le chemin d'Antonietta Gonsalvus, peinte par Lavinia Fontana, et l'ayant dessinée aussi dans son livre Histoires de monstres, ( Monstrorum historia cum paralipomenis historiae omnium animalium Bartholomaeus Ambrosinus, publié à Bologne en 1642.) J'indiquais aussi une page où l'on pouvait voir certaines de ces monstruosités. Comme l'article de Dagen peut en faire saliver quelques-uns, je veux aujourd'hui vous donner l'adresse où ce les 949 pages de ce livre sont numérisées. Le plus drôle c'est que le livre dont parle Dagen est en vitrine à Nogent le Rotrou !
Faut-il voir des signes partout ?
Pour ceux qui n'auront pas le courage ou le temps d'aller voir, en voilà quelques planches. Au moins, c'est rare et sans angoisses : libres de droit. Tout y est, les malformations, les exagérations, les inventions, les foetus, le cordon ombilical, l'utérus, les cannibales... Et je ne dévoile pas le reste.
Ce ne sont juste que quelques extraits de planches tirées dans les 400 premières pages des 949 que comptent l'ouvrage. Je dis bien extraits, c'est-à-dire recadrage à l'intérieur des pages imprimées. Manquent donc à chaque fois la composition de l'ensemble de la page, les textes et commentaires, les titres...
Attention :
Il y a des yeux dans les écailles, des femmes dans les arbres, des sexes qui lézardent...
Pour les adorateurs fous d'Ulysse Aldrovandi:
- les 767 pages de De piscibus libri V et de cetis lib. vnus (des poissons comme vous n'en avez jamais vus)
- les 820 pages de De animalibus insectis libri septem (des insectes comme jamais vous n'en avez jamais vus)
- les 465 pages de Serpentum et draconu[m] historiae libri duo, (des dragons et serpents comme vous n'avez jamais osé rêver)
- les 1057 pages de Quadrupedum omniu[m] bisulcoru[m] historia (surprises, surprises à quatre pattes...)
Si vous ne voulez voir que les planches, ouvrez à gauche le dossier Laminas.
Le premier de ces fous qui ont essayé de publier le catalogue et répertoire sinon du monde, au moins de ce qui y vivait est Konrad von MEGENBERG, au milieu du XIV ème siècle.
Il est à l'origine du premier imprimé zoologique illustré, dont on voit à gauche le début du livre sur les animaux terrestres. Il s'agit donc du premier livre scientifique imprimé comportant des représentations d’animaux. " Adaptation allemande de l’encyclopédie de Thomas de Cantimpré (1186-1263), le Buch der Natur introduit ce texte dans la tradition germanique d’histoire naturelle qui aboutira à la publication de l’Hortus sanitatis . On trouve dans ce livre (1475) un style d’illustration proche de celui de l’Hortus sanitatis, traduisant une influence ou peut-être des sources communes. " (fiche tirée du site de l'INHA, Institut National d'Histoire de l'Art)
Donc le premier livre d'images d'animaux imprimé est allemand.
Si on se renseigne un peu on apprend que Konrad von Megenberg n'a fait qu'adapter très librement (en piochant selon ses goûts, et ajoutant ce qui lui plaisait) l'ouvrage d'un dominicain né dans la banlieue de Bruxelles : De natura rerum de Thomas de Cantimpré, dont la bibliothèque municipale de Valenciennes a mis un exemplaire en ligne où on peut apprécier une organisation texte/enluminures en damier (pages 44 à 48) des plus réussies:
Et si on se renseigne sur Thomas de cantimpré, on s'aperçoit que son de natura rerum est à son tour une mauvaise compilation de textes plus anciens et meilleurs, tels que la compilation énorme de Vincent de Beauvais connue sous le nom de Speculum Majus. La deuxième partie de l'ouvrage, Speculum naturale (Miroir de la nature) est la somme des connaissances d'histoire naturelle de son époque. Elle comporte 32 livres et 3718 chapitres !
- Mais à ce rythme là, on n'en finit jamais, tout le monde a piqué tout à tout le monde ...
- Oui, exactement. Ce fut toujours ainsi, et ce sera toujours ainsi... Il n'y a pas de génération spontanée. Chaque oeuvre porte en elle toute l'histoire de ce qui l'a précédé.
- Tu veux dire qu'on ne fait du neuf qu'avec du vieux ?
- On pourrait dire aussi qu'au cours de son ontogenèse, chaque individu reparcourt sa phylogenèse. C'est un vieux débat...
- je ne comprends rien, tu peux expliquer ?
- Non, j'ai décidé que je ferai pas de biologie dans ce journal.
- Allez !
- Bon, peut-être un de ces jours, mais avant, tu dois te renseigner sur un des principes fondamentaux de la science et qu'on appelle le rasoir d'Ockham, et qui d'ailleurs date lui aussi du Moyen Age.
- ?
- pluralitas non est ponenda sine necessitate