samedi 26 novembre 2005 dernière page Avant dernière page
Un samedi qui me dit...
Dans la nuit émission de Pivot (Double je, la dernière puisqu'il a décidé d'arrêter) avec trois écrivains qui se sont installés en France à la campagne : Alberto Manguel dans son ancien presbytère du Poitou, Amin Maalouf à l'île d'Yeu, Kenneth White dans sa maison des Côtes-d'Armor.
Bien sûr content de voir leurs bibliothèques. Une manière de me donner du courage et des idées pour la mienne que je dois installer à Thiron.
Raccourci, parce qu'au fond, j'ai cherché et acheté cet endroit, pour rassembler tous mes livres éparpillés, et accumulés depuis l'âge de 14 ans, mais aussi à cause de l'espoir, que je sais vain aujourd'hui, de revivre une vie de famille.
Puis un long film sur Andy Warhol, sainement démystifiant, et qui insistait sur son mal de vivre, sa peur et son obsession de la mort, combien il se plaignait à la fin de ne plus être amoureux, du vide qui l'emplissait... de la difficulté de se " remplir ", de vivre " vide " "... de quoi me rassurer en quelque sorte de ne pas être anormal...
Paradoxalement, me donnant une certaine énergie et envie de vivre.
Et puis, et puis, Pendant que j'étais sur le marché, la neige s'est mise à tomber !
L'année dernière, les premiers flocons étaient tombés le 24 janvier, mais la première neige qui avait tout blanchi n'était arrivée que le 21 février ! (une des premières pages sonorisées du journal à laquelle j'avais donné le titre de : "Il suffisait peut-être d'en parler pour qu'elle vienne...")
Je regarde ma cour intérieure blanchir. Calme et serein.
Un coup de téléphone de mes filles m'informe, qu'au même instant, elles sont en train de faire un bonhomme de neige, dans leur cour à elles, à Villeparisis. J'ai en tête, et le revois comme s'il était là, celui qu'elles avaient fait ici l'année dernière, le dernier week-end de février.
Cet éternel recommencement, mais qui n'en est pas un vraiment, puisqu'à chaque étape se rajoute une couche...Cette vie qui se sédimente au fil du temps...
mais aussi le plaisir du froid et du silence liés à la neige.
J'aime le froid qui me réveille , m'avive, nettoie mes pensées. Je déteste le chaud contre lequel je ne sais lutter et me rend apathique et aussi dégoulinant que deliquescent.
Né à Suresnes par hasard, mais d'origine bretonne, cette fascination et cette excitation que me donne la neige, n'a à mon sens, pour explication, que le fait que ma première grande et forte excitation amoureuse, pour ne pas prononcer le mot de passion, se déroula dans un paysage de neige. À Saint Lary, en janvier 1967.
Peut-être qu'à chaque fois qu'il neige, le souvenir de cette amour-là, reprend possession de tout mon être, et refait couler en moi ce torrent au nom de Neste d'Or.
Et puis, sur le marché, il y avait encore et encore ces peintures, qui à chaque fois, comme les canevas de Brou, me ramènent au tableau que je connais depuis plus de 40 ans, accroché chez ma mère.
Quand je me suis approché pour les photographier, le type s'est rué qur moi, inquiet et entreprenant pour m'en vendre un. Mais j'ai balbutié que cela avait rapport avec des souvenirs d'enfance...et que je n'en voulais pas.
Cela signifiait, j'ai bien vu son regard, que je ne pouvais plus les photographier...
J'aimais ces tableaux. Ils ont été, à Montigny sur Avre, Bérou la Mulotière, Rueil la Gadelière, Verneuil sur Avre, mon seul imaginaire, les seuls échappatoires à ces cours de récréations vides et désertes après 4 heures et où il ne me restait plus qu'à observer les chardonnerets dans les tilleuls.
Bon dieu, j'ai fait cent fois le tour de ce lac, j'ai rêvé cent fois escalader ces montagnes enneigées, j'ai imaginé mille fois que la barque viendrait me chercher.
Je sais aujourd'hui que ce pays n'existe pas, que , comme disait Léonard de Vinci, " Je croyais apprendre à vivre, alors que j'apprenais à mourir."
J'imaginais dormir dans cette maison, je pensais qu'Elle y viendrait aussi, que nous y vivrions de pèche et de fruits sauvages et de lectures enchanteresses, comme des petits Thoreaux inconnus !
" Et la Mère, fermant le livre du devoir,
S'en allait satisfaite et très fière, sans voir,
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences,
L'âme de son enfant livrée aux répugnances. "