Samedi 21 mai 2005 Hier Avant hier
La découverte de l'Amérique par Christophe Colomb est un tableau gigantesque que Salvador Dali a commencé de peindre en 1956 et qu'il a fini en 1957.
Il existe une photo prise (par Robert descharnes) à Port Lligat où l'on voit Dali en train d'en travailler un détail, pendant que Gala est assise à côté de lui en train de lui faire la lecture. Cliché idyllique de la vie de couple assez drôle quand on sait la réalité des tortures qu'ils s'amusaient chacun à infliger à l'autre !
Bref, cette charmante scène a été prise le 1er novembre 1959 dans ce qui est aujourd'hui La maison musée située sur la baie de Port Lligat, au nord de Cadaqués, le village où était né le père du peintre et dans lequel il avait passé de longues saisons pendant son enfance et sa jeunesse. Pour ceux qui n'ont pas le temps d'y aller, on peut en faire une visite virtuelle. je vous conseille le panoramique 380° de la salle ovale et de la piscine !
Ce tableau, de 4,10 m sur 2,64 mètres, lui avait été commandé par A. Reynolds Morse, milliardaire américain grand collectionneur de Dali. Gala peut lui faire la lecture et veiller à ce qu'il bosse et que le tableau avance : bonjour les dollars...
Reynolds Morse et sa femme Eleanore avaient commencé à collectionner les oeuvres de Dali dès 1943, année de leur mariage. Ils ne cessèrent d'en accumuler tout au long de leur vie (Reynolds est mort en 2000) pour en faire la 3ème plus grande collection de Dali du monde.
La Collection Morse est aujourd'hui exposée au Salvador Dali Museum in St. Petersburg, Florida, entièrement consacrée aux chefs d'oeuvres du peintre (ou à ses merdes diront ceux qui le détestent).
Petit rappel quand même :
Dali et Gala s'étaient exilés aux Etats Unis en 1940 où ils s'étaient installés en Virginie chez leur amie et collectionneuse la millionnaire Caresse Crosby.
Ses multiples activités, gérées par la main de fer de Gala avaient fait, que contrairement aux autres surréalistes exilés, Dali avait gagné un fric monstre et que le couple Gala-Dali était très riche et vivait dans l'opulence et le luxe... C'est à cette époque que Breton avait lancé le célèbre anagramme Avida Dollar,et que date la rupture avec le groupe surréaliste.
On raconte quant au choix de ce format, que c'était un article d'un critique d'alors (qui disait que la postérité ne s'occuperait que des grandes toiles) qui avait excité Dali et qu'il avait déclaré alors qu'il serait celui qui peindrait le plus de grands tableaux dans l'histoire !
Comme son titre l'indique ce tableau "raconte" à la manière "arithmétique, philosophique, cosmogonique, basée sur la sublimité paranoïaque du chiffre 12 " la découverte de L'Amérique par Christophe Colomb. Ce dernier était contesté et remplacé par certains qui lui préférait un catalan comme découvreur, mais aussi porteur de la bonne parole.
Dali, catalan lui-même, s'est donc frotté les mains de peindre, en guise de Christophe Colomb, un jeune éphèbe catalan, drapé à la classique, plutôt qu'un marin italien la quarante bien tassée.
L'Amérique devenait ainsi une jeune nation symbolique avec tout l'entrain et l'avenir devant elle... de ce beau jeune homme.
Ce tableau n'ayant rien d'historique ou de vraisemblable quant au véritable évènement, Dali, à cette époque très intéressé au mysticisme romain catholique, en avait même profité pour transformer Colomb comme apportant la Christianité et la vraie parole à ce Nouveau Monde.(En mai 1959 Dali va même jusqu'à rencontrer le pape jean XXIII au Vatican).
D'où la bannière avec Gala en Vierge Marie (c'est pas mal quand on pense à quelle femme elle était, je parle de Gala, tout sauf vierge) comme il l'a représenté d'ailleurs assez souvent à cette époque (une bonne dizaine de fois). Indiquons quand même que certains commentateurs préfèrent voir en elle Sainte Hélène.
Mais que Gala soit là se comprend quand à son importance et son rôle dans la propre histoire de Dali. Gala ma muse, ma femme (mon épouse), ma maîtresse, ma banquière, mon moteur... "Gala, c'est mon Amérique à moi..." aurait-il pu chanter...
Et n'oublions pas que celle elle qui lui l'emmène et lui fait découvrir l'Amérique en 1940, et trouve leur hébergement chez une copine friquée... Gala qui m'a fait repérer et fait connaître en Amérique...donc reconnaître dans le monde entier par la suite...
