Mardi 21 juin 2005 Hier Avant hier
What a bled le jour de la musique !
Cette page est dédiée à Jacques Bon, amateur de pianos et incollable sur le sujet devant l'Èternel et dont j'adore "la petite buvette".
Nogent le Rotrou fut célèbre au début du siècle dernier pour une fabrique de pianos automatiques : les pianos des frères Magnan.
Faut voir les choses en face : qu'est-ce qui peut bien décider deux frères nogentais, Céleste et Camille Magnan, à ouvrir une usine de pianos à Nogent le Rotrou en 1905 quand ils ont 23 et 19 ans et un père, né à la Gaudaine, (je viens d'acheter une maison sur la route de Thiron à la Gaudaine), maître d'hôtel à l'Hôtel de la Boule verte (j'ai oublié dire d'ailleurs que je ne vais plus à la Boule Verte car son patron m'a vraiment mal traité, et comme tout client normal je n'accepte pas qu'on puisse me maltraiter ainsi)

À part peut-être que, puisque tous les cafés, bars, restaurants de l'époque avaient (louaient en fait) un piano automatique qui fonctionnait, une fois la pièce mise dans la fente, avec une manivelle, pourquoi ne pas les fabriquer et les louer aux autres ?
Après un début dans un moulin (le moulin d'À Haut), ils s'installèrent à Margon dans "une usine moderne". Mais la production était diversifiée, ce qui ne va pas déplaire à mon ami Jacques : dans une constitution de la société en 1921, on lit les intentions : " fabrique de pianos automatiques, appareils automatiques et instruments de musique; scierie; fabrication et commerce de caissettes à primeurs, caisses d'emballage, tous travaux concernant l'industrie du bois de toute essence; la vente et l'exploitation de four à chaux..."

Ça se comprend : lors de la guerre de 14, la fabrication des pianos fut suspendue, et l'usine ne fut plus qu'une scierie pour faire des caisses à munitions ! On restait donc dans la musique, mais plus tout à fait la même ! (vous connaissez sans doute la devinette : quelle est la différence entre une guitare et une guitare électrique ? La même qu'entre une chaise et une chaise électrique !)


le 28 novembre de la même année (!) la société était dissoute. Pourquoi ? Pas sûr, mais ils ont peut-être senti que le phonographe allait emporter le marché...
La suite est un mélange d'histoires difficiles à suivre : les deux frangins vendent tout à la SFIMP (Société de Fabrication d'Instruments de Musique Pneumatique) anciennement établissements Limonaires, qui suite à une liquidation judiciaire refilera le bébé à Louis-Joseph Marchand et Marcel Boutet. Mais l'usine nouvelle était acquise par Jules Piano (ça ne s'invente pas !), un des célèbres fabricants niçois dont on dit qu'il est à l'origine de l'expression désignant un souteneur de "Jules" ...
Bref, en 1926, les fondateurs ne fondaient plus que les clous des des cylindres des pianos !
je vous ai dit que c'était compliqué, il faudrait parler des Beldi-Ferré, de la société EDIFO, 80, rue Taitbout à Paris, ancêtre de la SACEM...
bref, tout ferma le 31 décembre 1934.
On trouva gravé sur un piano la trace d'un autre atelier : " pianos automatiques Wattebled et Kemblisky, 13, rue Charronnerie, Nogent le Rotrou "
What a bled ! on ne peut pas l'inventer ! En fait, Wattebled et Kemblisky étaient deux membres du personnel de l'usine Magnan. Comprenne qui pourra !
Sérieux : Wattebled était chargé de la maintenance et des changements de cylindres auprès des cafetiers, et Kemblisky était spécialiste des réglages des mêmes cylindres ! (Il était aussi chef de musique de l'Harmonie Municipale de Nogent le Rotrou !). en tout cas, ils se sont gravés leur nom sur un des pianos!
bref, après 1934, on ne fabriqua plus jamais de pianos automatiques à Nogent le Rotrou.

Je tiens, sur demande, et pour puristes uniquement, la notice de réglage du cylindre interchangeable. Il y a sept commandements. Je veux bien vous en donner deux :

- extrait du commandement no 4 : Baisser la manette du changement des airs et porter la flèche indicatrice sur le No 1. S'assurer avec soin que la dernière rangée de pointes qui se trouve sur le côté droit du cylindre (côté de la portière) prend exactement le dernier marteau du clavier...

- commandemant no 7 : OBSERVATION IMPORTANTE : Lorsque la hauteur du clavier est réglée exactement par l'une des deux vis à tête-anneau , s'assurer que l'autre vis à tête-anneau est bien descendue sur le support, de manière que le clavier ne soit pas supporté, à une de ses extrémités, par une seule vis à tête-anneau, ce qui entraînerait une déformation du clavier.

Sur la 3ème photo on voit les "pointeurs", ceux qui disposaient les pointes sur les rouleaux aux places définies après "la notation du cadran" qui déclanchaient la frappe des marteaux sur les cordes. Chaque cylindre comportait dix airs par exemple : 3 fox trot, 2 valses, 2 javas, 3 one step. L'ordre était déterminé par des raisons techniques : une trop forte densité de clous pouvait nuire au bon fonctionnement du piano mécanique. On voit sur la pub que seuls les pianos buffet offraient 12 airs par cylindre.
Les pianos comportaient de 36 à 70 marteaux. Les cylindres étaient creux et recouverts de bois de peuplier, qui ne comporte pas de noeuds et ne " travaille " pas. Pour chaque air, le cylindre effectuait deux rotations... Tout un art !
la salle d'exposition était située au 24 bis rue de la Herse.
Rappel : ces pianos étaient des machines à sous. Ils étaient agrémentés de cloches et de castagnettes.
Salle des ventes de Chartres récemment : " Beau petit piano mécanique à monnayeur Magnan Frères à Nogent le Rotrou. Meuble art nouveau avec toile peinte 128x82x53cm. Moteur à ressort. Carte des 10 airs. Cadre semi-métallique. Cylindre de 61cm, 29 touches piano, et effets tambour (2 battes), timbre, mandoline. Début XXè s. Bon état général, joue, mais accord et petite révision nécessaires." Il a été vendu 2400 euros.
Je me serais attendu à plus...
L'histoire de cette fabrique et de cette famille est racontée avec un grand nombre de cartes postales d'époque et de documents variés dans l'excellent livre : Les industries percheronnes, de Claude et Gwénaëlle Hamelin, publié par la Fédération des Amis du Perche, dans la collection "Le Perche en cartes postales". C'est de ce livre que j'ai tiré la totalité des illustrations de cette page et la plupart des informations.
Ce qui est le plus étonnant, c'est que dans le site incontournable et très documenté sur les PIANOS MECANIQUES, AUTOMATES ET ORCHESTRIONS, on ne trouve aucune référence aux frères Magnan de Nogent le Rotrou, y compris dans la partie consacrée à Jules Piano, qui pourtant avait acheté "l'usine neuve" des frères Magnan.
Bon, et si on allait à la fête de la musique à Nogent le Rotrou ?
Nogent le Rotrou, pas si célèbre que cela finalement pour ses pianos Magnan frères !
Mais comme met en exergue Jacques Bon sur une de ses pages piano : « Les pianos, c'est comme les chèques, ça ne fait plaisir qu'à ceux qui les touchent ». Érick SATIE.