jeudi 28 et vendredi 29 juillet 2005 Hier Avant hier
Jeudi, c'est facile à raconter :
Voiture, voiture, kilomètres et kilomètres.
Campagne :de Nogent le Rotrou à La Ferté-Bernard, Montoire, Château-Renault,
Autoroute : Tours, Poitiers,
Nationale : jusqu'à Angoulême, puis Garat.
Le coffre plein des vélos de Léa et Charlotte, qui furent adorables et patientes (c'est-à-dire qui ne m'ont pas demandé cent fois : " c'est quand qu'on arrive ? ")
retrouvailles avec ma grande fille Elise et ses deux soeurs...

Vendredi, c'est plus compliqué :
Je pars seul à Melle, près de Niort, pour aller voir François Bon qui intervient à plusieurs niveaux dans ce petit festival qui s'appelle Boulevard du Jazz. Il doit intervenir plusieurs fois dans la journée.
Dès midi je suis là.
En attendant, et pour attendre, je commande une tarte au poireau, et du vin rouge, en lisant le chapitre on ne peut mieux approprié à la situation : L'auteur en lecteur, dans Histoire de la lecture d'Alberto Manguel. " Les lectures publiques n'existaient pas qu'à Rome. Les Grecs aussi les pratiquaient. Cinq siècles avant Pline, par exemple, Hérodote lisait ses œuvres aux festivals d'Olympie, où s'assemblait un public nombreux et enthousiaste venu de la Grèce entière..."
Incognito au fond de la salle, sûr de ne pas être reconnu, je le regarde donc lire ce qui a été écrit dans son atelier d'écriture les deux jours précédents et qu'il a passé la dernière nuit à taper sur son ordinateur.
Les stagiaires/auteurs sont là, la salle est pleine.
À tour de rôle, avec deux femmes responsables au CAT, ils vont se relayer et lire.
Le barman prévient : " Commandez vos boissons maintenant, avant le début " des choses ". Il a bien fait.
C'est émouvant, intense. L'attention du public est totale pendant chaque extrait, les applaudissements chaleureux à la fin.
Certaines phrases claquent, des émotions passent, tout une drame de non-dits, de souffrances, de joies aussi et de plaisirs simples.
" la vie est là, avec ses poumons de flanelle..." aurait chanté Léo Ferré.
" Je pars à la chaîne,
Je défais des papiers,
à 11h52 j'attends la débauche,
Je suis tout seul dans mon coin à la menuiserie, et je perce, je perce, je perce,
on n'a pas de musique.
la musique, c'est la musique de la machine.
On met 34 trousses dans un carton,
C'est parti, rebelote jusqu'à 5 heures,
Après je ne sais plus...

La plage, les galets, les vagues...(des choses qui remplissent l'âme de gaîté.)
Lorsqu'on se moque, on devrait appeler le Sida Si doux, ça ferait moins peur...(des choses qui remplissent l'âme de tristesse)
Mon tricycle, des billes, les livres Rémi et Colette, des photos de mariage en Noir et Blanc...(des choses qui rappellent le passé)
La vie privée, la sexualité, l'enfance, le mal de vivre, dire à une personne qu'on l'aime, Didier me manque...(des choses difficiles à dire)
La liberté, s'occuper des fleurs, avoir la tête en l'air, taper avec un marteau, penser à une fille...(des choses qui distraient dans un moment d'ennui)
Un bébé, mon chéri...(des choses qui font battre le coeur)...

Il y a plein d'autres souvenirs, mais je ne dirai pas le reste. La maîtresse, on voyait bien qu'elle ne m'aimait pas. J'en rêve la nuit. J'en pleure encore. Les opérations, ce n'est pas que je ne voulais pas les faire, c'est que je ne savais pas les faire. C'est avec le coeur qu'on applaudit. C'était rare, de m'amuser, il fallait garder les chèvres. Quand j'étais petit, j'avais un petit lapin blanc aux yeux rouges. J'ai acheté ma voiture tout seul. Personne ne m'a aidé. Quand j'étais jeune, je n'avais pas de jeux, je travaillais. Quand j'étais enfant, je n'ai jamais eu de cadeau de Noël.
Quand j'étais toute petite, ma maman et puis moi, on s'est séparé. Je n'ai pas connu mon père. Je suis une fille unique..."
Je rencontre François Bon après cette lecture, avec Stephane Roche, que je ne connaissais que de nom pour ses articles sur remue.net sur Charles Juliet, sur lequel il vient de finir sa thèse...
Plus tard, pendant que F.B. se préparera pour sa deuxième intervention, je continuerai la discussion avec S.Roche sur une terrasse ombragée, moment agréable puisque l'orage du matin n'est plus que souvenir et que le soleil est revenu.
19 heures, la salle est pleine à craquer comme on dit. Certains écouteront dehors depuis la terrasse.
François Bon va en surprendre quelques-uns avec son improvisation d'une heure vingt, à l'issue delaquelle il n'aura lu finalement que deux extraits de son livre.
Inattendu, déridant, partant de loin du sujet annoncé, s'attardant sur quelques phrases en apparence anodines entendues, de Civray à Melle en passant par la Corée, un tour du monde dans la tête, un monde d'histoire(s) à raconter, embarquement immédiat mais assuré.
Daewoo, après tout, vous n'avez qu'à le lire...
Tout cela sous le regard apaisé et immobile de Raymond Hains avec ses 80 ans, sa canne et son chapeau...
Un onglet à l'échalotte, un Saumur Champigny, partagés avec F.bon et S. Roche, sont les bienvenus avant d'aller assister au concert de Minvielle et Peronne, oh combien émouvant, drôle, triste, gai, original et lui aussi plein d'inattendus de par l'imprévisible de certaines chansons ainsi que de leur présentation.
Comment oublier par exemple celle de Minvielle (Brou...ha...ha...putain, étant la traduction de la quinte de toux du grand père au sujet de la guerre de 40...)?
Je suis parti quand le public a retiré toutes les chaises et a commencé à danser, accordéon oblige, dans la plus pure des traditions populaires.
Il était tard, et la route de nuit m'attendait.
Journée pleine d'émotions, de mots, de musique,
éprouvante donc,
si vivante en somme...