Lundi 27 juin 2005 Hier Avant hier
C'est quoi une miniature ?
ou : comment faire un tour de littérature en miniature.

Pour la plupart des gens, qui dit miniature dit simplement quelque chose de petit, voire très petit, pouvant aller des petites voitures (modèles réduits) jusqu'aux soldats de plombs, avec comme enjeu de faire le plus précis bien qu'étant très petit. Une espèce de jeu lié à une performance. Après ça donne des objets qu'on met dans des vitrines...Si on parle portrait, on pense à des espèces de médaillons, comme on en fait encore, sortes de petites boites où on met la photo de sa chérie, de son enfant ou de son grand-père, et dans lesquelles on met des fois des mèches de cheveux... D'ailleurs, cette image n'est pas fausse : c'est la photo qui a "tué" la miniature et cette peinture du portrait dont l'apogée va du XVIè siècle au XIX ème siècles. Vers 1900, quelques fanatiques mettaient des fortunes pour en acheter... avant qu'elles tombent un pu dans l'oubli.
L'histoire des miniatures est assez compliquée et très intéressante. (belle histoire du portrait en miniature par Adrian Darmon)
L'origine du mot n'est pas si simple et donne sujet à discussions et résultats variés.
- Pour certains, il dériverait de minium qui désignait la couleur rouge utilisée pour enluminer les manuscrits. Toutefois, cette assertion semble plutôt fantaisiste parce que le rouge n'était pas la couleur la plus utilisée pour les enluminures.
- Ce n'est pas complètement ridicule car il semble difficile de ne pas relier les miniatures aux enluminures. D'ailleurs en anglais enlumineur se dit limner. Un des "successeurs" de Hans Holbein Le Jeune dans le portrait miniature, Nicholas Hilliard, intitule en 1600 son livre l'Art de la miniature, The Art ou Limning. On pense tous, quand on pense enluminures à des petites peintures dans les marges des livres...
- Une autre origine est crédible avec le latin minus,plus petit, minoré...
La définition du Dictionnaire de l'Académie récapitule un peu tout et vise l'exhaustivité.
(1)MINIATURE n. f. XVIIe siècle. Emprunté de l'italien miniatura, de même sens.
1. Au Moyen Âge, grande lettre initiale, ornée et historiée, tracée à l'origine en rouge avec du minium, et formant l'en-tête des chapitres d'un manuscrit. Désigne plus couramment une peinture de petites dimensions illustrant les manuscrits anciens, notamment les livres liturgiques (on dit aussi Enluminure). Manuscrit à miniatures. Les miniatures d'un missel, d'un psautier. Les miniatures de Jean Fouquet, de Jean Pucelle.
2. Par ext. Peinture de petits sujets, d'une facture délicate, qui se fait sur vélin, ivoire ou porcelaine, avec des couleurs très fines délayées à l'eau gommée et appliquées à petits points ou à petits traits. L'art de la miniature. Peintre en miniatures. Portrait en miniature. Par méton. Œuvre de petites dimensions exécutée selon ce procédé. Miniatures persanes. Une miniature de Holbein, d'Isabey. Au XVIIIe siècle, on décorait de miniatures des tabatières, des boîtes, des écrins.
3. Ouvrage, objet de petite dimension. Loc. En miniature, en réduction, à échelle réduite. Le Hameau de Marie-Antoinette est une ferme en miniature. En apposition. Train miniature, modèle réduit. Des autos miniature ou miniatures. Golf miniature.
Dans le portail si incroyable du laboratoire ATILF (Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française),en tapant le mot miniature (pour les incrédules : faites-le) on voit qu'il a eu beaucoup de succès dans notre littérature, et que tous ses sens ont été utilisés.
A. Lettre ornée, tracée à l'origine au minium, formant l'en-tête des chapitres d'un manuscrit, d'un missel.
" Les lettrines, les initiales ornées tirées en rouge ou en toute autre couleur sont le seul vestige des anciennes lettres ornées (...) qu'on appelait miniatures et qui rehaussaient l'éclat des manuscrits "
(E. Leclerc, Nouv. manuel typogr., 1932, p.234).