Dali se représente lui-même sous la forme d'un moine agenouillé, élevant au-dessus de lui un crucifix (qui ressemble au Christ Saint Jean de la croix).
Ce tableau se veut aussi, peint en 1958 et 59, un hommage et une commémoration du tricentenaire de la mort de Diego Vélasquez (mort le 6 août 1660), un des grands classiques vénéré par Dali, (et dont la moustache même selon ses dires est inspirée par Vélasquez), et qui l'a inspiré dans de nombreux autres tableaux (les Ménines...). La découverte de l'Amérique contient de nombreuses références à Vélasquez mais avant tout à son tableau La reddition de Breda peinte en 1634-35, et qui donna une renommée mondiale à son auteur.
Les références à Vélasquez sont nombreuses, mais saute aux yeux avant tout la structure droite du tableau strié par les lances, et accentue chez Dali la verticalité du tableau (alors que chez Vélasquez elle est rompue et contrebalancée en bas par cet incroyable cheval qui est en mouvement et en train de se retourner (position de sa patte arrière droite).

Les lances chez Dali se terminent par des croix, qu'elles soient celle de la crucifixion, soit cette des armes (côté militantisme catholique du tableau déjà signalé), soit celle des bannières aux célèbres bandes rouge et jaune de la Catalogne.
Cette verticalité des lances prise chez Vélasquez lui permet, en les reprenant des dizaines de fois, de faire émerger d'une sorte d' hologramme son célèbre tableau Christ Saint Jean de la croix peint 7 ans plus tôt en 1851.
Dans le coin gauche en bas, la crosse de l'évêque et toutes ces petites croix qui sont autant d'insectes volant en essaim, seraient un rappel de San Narciso, évêque et martyr catalan.
En effet, une légende catalane raconte qu'en 1285, quand des troupes étrangères envahirent la ville de Gérone où San Narcisse est enterré, il sortit de son tombeau des essaims de mouches, taons et autres bestioles volantes qui attaquèrent les soldats envahisseurs qui furent décimés par leurs piqûres et durent s'enfuir affolés devant les diptères voraces qui sortaient du saint cadavre.
Une fois de plus Dali militerait donc pour la Catalogne en glorifiant sa force de résistance et son combat pour son indépendance.
La croix dont on voit la taille diminuer progressivement jusqu'à se faire insecte est donc l'arme défensive redoutable, essaim défensif de la foi et du catholicisme.
On connaît depuis enfant, Dalí la fascination de Dali pour les insectes. Le monde des mouches, des abeilles et d'autres invertébrés sont un sujet primordial ou élément inquiétant nombreuses oeuvres, de tableaux, dessins, sculptures, bijoux de Dali.
On se rappelle que dans le "Journal d'un Génie", Dalí parle des mouches, comme étant "les muses de la Méditerranée" et rappelle qu'elles donnaient l'inspiration aux philosophes grecs qui passaient les heures mortes renversés au soleil, couverts de mouches.
Mais l'élément le plus énigmatique de toute la peinture est cet espèce de gros oursin en bas et au milieu. On reconnaît le test (carapace faite de cinq pièces calcaires soudées ère qui porte les piquants) bien connu d'un échinoderme.
Quand les Morse (mais non, pas les bestioles, rappelez-vous, c'est le nom des amis, milliardaires, commanditaires et propriétaires du tableau) ont demandé à Dali pourquoi il avait peint cet oursin (je le rappelle en 1958 et 59), il leur avait répondu une réponse comme on les aime : " Vous en comprendrez la signification plus tard"!
En 1971, Eleanor Morse annonce que l'oursin de Dali représentait la Lune et qu'il symbolisait la marche d'Armstrong sur la Lune (21juillet 1969, 3h56 heure française). À travers ce symbole Dali faisait un parallèle entre les premiers pas d'un homme sur la Lune en 1969 (et qu'il pouvait facilement imaginer dix ans plus tôt) et les premiers pas de Christophe Colomb en Amérique en 1492, tous deux découvreurs d'un "Nouveau Monde".
Christophe Colomb en jeune catalan est multiplié et s'enfonce progressivement dans l'eau. Il en est de même pour la foret de lances et pour la légende de San Narciso...
C'est ce qui m'impressionne le plus dans ce tableau.
il n'est finalement n'est qu'une vaste mer, où tout s'enfonce progressivement et s'engloutit jusqu'à ce qu'il n'en reste rien, sinon ce point blanc au centre exact du tableau, comme un point de fuite (qu'il n'est pas là) par définition récolteur d'infini, au centre de la croix de la deuxième voile la Pinta (Que Dali a eu raison de représenter, seule caravelle a avoir deux voiles carrées, la première à avoir aperçu le Nouveau Monde, la première à rentrer en Espagne).