vendredi 23 décembre 2005 dernière page Avant dernière page
Voyage à Montpellier. 2 (journée du mercredi 21 décembre) .
Après une nuit excessive, j'oblige Christian à nous sortir de la ville. J'ai besoin de ciel bleu, de froid, et je veux marcher un peu.
Il sort de son garage son antique chose de 1975, une Triumph Spitfire, dans laquelle j'ai un mal fou à entrer, et décide de m'emmener voir la cathédrale de Maguelonne.
J'ai le choix : images ? texte ? ou musique ?
Musique : tu n'en parles jamais comme m'a dit Martine B. !
Brahms : « Magelone » opus 33, n° 12. Muss es eine Trennung geben...
maestro : partition !
« L'histoire de la belle Maguelonne et du Comte Pierre de Provence prend sa source littéraire dans un poème écrit à la fin du XIIe siècle par Bernard de Trèves, chanoine de Maguelonne, [...] une des plus belles cathédrales de l'école romane provençale dans le Bas-Languedoc, non loin de Montpellier [...]. C'est le type même de l'église forteresse à l'aspect sévère. [...] » Tieck adapta en allemand le poème, et « introduisit dix-sept chansons qui intervenaient ici comme des illustrations d'épisodes psychologiques particulièrement significatifs et particulièrement favorables à la poésie. Ce sont ces chants, ou plutôt ces Romances que Brahms va mettre en musique. » (Claude Rostand). Brahms dédicace l'oeuvre, composée de quinze pièces, à un célèbre Baryton, Julius Stockhausen.
La traduction de l'incipit est :
Pourquoi faut-il que nous soyons séparés...
Pierre croupit dans les goêles du Sultan de Babylone et pense à Maguelonne et chante sa désolation et sa tristesse...
(manuscrit, Société des amis de la musique, Vienne)
Courbet avait peint la lagune à cet endroit en 1858 (Vue de la Méditerranée à Maguelonne, 92 x 135 cm Van Gogh Museum, Amsterdam )
mais on n'y voit pas la cité épiscopale du Moyen-Âge, ni son étonnante cathédrale forteresse qui hébergea les évêques jusqu'au transfert du siège épiscopal à Montpellier en 1536 (même s'ils continuèrent d'être enterrés là jusqu'en 1602).
À l'intérieur, le silence de la pierre, l'austérité des milliers de prières faites, la solennité des gisants, des paroles gravées en latin.
Un des rares moments de l'année où, qui plus est pourrais-je souligner, il n'y a personne.
Pas de touristes en shorts et en claquettes, pas de japonais numérisés jusqu'aux oreilles.
Dans le transept quatre dalles d'évêques, en marbre blanc, avec le défunt sur un lit de parade, continuent leur sereine retraite :
Antoine de Subjet, surnommé le bon pasteur, mains croisées longue barbe,
Izarn Barrière, célèbre pour avoir réorganisé l'Université, niche d'architecture Renaissance,
Jean de Bonald, élégante dalle de marbre, simplement gravée, au dessin très pur, lettré et humaniste, a légué sa bibliothèque au chapitre,
Guitard de Ratte, dernier évêque enseveli dans la cathédrale. Le plus lourd et réaliste, avec s'il vous plaît un coussin sous la tête et un coussin sous les pieds, qui traduisent selon les spécialistes, l' "épuisement de la formule".
Combien sont reposants les gisants !
L'entrée de la forteresse est un montage de marbres de diverses couleurs et de diverses époques. Bas reliefs, linteau aux vers latins, datés (1178) et signés de Bernard de Tréviers.
Le Christ en majesté tient le Livre de la Vie. les quatre animaux tirés de la vision de l'Apocalypse tiennent de longs phylactères représentants les textes évangéliques : l'ange (Saint Mathieu), l'aigle (St-Jean), le lion (Saint-Marc), le boeuf (Saint-Luc).
le tout frangé d'une bordure de nuage d'une subtilité surprenante.
A ce havre de vie, venez, vous qui avez soif.
En franchissant ces portes, corrigez vos moeurs
Toi qui entres ici, pleures toujours tes fautes,
Quel que soit ton péché, il est lavé par une fontaine de larmes.
Nous ressortons de là lavés et frais, calmes et apaisés.
On emporte une caisse de Chardonnay du vignoble qui entoure la cathédrale.
Il ne nous en fallait pas moins pour retourner vers la côte défigurée, juste en face,
pour quitter le défi et l'audace des bâtisseurs romans, l'art de la pierre du XIIème siècle et passer à l'invasion du béton d'aujourd'hui, de la laideur et du mauvais goût.
C'est ici qu'il faudrait écrire :
Toi qui entres ici, pleures toujours tes fautes
Heureusement que l'après-midi nous pourrons passer un long moment sur la plage (presque) déserte, dans le vent des souvenirs et des secrets partagés, en essayant d'oublier l'horizon.
Christian me dit : mais non, ne regarde pas par là, mais par là : en face, c'est l'Algérie.