(Initiale P, début de l'Épître aux Galates, Épîtres de saint Paul XIe siècle Evreux, Bibl. mun.)
B. Peinture de petites dimensions qui illustre les manuscrits et les missels. Manuscrit à miniatures
" Les miniatures du Missel de saint Louis et des Miracles de la Sainte Vierge, par Gautier de Coinsy, qu'on voit à la Bibliothèque royale, montrent ce que pouvait déjà produire l'inspiration chrétienne "
Montalembert, Ste Élisabeth, 1836,
(Missel à l'usage de la Sainte-Chapelle Paris, BnF, dép. des Manuscrits.)
" Ces livres, il en raffolait, les emportait, partout, avec lui, dans ses voyages; il s'était attaché un peintre nommé Thomas qui les enluminait de lettres ornées et de miniatures, tandis que lui-même peignait des émaux qu'un spécialiste, découvert à grand'peine, enchâssait dans les plats orfévris de ses reliures."
Huysmans, Là-bas, t.1, 1891, p.76.

(Les plats de reliure ornaient les livres liturgiques. Ils se composent d'une plaque centrale rectangulaire émaillée, entourée d'un bandeau en biseau le plus souvent en métal repoussé, puis d'un encadrement formé de plaques émaillées ajustées les unes aux autres).
On voit à gauche un plat de reliure célèbre qui est au musée municipal de L'Evêché à Limoges. (Il s'agit d'un Christ en majesté, qui date du XIIIe siècle).
C. Genre de peinture de petites dimensions faite de couleurs fines et servant d'illustration ou de petit tableau.

" Mme de Mirbel est ce qu'elle a toujours été; ses portraits sont parfaitement bien exécutés, et Madame de Mirbel a le grand mérite d'avoir apporté la première, dans le genre si ingrat de la miniature, les intentions viriles de la peinture sérieuse " Baudelaire, Salon, 1845.

Madame de Mirbel, de son vrai nom Lizinka-Aimée-Zoé Rue, née à Cherbourg (fille d'un contrôleur de la marine) " monta " à 18 ans chez son oncle (le général Monthion) qui lui donna une brillante éducation. Elle épousa en 1823 un de Mirbel, professeur au Jardin des Plantes. Elle apprit chez le peintre Augustin la miniature et obtint dans ce genre un grand succès en dépassant largement son maître. Elle s'y fit remarquer en lui donnant la vigueur de l'huile et en abandonnant le pointillé jusqu'alors en usage, un modelé fini et une couleur très brillante.)
Cette miniature (portrait de James Fenimore Cooper) mesure une dizaine de centimètres (et entre nous, je ne la trouve pas terrible par rapport à celles de Hans Holbein le Jeune !)
Mais en me renseignant sur elle, étonné que Baudelaire écrive dessus, (mais on le reconnaît bien dans ce commentaire quelque peu macho avec "les intentions viriles de la peinture"...) j'eus la surprise de découvrir que dans une scène cruciale et qui commence comme une scène fantastique d'Eugénie Grandet, Balzac avait utilisé une certaine boite à double fond et les miniatures de madame de Mirbel !:

