Dimanche 26 juin 2005 Hier Avant hier
Les deux frangins Holbein.
Suite aux problèmes (pour ne pas parler du cauchemar) posés par les portraits de Rabelais, j'ai décidé de m'offrir, entre autres, une miniature de Holbein.
Mais attention à l'homonymie Hans Holbein.
Les Holbein, c'est un vrai jeu de sept familles. Ils sont nombreux...et tous peintres !
il y a Hans Holbein " le vieux " (le père) qui est né à Augsbourg vers 1465 et qui mort en 1524. On ne connaît pas bien son tout début sauf qu'il fut rapidement peintre ainsi que son frère (Sigmund) (première génération de frangins donc).
Il eut deux fils : Ambrosius et Hans, qui furent peintres tous les deux et firent leur apprentissage dans l'atelier du père.(deuxième génération de frères, celle dont je veux parler aujourd'hui)

En bon père Hans le vieux fit un portrait de ses deux fils, sans doute sur une page d'un carnet d'études, daté de 1511, et qu'on peut voir au Staatliche Museen de Berlin.
Attention, c'était déjà pas grand : 10.3 x 15.5 cm. Il a écrit au-dessus : "Prosy" et "Hanns", et Holbain est écrit avec un a (?) On voit que Ambrosius (à gauche)était plus âgé (3-4 ans) que Hans (à droite).

Ambrosius , né en 1494, mourut à 24-25 ans vers 1519. Peintre et illustrateur de livres, il n'eut pas le temps d'atteindre sa maturité artistique, mais il fut important car c'est lui qui emmena son frère Hans à Bâle, vers 1514, (ils ont 20 ans et 17 ans), ce qui leur permit donc de s'émanciper de la famille.
Il reste de lui quelques portraits et gravures sur bois, et entre autre une fascinante peinture, pancarte publicitaire, sur un panneau de bois de pin de 55,5 cm sur 65,7 avec même texte et image recto/verso (des deux côtés), pour un maître d'école, Myconius, qui proposait ses services pour apprendre à lire et écrire avec une offre alléchante :
les cours sont ouverts aussi bien aux bourgeois, qu'aux artisans, hommes ou femmes, bonnes ou enfants. Dans le cas ou certains, malgré leurs efforts ou leur lenteur à apprendre, n'y arriveraient pas, ils n'auraient pas à payer !
1- Cette enseigne a été faite en 1516, quand les deux frères étaient partis s'installer à Bâle, et qu'ils devaient donc maintenant se débrouiller seuls, sans l'aide du père. Ils devaient donc trouver des commandes pour survivre, et j'imagine que cette enseigne en fut une.

2- Il semblerait de plus qu'Ambrosius ait fait un côté et son frère Hans l'autre côté.

3- Je réfléchis et j'imagine.

Ambrosius a 22 ans, c'est le " grand frère ", et Hans a 19 ans, c'est le " petit frère". J'imagine donc qu'Ambrosius a du commencer le premier et s'appliquer. Il peint le texte en entier, et le date. Il fait en dessous l'image qui illustre "gentiment" le texte. On voit le maître avec un jeune qui essaie de lire sur un pupitre (avec quand même l'aide d'une badine/cravache/baguette dans le dos !)(en fait, je vois plutôt un faisceau de petites badines), pendant que deux autres sur un banc s'entraînent, et qu'au fond, une bonne bourgeoise fait de même avec sa petite chérie sur les genoux. Quand il a fini, il demande à son petit frère de faire la même chose que lui de l'autre côté.

Hans a 19 ans, ça l'énerve que son frère lui donne toujours des trucs pas drôle à peindre, lui fasse finir ses boulots, lui fasse peindre ce qui l'ennuie...
Pas content, il commence à repeindre le texte de son frère. Pour s'affirmer, et se démarquer de lui (en lui donnant une leçon), il décide de dater en chiffres romains et de faire même une faute en omettant le D et c'est en souriant intérieurement qu'il peint M CCCCC XVI (au lieu de MDXVI) (convertisseur chiffres arabes-romains).
Il se marre d'imaginer la tête que l'autre va faire et se prépare à lui répondre : " si t'es pas content, tu n'avais qu'à le faire toi-même... ". Quand au commanditaire, (ça la fout mal qu'il y ait des fautes sur son annonce, pour quelqu'un qui veut apprendre à lire et écrire) ça lui fera les pieds aussi. Et puis le père Myconius, c'est un vieux bonhomme à la retraite, il n'a pas intérêt à gueuler, car il travaille au noir, et puis il est tellement radin, que ça trouve il ne va pas encore payer tout d'un coup... Alors...
Hans est content de lui, il commence à être de bonne humeur. Il lui reste la peinture à faire. Pas question qu'il refasse celle de son frère.
Alors il a une idée de génie : il va faire un truc super sérieux et à la limite effrayant, ce qui devrait repousser les éventuels clients du père Myconius. Mais de toute façon, il tellement con, qu'il ne s'en apercevra peut-être même pas.
Il garde la même pièce, le même décor (s'amusant au passage à changer de côté la petite fenêtre en bas de la fenêtre de gauche, et de garder le faisceau de badines à portée de la main). Il prend deux adultes qui essaient d'apprendre. Leur taille dans l'image est grande, l'échelle des personnages est différente de celle de l'autre côté. (inconscient de Hans ? rivalité avec son frère : je suis d'un autre gabarit, d'une autre échelle que toi...)
La scène est dense : position raidie des apprenants, presque debout, regard tendu presque anxieux du maître, tension forte avec celui qui le regarde, le doigt accusateur, ombres étirées.
Leçon de lecture à des gamins chez Ambrosius, leçon d'écriture à des adultes chez Hans.
La porte de la connaissance est énorme et lourde à ouvrir !
Content du bon tour joué à son frère et au vieux Myconius, Hans Holbein Le Jeune posa l'enseigne dans un coin de l'atelier, enfila son vieux paletot, et quitta l'atelier en vitesse avant que son grand frère ne rentre de son tour en ville. Il préférait ne pas être là quand l'orage éclaterait.

Hans Holbein Le Jeune aura une vie plus longue que son frère et quand il mourra de la peste à l'âge de 46 ans il laissera une oeuvre importante et d'une qualité exceptionnelle.

C'est de lui que j'imagine depuis jeudi une miniature représentant Rabelais.
Ce midi j'ai déjeuné à Verneuil sur Avre avec ma mère ... et mon grand frère Jacky.