- Que voulez-vous? dit-elle effrayée.
- Ecoutez, ma chère cousine, j'ai là... Il s'interrompit pour montrer sur la commode une caisse carrée enveloppée d'un surtout de cuir.
- Là, voyez-vous, une chose qui m'est aussi précieuse que la vie. Cette boîte est un présent de ma mère. Depuis ce matin je pensais que, si elle pouvait sortir de sa tombe, elle vendrait elle-même l'or que sa tendresse lui a fait prodiguer dans ce nécessaire; mais, accomplie par moi, cette action me paraîtrait un sacrilège. Eugénie serra convulsivement la main de son cousin en entendant ces derniers mots.
- Non, reprit-il après une légère pause, pendant laquelle tous deux ils se jetèrent un regard humide, non, je ne veux ni le détruire, ni le risquer dans mes voyages. Chère Eugénie, vous en serez dépositaire. Jamais ami n'aura confié quelque chose de plus sacré à son ami. Soyez-en juge. Il alla prendre la boîte, la sortit du fourreau, l'ouvrit et montra tristement à sa cousine émerveillée un nécessaire où le travail donnait à l'or un prix bien supérieur à celui de son poids.
-. Ce que vous admirez n'est rien, dit-il en poussant un ressort qui fit partir un double fond. Voilà ce qui, pour moi, vaut la terre entière. Il tira deux portraits, deux chefs-d'oeuvre de madame de Mirbel, richement entourés de perles.
- Oh!. la belle personne, n'est-ce pas cette dame à qui vous écriv...
- Non, dit-il, en souriant. Cette femme est ma mère, et voici mon père, qui sont votre tante et votre oncle. Eugénie, je devrais vous supplier à genoux de me garder ce trésor. Si je périssais en perdant votre petite fortune, cet or vous dédommagerait; et, à vous seule, je puis laisser les deux portraits, vous êtes digne de les conserver; mais détruisez-les, afin qu'après vous ils n'aillent pas en d'autres mains... Eugénie se taisait.
- Eh bien! oui, n'est-ce pas? ajouta-t-il avec grâce.
En entendant les mots qu'elle venait de dire à son cousin, elle lui jeta son premier regard de femme aimante, un de ces regards où il y a presque autant de coquetterie que de profondeur; il lui prit la main et la baisa."
j'étais bien sûr aux anges ! mais je n'étais pas au bout de mes surprises : Balzac n'a rien inventé ! La dame avait vraiment fait de telles boites en or à double fond ! On imagine le prix que ça pouvait coûter !
La boite (or et d'ivoire, datée de 1815) qui est au Metropolitan Museum of Art, est officiellement une tabatière (tabac à priser).

Toute petite (7.9 x 6.4 cm), c'est une boite cachottière car elle contient trois médaillons, que l'on peut par un mécanisme interne cacher et interchanger : une miniature représentant Marie-louise (signée Jean-Baptiste Isabey), une autre le Roi de Rome (signé aussi Isabey) et la dernière représentant Napoléon (signée M par madame de Mirbel)
Stendhal dans Amour, 1822, se montre aussi quelque peu macho, et contribue à l'image peu sérieuse des miniatures en les réduisant à un passe-temps de jeunes filles :
" Le plaisant de l'éducation actuelle, c'est qu'on n'apprend rien aux jeunes filles, qu'elles ne doivent oublier bien vite, dès qu'elles seront mariées. Il faut quatre heures par jour pendant six ans, pour bien jouer de la harpe; pour bien peindre la miniature ou l'aquarelle, il faut la moitié de ce temps."

Martin du Gard, dans les Thibault, Été 14, 1936, les ramène carrément au statut de bibelots :
" Il n'avait pas besoin de soulever la toile qui la couvrait aujourd'hui pour revoir les bonbonnières, les éventails, les miniatures, tous ces bibelots qu'il avait contemplés, ce jour-là, par contenance, et qu'il avait retrouvés fidèlement à la même place, des années de suite."

D. P. anal. Reproduction en réduction (avec parfois une coloration affective). " Je vous demanderai votre protection un de ces matins, pour me présenter chez cette jolie miniature de femme "Mérimée, Lettres Grasset, 1830.

Gaston Bachelard, Poét. espace, 1957 :
" Ces élans linguistiques qui sortent de la ligne ordinaire du langage pragmatique sont des miniatures de l'élan vital. Un micro-bergsonisme qui abandonnerait les thèses du langage-instrument pour adapter la thèse du langage-réalité trouverait dans la poésie bien des documents sur la vie tout actuelle du langage."

(portrait par Asger Jorn, 1960.)
Bref, quand j'imagine un portrait de Rabelais, comme une miniature de Hans Holbein le Jeune, je veux signifier un portrait peint, de petite dimension, comme savaient les faire Holbein, Clouet, et d'autres. Ces peintures qui pouvaient prendre plusieurs formes, comme par exemple chez Nicholas Hilliard, dépassaient rarement les 4 à 5 cm de large.
Tout un art : ce n'est pas fait n'importe comment, il y a une technique, une fabrication...à part entière. Ce n'est pas de la peinture en miniature.
Les miniatures ? de la Grande peinture !